FICHE QUESTION
12ème législature
Question N° : 37510  de  Mme   Robin-Rodrigo Chantal ( Socialiste - Hautes-Pyrénées ) QE
Ministère interrogé :  affaires étrangères
Ministère attributaire :  affaires étrangères
Question publiée au JO le :  13/04/2004  page :  2877
Réponse publiée au JO le :  18/01/2005  page :  519
Rubrique :  politique extérieure
Tête d'analyse :  Rwanda
Analyse :  génocide. attitude de la France
Texte de la QUESTION : Le Président rwandais, M. Paul Kagame, s'en est une nouvelle fois pris à la France, le 25 mars 2004, lors d'une conférence de presse, pour son rôle « avant, pendant et après le génocide » de 1994, qui a causé la mort de 800.000 Tutsis et opposants hutus. « On ne peut pas continuer à prétendre de ne pas connaître les faits », a-t-il lancé à cette occasion, avant de citer trois « preuves » de l'implication française. Il a rappelé une mise en garde du directeur des Affaires africaines au Quai d'Orsay lors de sa visite à Paris, en 1992. Deuxième élément à charge selon lui : le rôle présumé du lieutenant-colonel Chollet, chef du détachement d'assistance militaire et d'instruction (DAMI), et conseiller auprès du chef d'état-major rwandais, dans l'« entraînement » des milices et dans le « commandement » de l'armée lors des combats. Enfin, répondant au Gouvernement français, qui a déclaré que notre pays avait sauvé des « centaines de milliers de vies » au Rwanda en 1994 et « fait la lumière sur son rôle » lors de la mission d'information parlementaire de 1998, M. Kagame a reproché à l'armée française, dépêchée dans le cadre de l'opération Turquoise, d'avoir « sauvé ceux qui tuaient (les génocidaires hutus qui ont pu s'enfuir au Zaïre) et non pas ceux qui étaient tués (les Tutsis) ». Il l'a aussi accusée d'avoir « abandonné, voire livré » des Tutsis dans la région de Kibuye. M. Kagame a redemandé à la France de faire un geste à l'occasion du 10e anniversaire du génocide, le 7 avril, en demandant « pardon ». Les autorités rwandaises n'ont pas manqué d'interpréter la fuite d'une partie du dossier d'instruction judicaire français sur l'attentat contre l'avion de l'ex-président Habyarimana, le 6 avril 1994, comme un acte d'hostilité caractérisé. Sur ce point, le président rwandais a mis en doute la « crédibilité » de la justice française, et s'est gaussé de la réapparition surprise de la boîte noire présumée du Falcon 50 de M. Habyarimana au siège de l'ONU à New York. In fine, M. Kagame a annoncé la création, « dans un futur proche », d'une commission d'enquête sur les responsabilités de différentes « personnalités étrangères » dans le génocide. Il a aussi confirmé que Kigali préparait une liste de 300 « têtes pensantes » du génocide, dont certaines, comme Mme Agathe Habyarimana, la veuve de l'ex-président hutu, vivent aujourd'hui en France. Compte tenu de ces attaques frontales dont fait l'objet notre pays, Mme Chantal Robin-Rodrigo demande à M. le ministre des affaires étrangères de lui indiquer le sentiment et les intentions du Gouvernement au sujet de ce dossier.
Texte de la REPONSE : Au sortir de la crise rwandaise, la France s'est efforcée de faire toute la lumière sur les événements tragiques survenus en avril 1994. Une mission d'information parlementaire, présidée par M. Quilès, a été créée en 1998 pour répondre à l'ensemble des interrogations suscitées par l'engagement de la France au Rwanda entre 1990 et 1994. Cet effort de vérité, qu'aucun autre pays n'a mené de manière aussi approfondie, a permis de restituer toute la complexité des facteurs qui ont mené à la tragédie d'avril 1994. Les conclusions de cette mission rappellent que la France a été le pays le plus actif non seulement pour tenter de prévenir le drame de 1994, mais également pour mobiliser la communauté internationale afin de venir en aide aux victimes du génocide. L'échec de nos efforts en faveur de la paix ne peuvent constituer les « preuves » d'une responsabilité, encore moins d'une complicité. Alors que le Rwanda ne faisait pas partie de l'héritage colonial français, la France s'est très tôt investie dans les efforts pour s'efforcer d'enrayer la montée des tensions dans ce pays, qui avait déjà connu de graves violences intercommunautaires au cours des années 70. Face à un début de guerre civile au début des années 90, notre pays a tenté de faire prévaloir la voie de la négociation politique et du processus de réconciliation nationale. Cette politique s'est traduite par des contacts réguliers avec l'ensemble des forces politiques rwandaises, et en particulier avec le Front patriotique rwandais (FPR), qui avait lancé une offensive militaire à partir de l'Ouganda le 1er octobre 1990. Ces contacts visaient à faire cesser la guerre entre les forces gouvernementales et les forces rebelles du FPR et à encourager l'ouverture politique. C'est dans ce cadre que la France, ainsi que d'autres acteurs de la communauté internationale, ont cherché à dissuader le FPR de lancer une offensive militaire sur Kigali, qui aurait immanquablement entraîné des centaines de milliers de personnes sur les chemins de l'exode : ce qui s'est, malheureusement, effectivement produit en avril 1994. Les pressions diplomatiques exercées par la France et la communauté internationale ont permis, jusqu'en avril 1994, de préserver l'espoir d'une solution politique au conflit entre le gouvernement rwandais et le FPR. En 1992, le Gouvernement a ainsi engagé un dialogue avec le FPR, ce qui a permis d'aboutir à un ensemble d'accords dits accords d'Arusha, qui prévoyaient un cessez-le-feu et un partage du pouvoir dans le cadre d'un gouvernement de transition. En application des accords d'Arusha, la France procéda, entre le 15 octobre et le 15 décembre 1993, au retrait de ses forces militaires présentes au Rwanda. Un contingent des Nations unies (MINUAR) fut déployé pour prendre le relais et assurer la sécurisation du processus de paix. Au moment du déclenchement des massacres, il n'y avait sur le terrain aucun soldat français autre que ceux de l'opération Amaryllis (9-14 avril), venus évacuer les ressortissants français et étrangers. Aucun coopérant ni aucun militaire français n'a donc pu participer, de près ou de loin, au génocide perpétré au Rwanda. Les événements du 6 avril 1994 ont mis fin à tout espoir de solution pacifique au problème rwandais. L'attentat contre l'avion du président Habyarimana a ouvert la voie aux extrémistes, qui avaient tout fait pour s'opposer à la logique du partage du pouvoir et s'étaient préparés à un affrontement majeur. Les pilotes de l'avion transportant le président Habyarimana étant français, cet attentat fait actuellement l'objet d'une instruction judiciaire en France, dont les conclusions n'ont pas encore été transmises au parquet. En juin 1994, face à l'accélération des événements sur le terrain et à la division du Conseil de sécurité sur le renforcement de la MINUAR, la France a fait le choix de l'intervention humanitaire. L'opération Turquoise, d'une durée de deux mois, conformément au mandat que lui avait donné le Conseil de sécurité, a été la seule opération humanitaire d'ampleur qui ait été engagée pour sauver les populations menacées. Le 4 juillet, la France a ainsi mis en place une zone humanitaire sûre afin de mettre les populations à l'abri des combats qui faisaient rage dans le sud (Butare) et dans l'ouest (Kibuye) du pays. Cette opération limitée n'a pas été en mesure d'empêcher tous les massacres, notamment dans les premiers jours de sa mise en place, mais elle a permis à des milliers de personnes d'échapper aux combats et à des centaines de milliers de personnes déplacées de bénéficier de secours et de soins. Si cette opération n'avait pas eu lieu, on peut imaginer que des centaines de milliers de Rwandais se seraient réfugiés au Zaïre ou au Burundi voisins, avec les conséquences que l'on peut imaginer pour la stabilité de ces pays, comme les évènements au Zaïre d'alors peuvent, éloquemment, en témoigner. Contrairement aux accusations qui ont pu être portées contre la France, l'opération Turquoise n'a jamais failli à son devoir de neutralité et n'a jamais eu d'autre objectif que de sécuriser les populations civiles pendant la poursuite des combats militaires. La position de la France est aujourd'hui de privilégier l'avenir et de ne pas entrer dans une polémique, dont les principaux éléments ont déjà trouvé réponse dans le travail effectué par la mission parlementaire d'information. C'est ce message que le ministre des affaires étrangères a personnellement adressé à son homologue rwandais, M. Charles Murigande, à l'occasion d'un entretien approfondi à Pretoria le 28 juillet dernier. Lors de cette rencontre, les deux ministres ont convenu de contribuer à construire ensemble un avenir qui préserve l'intérêt du Rwanda, comme celui de l'ensemble de la région des Grands Lacs africains qui évolue difficilement vers la stabilisation. Acteur essentiel de cette stabilisation, le Rwanda est un partenaire incontournable avec qui la France souhaite entretenir des relations de confiance. Notre conviction est que l'instauration d'une paix durable dans la région des Grands Lacs passe par la normalisation des relations du Rwanda avec ses voisins, et en particulier la République démocratique du Congo. Le ministre souhaite en conséquence favoriser toutes les initiatives, comme l'établissement récent d'un mécanisme de vérification des frontières ou la conférence internationale sur la paix et la sécurité dans les Grands Lacs, qui vient de se tenir à Dar es-Salam, susceptible de contribuer au rétablissement de la confiance et d'installer une logique de coopération politique et économique dans la région.
SOC 12 REP_PUB Midi-Pyrénées O