CONDAMNATION D'UN DÉBITANT DE
BOISSONS
À LA SUITE D'UN ACCIDENT DE LA ROUTE
M. le président. La
parole est à M. Jean-Paul Anciaux, pour exposer sa question, n° 386,
relative à la condamnation d'un débitant de boissons à la suite d'un accident de
la route.
M. Jean-Paul Anciaux.
Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le garde des sceaux, ministre
de la justice.
Monsieur le
secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice je souhaite attirer
votre attention sur la condamnation prononcée le 2 avril 2003 par le
tribunal correctionnel de Dijon à l'encontre d'un débitant de boissons. Même
s'il ne m'appartient aucunement de commenter une décision de justice, je
m'interroge sur les conséquences que peut avoir une trop grande
responsabilisation des débitants de boissons, qui ne sont pas en mesure de
contrôler le comportement de leurs clients ni de déterminer leur imprégnation
alcoolique.
La loi ne fait
interdiction aux cafetiers que de « donner à boire de l'alcool à des personnes
manifestement ivres ». Cette appréciation est particulièrement délicate et la
notion d'état d'ivresse est très différente de celle d'imprégnation alcoolique.
Une personne avec un fort taux d'alcool dans le sang peut très bien ne présenter
aucun signe d'ivresse alors que l'inverse est également possible. Compte tenu de
l'absence de critères d'appréciation objectifs de l'état d'ébriété d'un
individu, des orientations particulières de politique pénale ont-elles été
données en la matière ?
Par
ailleurs, comment le Gouvernement compte-t-il mettre en oeuvre la lutte contre
la délinquance routière sous emprise de l'alcool tout en préservant les
conditions d'une exploitation satisfaisante des débits de boissons ?
Je me permets, monsieur le
secrétaire d'Etat, d'appeler l'attention du Gouvernement sur le fait que chaque
débit de boissons est une entreprise qui compte un ou plusieurs salariés. A ce
titre, elle concourt au maintien et au développement économique de notre pays.
Prenons garde de ne pas décourager, par des sanctions trop lourdes, à caractère
d'exemplarité, toute initiative de création ou de reprise de débit de boissons,
d'autant que ces entreprises artisanales restent bien souvent, qu'il s'agisse
des cafés de quartier en zone urbaine ou des implantations en zone rurale, les
derniers lieux de rencontres, d'échanges et de convivialité.
M. le président. La
parole est à M. le secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la
justice.
M. Pierre Bédier, secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de
la justice. Monsieur le député, je dois d'abord excuser le garde des sceaux,
retenu par une réunion du Gouvernement sur les questions de développement
durable présidée par le Premier ministre.
Le jugement que vous avez évoqué se
fonde tout de même sur des faits d'une extrême gravité. Ne généralisons donc pas
au vu de cette condamnation. En l'occurrence, en effet, le taux d'alcoolémie du
conducteur concerné dépassait quatre grammes d'alcool par litre de sang. Il est
d'ailleurs ressorti de l'enquête que le cafetier ne pouvait pas ignorer que
l'intéressé allait prendre le volant, ce qu'il a fait. Il a ensuite causé un
accident qui a provoqué la mort de trois personnes. Il a donc été condamné à
trois ans de prison dont dix-huit mois assortis d'un sursis avec mise à
l'épreuve de trois ans et son permis de conduire a été annulé avec interdiction
de le repasser avant un délai de cinq ans.
La responsabilité de l'auteur de
cet accident mortel était telle qu'elle n'a pu qu'entraîner celle du cafetier
qui avait manifestement fait preuve d'une complicité passive. La condamnation
prononcée ne résulte donc d'aucune instruction particulière ; elle a simplement
traduit la volonté du tribunal de sanctionner ce qui apparaissait comme une
complicité.
Il n'est évidemment
pas question de faire la chasse aux cafetiers. A cet égard, vous pouvez rassurer
ceux que vous connaissez. Il s'agit simplement de rappeler à chacun ses
responsabilités vis-à-vis des autres. Le Parlement s'est d'ailleurs engagé dans
cette voie puisqu'il examine actuellement un projet de loi comportant plusieurs
dispositions relatives à la sécurité routière.
Je tiens d'ailleurs à réaffirmer,
au nom du Premier ministre, du garde des sceaux et de l'ensemble du
Gouvernement, que la sécurité routière est l'une des priorités fortes de
l'action gouvernementale. Nous voulons convaincre chacun, non seulement par la
répression, mais aussi par la pédagogie, que la sécurité routière n'est pas
seulement l'affaire des autres, qu'elle ne procède pas de la responsabilité des
seuls chauffards : elle relève d'une responsabilité collective et nationale.
M. le président. La
parole est à M. Jean-Paul Anciaux.
M. Jean-Paul Anciaux.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je comprends votre réponse, mais elle ne me
satisfait pas dans la mesure où ma question mettait surtout l'accent sur la
notion d'appréciation. En effet, il n'est pas évident, pour un cafetier,
d'apprécier le taux d'alcoolémie d'un consommateur. Cela peut être rapproché de
la proposition de loi adoptée par le Sénat visant à restreindre la consommation
de tabac pour les jeunes de moins de seize ans. En effet, comment un
buraliste pourra-t-il apprécier l'âge des jeunes ?
Il ne faudrait pas que, dans une
démarche systématique, on veuille amener les commerçants et les artisans à se
substituer aux services de contrôle. Il ne doit appartenir qu'à ces derniers
d'exercer cette mission, sur la base d'un référentiel prévoyant des éléments
objectifs d'appréciation afin de garantir l'égalité de tous devant la loi.
C'est pourquoi, monsieur le
secrétaire d'Etat, j'ai surtout voulu appeler l'attention sur cette notion
d'appréciation. En effet, il me paraît anormal de vouloir rendre
systématiquement responsables et coupables les cafetiers alors qu'ils ne
disposent d'aucun moyen pour apprécier avec justesse l'état d'ébriété des
consommateurs.