Texte de la QUESTION :
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Mme Geneviève Perrin-Gaillard attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur la difficulté d'application de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales telle qu'amendée par le protocole n° 11 accompagnée du protocole additionnel et des protocoles n°s 4, 6 et 7. En son article 6 la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales précise que : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant... Tout accusé a droit... à se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent... ». Or, presque chaque fois qu'un concitoyen fait appel à la Cour européenne des droits de l'homme, la France est condamnée pour le non-respect du délai raisonnable. Par ailleurs, concernant la notion de « se défendre soi-même », il existe une contradiction avec l'article R. 31-2 du code administratif qui édicte que : « Les requêtes et les mémoires doivent, à peine d'irrecevabilité, être présentés soit par un avocat, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, soit par un avoué en exercice dans le ressort du tribunal administratif intéressé, lorsque les conclusions de la demande tendent au paiement d'une somme d'argent, à la décharge ou à la réduction de sommes dont le paiement est réclamé au requérant ou à la solution d'un litige né d'un contrat. La signature des requêtes et mémoires par l'un de ces mandataires vaut constitution et élection de domicile chez lui. » C'est pourquoi elle lui demande de prendre les dispositions nécessaires afin que la France mette en cohérence sa législation et respecte la réglementation de la Cour européenne des droits de l'homme.
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Texte de la REPONSE :
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Le garde des sceaux, ministre de la justice, fait connaître à l'honorable parlementaire qu'il est conscient des difficultés liées à l'application de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. La France a en effet été condamnée à plusieurs reprises pour non-respect du délai raisonnable lors des dernières années. Afin de remédier à ces condamnations, des moyens supplémentaires, aussi bien humains que financiers, ont été mis en oeuvre pour accélérer le traitement des recours devant les juridictions internes. Parmi les objectifs poursuivis par la loi quinquennale d'orientation et de programmation pour la justice (LOPJ) du 9 septembre 2002, l'un des principaux consiste à améliorer l'efficacité de la justice au service des citoyens, ce qui se traduit par des mesures pour réduire les délais de traitement des affaires, aussi bien civiles que pénales. À ce titre, ce texte prévoit en particulier un renforcement important des moyens humains des juridictions par la création de 950 emplois de magistrats et de 3 500 fonctionnaires et agents des services judiciaires et de 480 emplois de magistrats ou d'agents dans les juridictions administratives. En 2005, 355 emplois supplémentaires, dont 100 magistrats et 250 greffiers et fonctionnaires, seront ainsi créés dans les juridictions judiciaires ; 46 emplois seront créés dans les juridictions administratives. Il doit en résulter une nette réduction des délais de jugement en matière administrative, civile et pénale et la résorption des stocks d'affaires à juger. Il est à noter que le recrutement de magistrats a beaucoup augmenté depuis quelques années et dépasse désormais 300 postes chaque année. La tendance est similaire pour les greffiers et greffiers en chef. Outre ces moyens humains, la dotation des juridictions en crédits de fonctionnement pour 2004 et 2005 aura progressé de 11 %. Par ailleurs, des contrats d'objectifs ont été conclus avec certains sites-pilotes (cours d'appel de Douai et d'Aix-en-Provence) : les cours s'engagent à réduire sensiblement leurs délais de jugement en contrepartie de moyens en personnel et de fonctionnement supplémentaires. Ce mouvement de contractualisation doit être généralisé à l'ensemble des cours d'appel à compter du 1er janvier 2006, comme il l'a été dès décembre 2002 pour toutes les cours administratives d'appel. De plus, certaines cours d'appel qui expérimentent la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 avant son entrée en vigueur le 1er janvier 2005 ont signé avec l'administration centrale du ministère de la justice un protocole d'expérimentation dans lequel des objectifs et des indicateurs (notamment de délais) sont inscrits et seront évalués en fin d'exercice. Au total, le Gouvernement s'est fixé des objectifs ambitieux en termes de délai moyen de traitement des affaires. D'ici à 2007, ce délai doit passer de dix-huit à douze mois dans les cours d'appel, de neuf à six mois dans les tribunaux de grande instance et de six à trois mois dans les tribunaux d'instance. L'ensemble de ces mesures doit permettre aux tribunaux français de mieux respecter l'obligation de jugement dans un « délai raisonnable » découlant de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. En ce qui concerne la possibilité de « se défendre soi-même », l'article 6, paragraphe 3c, énonce effectivement que « Tout accusé a droit notamment à [...] se défendre lui-même ou à avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office ». L'article R. 431-2 du code de justice administrative prévoit pour sa part que « Les requêtes et les mémoires doivent, à peine d'irrecevabilité, être présentés soit par un avocat, soit par un avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, soit par un avoué en exercice dans le ressort du tribunal administratif intéressé, lorsque les conclusions de la demande tendent au paiement d'une somme d'argent, à la décharge ou à la réduction de sommes dont le paiement est réclamé au requérant ou à la solution d'un litige né d'un contrat ». La Cour européenne des droits de l'homme a plusieurs fois affirmé que les garanties de l'article 6, paragraphe 3, n'étaient pas un but en elles-mêmes mais devaient « être interprétées à la lumière de la fonction qu'elles remplissent dans le contexte général de la procédure ». Il en résulte que, pour la Cour, cet article prévoit le droit de se défendre seul dans certaines hypothèses spécifiques prévues par les législations nationales. Ainsi, la Cour admet que, « en appel et en cassation, les modalités d'application des paragraphes 1 et 3c de l'article 6 dépendent des particularités de la procédure dont il s'agit » (arrêt Tripodi c. Italie du 22 février 1994). Ce droit peut donc être librement restreint par des dispositions législatives devant les juridictions d'appel ou de cassation. Par ailleurs, la Cour européenne a estimé que le droit pour un accusé de se défendre en personne n'était pas absolu. Elle considère même que l'obligation pour le défenseur d'accepter l'assistance d'un conseil à tous les stades de l'instance nationale ne méconnaît pas l'article 6, paragraphe 3c (arrêt Croissant c. Allemagne du 25 septembre 1992). L'article R. 431-2 du code de justice administrative ne saurait donc être tenu comme contraire à la Convention européenne des droits de l'homme, d'autant plus que l'obligation de ministère d'avocat ne s'applique qu'aux hypothèses de « recours de plein contentieux », plus difficiles à appréhender pour un particulier. Enfin, cette obligation n'implique pas nécessairement de dépenses pour l'individu qui est partie à un procès devant la juridiction administrative grâce au dispositif d'aide juridictionnelle, dont le but est de permettre l'accès au tribunal à tout requérant, sans que ses ressources soient un frein à l'exercice de ce droit.
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