DEBAT :
|
DÉFENSE EUROPÉENNE
M. le président. La parole est à M. Laurent Fabius, pour le groupe socialiste.
M. Laurent Fabius. Monsieur le Premier ministre, alors que se poursuit la guerre si meurtrière en Irak, dont chacun ici souhaite qu'elle soit la plus courte possible, il est de notre responsabilité politique de penser déjà aux conditions futures d'une paix mondiale durable. Cela concerne bien sûr l'ensemble des relations internationales, qu'il faudra réorienter dans le sens de la solidarité et du droit, mais cela concerne particulièrement la construction d'une défense européenne unie, qui est absolument essentielle.
L'une des leçons de cette période tragique est en effet qu'aucun pays, si puissant soit-il, ne peut à lui seul assurer une sécurité globale, légitime et efficace. Si l'on veut éviter que ne dégénèrent les crises, si l'on veut obtenir un désarmement pacifique - on l'a bien vu avec le détestable régime de Saddam Hussein -, il faut à la fois un contrôle international du désarmement, sous l'égide de l'ONU, et la menace d'une force militaire suffisante. Or l'Europe, avec l'ONU, peut bien proposer le droit, elle ne dispose pas d'une vraie puissance militaire à mettre au service de ce droit. (« C'est vrai ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
J'ajoute que, si l'on souhaite que les anciens pays du bloc soviétique ne se tournent pas systématiquement vers les Etats-Unis en cas de crise, il faut non pas leur intimer le silence mais pouvoir leur proposer l'alternative d'une défense européenne crédible. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Monsieur le Premier ministre, la monnaie unique a été réalisée. Elle doit être complétée, mais elle est utile. Désormais, en même temps que l'avancée d'une Europe politique et scientifique, en même temps que la construction d'une Europe sociale, une défense européenne unie doit être notre objectif.
M. François Goulard. Avec quels crédits ?
M. Laurent Fabius. Elle ne se réalisera pas spontanément : elle se fera sur la base d'une volonté politique farouche, à partir de quelques pays, dont la France et l'Allemagne,...
M. François Goulard. L'Allemagne n'a plus de défense !
M. Laurent Fabius. ... et elle devra être ouverte à d'autres pays, y compris, si c'est possible, à la Grande-Bretagne. Cela suppose des projets concrets, chiffrés, datés, négociés et débattus, nous le souhaitons, devant le Parlement.
Monsieur le Premier ministre, si vous partagez cette ambition, que comptez-vous faire concrètement pour réaliser une défense européenne unie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
M. le président. La
parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le député, nous partageons cette conviction.
D'abord, je voudrais dire combien nous sommes, comme vous, frappés par les horreurs de cette guerre et combien nous souhaitons qu'elle soit rapide. Elle n'a déjà été que trop meurtrière.
M. Jacques Desallangre. Il faut l'arrêter !
M. le Premier ministre. Il est évident que, dans la question irakienne, les Européens convaincus ont aussi été des Européens déçus. La manière dont les différents pays ont traité cette question nous a touchés, mais nous avons veillé à ce que l'on puisse toujours avoir des contacts avec l'ensemble des pays européens pour que le projet européen ne soit pas victime de la guerre en Irak. Dans cette déception d'Européens convaincus qui est la nôtre, il y a une part de satisfaction, celle d'avoir vu les peuples de l'Europe se rassembler derrière les positions de la France car l'Europe des peuples s'est exprimée à l'occasion de cette guerre.
M. François Hollande. La gauche !
M. le Premier ministre. L'Europe des peuples est descendue dans la rue pour dire que la France avait raison de défendre sa vision d'un monde multipolaire. Cette déterminiation nous engage à protéger notre projet européen.
Mais ce projet européen impose d'abord des efforts à notre pays. Car, pour pouvoir convaincre les autres, encore faut-il ne pas laisser notre défense dans un état d'affaiblissement considérable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
Nous pouvons nous battre pour la paix parce que nous savons consentir les efforts nécessaires pour notre défense. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) La loi de programmation militaire voulue par le chef de l'Etat a mis les moyens au service de la crédibilité de notre parole. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
Il était très important d'avoir opéré ce redressement pour faire en sorte que, lorsque nous parlons de la paix, nous ne nous inscrivions pas dans le champ du pacifisme (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française) mais parmi ceux qui veulent que la force puisse être mise au service du droit. Nous nous battons pour le droit, mais nous pensons que la force peut être nécessaire pour faire exister le droit. (Mêmes mouvements.)
Il faut, vous avez raison, accomplir encore de gros efforts en matière de construction et de défense européennes. C'est pourquoi nous donnons beaucoup d'importance à l'accord des ministres de la défense, qui se sont réunis les 14 et 15 mars à Athènes, dans la perspective de construire les étapes de cette Europe de la défense.
M. Jean-Marc Ayrault. Vous n'y croyez pas !
M. le Premier ministre. Cette construction est difficile.
Aujourd'hui, nous sommes un peu sceptiques quant à certaines décisions. Malgré tout, je me dois de dire à la représentation nationale que nous avançons sur un certain nombre de points très précis. Nous sommes en train d'organiser la relève de l'OTAN par l'Europe en Macédoine...
M. Yves Fromion. Très bien !
M. le Premier ministre. ... et, pour ce qui concerne le porte-avions britannique, nous progressons, en dépit des circonstances, dans la voie d'une coopération réelle et sincère.
M. Yves Fromion. Très bien !
M. le Premier ministre. Tout cela est difficile, mais nous voulons veiller à ce que le projet européen garde toute sa consistance, en ayant pour objectif que l'Europe puisse équilibrer le monde.
L'Europe est au coeur de la vision de ce monde multipolaire pour lequel se bat la France. Pour ce faire, il faut aller vers une politique étrangère et une défense communes. Tout cela mettra du temps, mais nous y travaillons. D'ores et déjà, je peux vous dire que la contribution franco-allemande concernant l'avenir des institutions européennes et tendant à donner plus de force et à la politique étrangère et à la défense est soumise à tous nos partenaires, espagnols et britanniques compris, afin que l'on puisse dégager une volonté commune.
Nous savons que la tâche est difficile. Mais si nous voulons vraiment que le monde ne soit pas un monde unilatéral qui détruise la diversité, l'Europe doit être ce pôle d'équilibre. Elle a besoin pour cela d'une défense commune. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
|