SITUATION ÉCONOMIQUE DES BURALISTES DU NORD
Mme la présidente. La
parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour exposer sa question n° 489.
M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, les grèves et les manifestations des buralistes à Paris, ainsi que les nombreux courriers que mes collègues et moi-même recevons des débitants transfrontaliers, sont autant de cris d'alarme lancés par ces commerçants qui doivent faire face à la disparition progressive de leur commerce.
Certes, les objectifs de santé publique doivent être remplis et la lutte contre le cancer est une priorité. Toutefois, les effets des hausses successives et fortes du tabac n'ont pas été entièrement mesurés, notamment en ce qui concerne la situation des buralistes transfrontaliers. En effet, dans les zones transfrontalières, en particulier dans le Nord, les écarts de prix pour les cigarettes entre la France et la Belgique sont de l'ordre de 24,3 %, ce qui incite les clients à faire deux ou trois kilomètres pour aller acheter leurs cigarettes chez nos voisins.
A titre d'exemple, un buraliste de ma circonscription m'a communiqué des chiffres comparatifs pour les mois de novembre 2002 et 2003 : alors que son chiffre de vente de tabac s'élevait à 59 828 euros en novembre 2002, il n'était plus que de 36 450 euros en novembre 2003, soit une baisse de 39,8 %. Le chiffre d'affaires global de ce commerçant a baissé de 16,5 % et la fréquentation de son établissement de 16 %.
En outre, ces buralistes sont généralement des commerçants de proximité, implantés dans des zones rurales, dans lesquelles les bureaux de poste et les épiceries disparaissent progressivement. Ces mesures de hausse du prix du tabac provoquent donc de graves disparités en termes d'aménagement du territoire.
Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2004, j'avais cosigné, avec plusieurs de mes collègues, un amendement tendant à supprimer la hausse de la fiscalité sur le tabac. Le Gouvernement a annoncé diverses mesures de compensation financière et de renouvellement d'activité pour les buralistes et a déposé un mémorandum auprès de la Commission européenne afin de tendre vers une harmonisation fiscale.
Monsieur le secrétaire d'Etat, quelles mesures spécifiques comptez-vous prendre en faveur des buralistes transfrontaliers des zones rurales du Nord ? Par ailleurs, ne serait-il pas envisageable de différer la hausse des prix du tabac, dans l'attente d'une harmonisation européenne ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation.
M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et
moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à
la consommation. Monsieur le député, je suis particulièrement sensible à la situation des buralistes, confrontés aujourd'hui à une forte hausse des prix du tabac, et je peux vous dire que je ne ménage pas ma peine, depuis quelques semaines, pour essayer de les accompagner dans cette mutation, dont je sais à quel point elle les inquiète, notamment lorsqu'ils se trouvent dans des zones frontalières comme celle dont vous êtes l'élu.
Je vous rappelle le cadre général de la politique du Gouvernement. L'objectif essentiel est de lutter contre le cancer. En effet, le cancer lié au tabac tue chaque année plus de 60 000 Français. Lutter contre le cancer est donc une cause indiscutable, et aucun gouvernement n'a mis une telle énergie à lutter contre ce fléau. Les résultats de cette politique sont d'ailleurs d'ores et déjà visibles puisqu'un certain nombre de nos concitoyens ont modifié leur comportement vis-à-vis du tabac ; et s'ils l'ont fait, c'est parce que le prix des cigarettes a augmenté.
J'ai toujours considéré - et le Premier ministre lui-même l'a dit - que les débitants de tabac n'avaient pas à faire les frais de cette politique de santé publique, n'avaient pas à en assumer les conséquences. C'est pourquoi, à la demande du Premier ministre et en liaison très étroite avec la Confédération des débitants de tabac de France, j'ai proposé à cette profession un plan qui devrait permettre de compenser intégralement - voire au-delà - les pertes de revenus liées à la diminution du chiffre d'affaires lié à la vente du tabac. En effet, ce qui est important pour une entreprise, c'est son revenu, qui détermine la valeur du fonds de commerce. Il est donc important d'accompagner les professionnels pour leur revenu et pour la valeur de leur fonds de commerce.
Vous connaissez ce plan, monsieur le député, puisque vous avez dû recevoir, comme je l'imagine, les buralistes de votre circonscription. Il s'agit d'un document assez pédagogique. Vous avez cité une chute du chiffre d'affaires de 39,8 %. Pour notre part, nous avons fait des hypothèses encore pires, envisageant des baisses supérieures à 50 %, ce qui, compte tenu de l'augmentation du prix du tabac, signifie parfois une baisse en volume de la vente de tabac de l'ordre de 70 à 80 %. Eh bien, même dans ces cas les plus extrêmes, en prenant pour base le revenu de 2002, le revenu de 2004 ne baissera pas ; dans certains cas, il sera même supérieur, pour tenir compte de l'impact de la hausse du tabac sur la partie des ventes hors tabac, source de revenu qui dépend de la fréquentation de l'entreprise, car un certain nombre de personnes venues acheter du tabac achètent parfois autre chose.
De l'avis même de la confédération, ce plan va dans le bon sens, c'est-à-dire qu'il est considéré comme sérieux. Il est essentiel maintenant que les représentants des buralistes indiquent s'ils acceptent ou non la proposition du Gouvernement. Je vous invite, monsieur le député, ainsi que les buralistes de votre circonscription, à examiner dans le détail, entreprise par entreprise, quelles seront les conséquences de l'application de ce plan. Vous pourrez constater que, au regard d'un compte d'exploitation, ce plan est bon et qu'il est de nature à apaiser les craintes que vous avez évoquées.
Toutefois, cela ne suffira pas. Aussi, nous devons engager avec les buralistes un processus de mutation à moyen et long terme vers de nouvelles activités. Nous sommes absolument déterminés à faire en sorte que ce réseau de proximité puisse continuer à se développer, à fournir des services à l'ensemble de nos concitoyens.
Deux de vos collègues, Yves Bur et Lionnel Luca, ont été investis d'une mission par le Gouvernement afin de proposer de nouvelles activités aux buralistes. Du reste, étant tous deux élus de départements frontaliers, ils connaissent bien la situation que vous avez évoquée. Le plan que nous proposons devrait permettre d'assurer la mutation d'un métier, car c'est bien de cela qu'il s'agit : jusqu'à présent, les buralistes vivaient essentiellement de la vente du tabac ; demain, ils vivront davantage d'autres activités que nous allons développer ensemble.
Le Gouvernement est également très attentif au « détour de consommation » représenté par les achats transfrontaliers. Ceux-ci sont cependant licites dans le cadre du marché intérieur européen lorsqu'ils n'ont pas d'autre destination que la consommation personnelle des fumeurs. Toutefois, le Gouvernement ne saurait admettre que le fait de mettre la fiscalité au service d'un objectif de santé publique se traduise par une concurrence fiscale en Europe sur les produits du tabac. Nous souhaiterions nous orienter vers une harmonisation européenne de la fiscalité sur le tabac de façon que l'ensemble des pays européens puissent eux aussi lutter, comme le fait la France, contre le cancer. La France vient de déposer un mémorandum en ce sens.
J'espère que, au vu de la détermination très forte du gouvernement français, l'ensemble des pays européens prendront conscience de la nécessité d'harmoniser non seulement la fiscalité, mais également les contrôles des achats transfrontaliers.
Tels sont, monsieur le député, les éléments que je souhaitais vous apporter, conscient que le dialogue doit être poursuivi. Ma porte est d'ailleurs largement ouverte aux représentants des buralistes. Cette profession, aujourd'hui inquiète, peut compter sur le Gouvernement pour l'accompagner dans sa mutation.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. J'ai pris acte, monsieur le secrétaire d'Etat, de vos propositions. Néanmoins, je poursuivrai mes investigations auprès des buralistes et je resterai vigilant quant à l'application des différentes mesures proposées.