SUPPRESSIONS D'EMPLOIS DANS LE GROUPE RHODIA
M. le président. La parole est à M. André Gerin, pour exposer sa question, n° 511, relative aux suppressions d'emplois dans le groupe Rhodia.
M. André Gerin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation, chers collègues, l'industrie chimique française est dans la tourmente, non pas à la suite de la catastrophe d'AZF à Toulouse, mais à cause des choix financiers des directoires des grands groupes Rhodia et Aventis et du laisser-faire des gouvernements successifs.
Ces deux groupes, les derniers implantés en France, sont les fers de lance de la restructuration. Depuis plusieurs semaines, la presse économique fait état d'un plan de cession et de redéploiement des groupes Aventis et Rhodia, après le démantèlement de Rhône-Poulenc.
La région Rhône-Alpes, qui doit en partie son développement et son rayonnement national et international à son potentiel industriel et de recherche du secteur chimie, est directement concernée par ces choix.
Pour le groupe Rhodia, dès leur installation, les nouveaux dirigeants ont annoncé la couleur. Le journal Le Figaro a eu la primeur des informations. Les divisions silicones, food business et additifs, ainsi que les phosphates, seraient les secteurs vendus. Le dossier est tellement avancé que les institutions financières chargées de ce dépeçage étaient citées par la presse économique. Le Crédit lyonnais devait même trouver preneur dans le secteur additif alimentaire. Or chacun connaît la grande efficacité de cette banque dans ce genre de situation.
Il est à noter que le comité central d'entreprise, réuni le 10 décembre dernier, a pris connaissance de ces projets après la presse économique et les actionnaires. En effet, il faut rassurer les banques et les créanciers avant les représentants des salariés ; c'est la logique des objectifs financiers qui joue contre l'industrie.
Les trois secteurs concernés représentent 20 % de l'activité totale. Pour l'agglomération lyonnaise et la région Rhône-Alpes, le choc est frontal. La moitié des effectifs totaux, neuf sièges sociaux du groupe, se situent en région Rhône-Alpes. Pour Rhodia Silicones, dont le siège est établi à La Part-Dieu et l'unité de production et de recherche à Saint-Fons, le coup peut être terrible. L'annonce officielle concerne 572 suppressions d'emplois en France. Les fonctions supports, administration mais aussi recherche, seraient mises en cause et restructurées.
Selon les syndicats, il s'agit d'une première étape ; les unités de production de Mulhouse et de Saint-Fons pourraient faire partie d'un deuxième plan de redéploiement. En effet, la nouvelle direction de Rhodia répond immédiatement à ses donneurs d'ordre que sont les institutions financières. Une cession d'actif d'un montant de 700 millions d'euros, un programme économique de 165 millions et les suppressions de postes qui en découlent, répondent aux desiderata des banques qui veulent réduire l'endettement du groupe.
Cet endettement est effectivement surdimensionné, car il est dû à des choix aventureux. Rhodia a acheté au prix fort des entreprises en difficulté. A la fin des années 1990, elle a acquis, aux Etats-Unis, l'entreprise ChiRex pour 569 millions d'euros, deux sites de production Rhône-Poulenc Rorer en Grande-Bretagne, Holmes Chapel et Dagenham. Rebelote en 2001, le rachat de la société Albright & Wilson a atteint près de un milliard d'euros. Cette gestion capitalistique d'achats aventureux aboutit à l'éclatement des unités de production et entraîne la perte même de ce fleuron de la chimie. C'est le coeur industrieux de la production qui est pulvérisé.
Que l'on ne vienne pas nous parler de compétitivité et de coût du travail. Nous assistons, dans ce domaine, à un véritable monopoly financier.
Ce que j'appelle un certain « pétainisme industriel » déstabilise l'économie et la société tout entière.
Je vais vous étonner, mais je suis de ceux qui pensent qu'il faut aujourd'hui défendre un certain capitalisme industriel. Les choix économiques et politiques que je viens de déplorer jouent contre l'emploi. C'est l'ambition industrielle, innovante, audacieuse de la France et de l'Europe qui est atteinte.
Nous devons faire en sorte que cesse la casse de l'emploi et la destruction des atouts du pays. Les représentants des syndicats, les comités d'entreprise doivent posséder des droits et des pouvoirs nouveaux pour s'investir dans les stratégies. Que l'on arrête de se moquer des ingénieurs, des cadres et des techniciens, souvent porteurs de propositions qui sont aux antipodes de la pensée unique.
Quelles sont les mesures que le Gouvernement compte prendre pour mettre fin à ce gâchis ?
Nous ne voulons pas que la France devienne un Disneyland économique !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation.
M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et
moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à
la consommation. Monsieur le député, c'est très volontiers que je répondrai à la question que vous posez à Nicole Fontaine.
Dans un contexte caractérisé par une parité euro-dollar particulièrement désavantageuse, le maintien de prix élevés pour les matières premières pétrochimiques ainsi que l'atonie persistante de la conjoncture - elle dure depuis près de trois ans - troublent les performances de Rhodia, comme celles de tous les chimistes européens.
Le groupe Rhodia présente en outre la particularité de souffrir d'un endettement très sensible au regard des critères bancaires actuels en raison, d'une part, de sa dette initiale et, d'autre part, comme vous l'avez rappelé, d'acquisitions faites au point haut du cycle, c'est-à-dire au plus mauvais moment.
Pour faire face à cette situation, une nouvelle direction a été nommée à la tête du groupe. Celle-ci a annoncé il y a quelques jours les grandes lignes des mesures de restructuration qu'elle envisage : restructuration financière d'abord, projets de cessions ensuite et, enfin, mesures d'économies structurelles.
Ce qui doit être regardé comme un élément positif dans un moment aussi délicat pour ce groupe, pour ses salariés, ses ingénieurs et pour tous ceux qui dépendent de son activité, c'est que cette direction semble prendre le problème à bras-le-corps afin de permettre au groupe de retrouver la confiance des milieux financiers, mais surtout celle de ses clients. C'est la responsabilité du management de l'entreprise que de bâtir un nouveau projet industriel, un projet cohérent porteur de créations d'emplois qualifiés, un projet capable de remobiliser les énergies. Celui-ci devra gérer les conséquences de son plan de restructuration dans le cadre des lois en vigueur. Durant cette phase, le rôle de l'Etat est de veiller à ce que Rhodia assume pleinement ses responsabilités à l'égard des bassins d'emploi qui peuvent être affectés par ces décisions, et tout naturellement à l'égard des salariés concernés. Il consiste aussi à créer les conditions permettant au groupe de s'adapter pour mieux repartir dans une phase de croissance.
C'est tout le sens de l'action résolue que nous menons à Bruxelles pour qu'émerge une véritable politique de compétitivité industrielle - une politique industrielle européenne, monsieur le député ! C'est particulièrement le cas de la future réglementation sur la chimie, pour laquelle la lettre commune du Président de la République Jacques Chirac, de M. Tony Blair et du chancelier allemand Gerhard Schröder marque un tournant essentiel en faveur d'une approche européenne volontariste en matière de politique industrielle.
M. le président. La parole est à M. André Gerin.
M. André Gerin. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie de votre sincérité, même si je ne partage pas les arguments que vous venez d'exposer.
Ce que vous dites aujourd'hui de Rhodia, on l'a déjà dit il y a quelques années. La France doit se poser à nouveau la question de son ambition industrielle. Et c'est aussi important pour l'Europe. Dans la plupart des cas, les managers n'ont plus le souci de l'industrie et de la finalité du travail et des métiers. Or il faut absolument que, dans ce pays, on donne de vrais pouvoirs et de vrais moyens aux ingénieurs et aux cadres pour qu'ils puissent infléchir les statégies mises en oeuvre.