Texte de la QUESTION :
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M. Jean Marsaudon s'étonne auprès de M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État de la recevabilité des courriers anonymes adressés à certaines administrations. S'il est parfaitement compréhensible, et même souhaitable, que les services de sécurité (Police nationale, gendarmerie, DST, renseignements généraux, etc.) tiennent le plus grand compte des lettres qui leur parviennent sans que leurs auteurs aient indiqué leurs coordonnées, il est en revanche plus surprenant que les autorités judiciaires, fiscales ou sanitaires puissent accorder du crédit à ce type de courriers. En effet, ces dénonciations anonymes sont généralement motivées par de sordides vengeances, des règlements de comptes, des basses jalousies. Que des hautes administrations de l'État, comme le Trésor Public, le Parquet ou la DASS, puissent s'appuyer sur de telles pratiques pour ouvrir des enquêtes sur des entreprises, des familles ou des particuliers revêt un aspect quelque peu malsain qui rappelle des heures particulièrement sombres de notre histoire. Bien sûr, le fait dénoncé peut parfois être avéré et aboutir à une procédure à l'encontre de son auteur, mais la lettre anonyme n'a bien souvent d'autre fondement que de jeter méchamment la suspicion sur quelqu'un de parfaitement honnête. Si l'auteur de la dénonciation abusive n'encoure aucune poursuite puisqu'il est resté anonyme, la victime subit en revanche un important préjudice moral lorsqu'elle est confrontée aux enquêteurs, qui ne sont pas toujours discrets, alors qu'elle n'a rien à se reprocher. Il lui demande donc de bien vouloir expliquer quelles sont les règles en ce domaine et de préciser les mesures de précaution prises, ou susceptibles d'être mises en oeuvre, pour que la pratique des dénonciations anonymes ne devienne pas un moyen légal de nuire. - Question transmise à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
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Texte de la REPONSE :
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Le garde des sceaux, ministre de la justice, appelle l'attention de l'honorable parlementaire sur les dispositions de l'article 40 du code de procédure pénale aux termes desquelles « le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner ». En application de ces dispositions, le procureur de la République a le devoir d'apprécier, au cas par cas et in concreto, les suites qu'il convient de donner aux dénonciations qui lui sont adressées, y compris lorsqu'elles sont anonymes. La chambre criminelle de la Cour de cassation a ainsi eu l'occasion de rappeler que le procureur de la République avait le pouvoir d'ordonner une enquête sur tous les faits dont il avait connaissance quelle que soit l'origine de l'information, « les dispositions de l'article 40 ne comportant aucune restriction » (Crim. 30 juin 1999, Bull. n° 176). Toutefois, ces dispositions ne constituent pas un obstacle à la mise en cause de la responsabilité pénale de l'auteur de la dénonciation anonyme, si des investigations ordonnées par le procureur de la République permettent son identification. Dans une telle hypothèse, des poursuites judiciaires pourraient notamment être diligentées du chef de dénonciation calomnieuse ou de dénonciation mensongère, délits qui sont respectivement prévus et réprimés par les articles 226-10 et 434-26 du code pénal. De même, la dénonciation anonyme qui serait de nature à porter publiquement atteinte à l'honneur ou la considération d'une personne, pourrait être pénalement réprimée au titre de la diffamation envers un particulier, conformément aux dispositions de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse. En outre, les atteintes à la présomption d'innocence d'une personne, qui seraient occasionnées par une dénonciation anonyme, pourraient justifier la mise en oeuvre des dispositions de l'article 9-1 du code civil qui précisent que « lorsqu'une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l'insertion d'une rectification ou la diffusion d'un communiqué, aux fins de faire cesser l'atteinte à la présomption d'innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte ». De surcroît, la victime de tels agissements pourrait demander à exercer un droit de réponse dans les conditions précisées à l'article 13 de la loi du 29 juillet 1881.
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