Texte de la QUESTION :
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M. Jean-Claude Lefort attire l'attention de Mme la ministre déléguée aux affaires européennes sur l'avis du Conseil constitutionnel ayant à se prononcer sur le projet de traité européen établissant une Constitution pour l'Europe. Dans son avis, le Conseil constitutionnel indique que le nombre de domaines passant à la majorité qualifiée doublerait avec ce projet s'il était adopté. Il porterait ainsi, selon le Conseil constitutionnel, à 80 le nombre de ceux-ci. Ces décisions à la majorité qualifiée constituent autant d'éléments qui affectent « les conditions essentielles de la souveraineté nationale ». Cette dernière appartenant au peuple, il est important aussi bien dans le cadre de la révision de notre Constitution que pour la clarté du débat engagé par la procédure référendaire que nos concitoyens et leurs élus connaissent précisément l'ensemble des secteurs qui seront dépossédés de leur souveraineté si le projet était adopté. Le Conseil constitutionnel se bornant à indiquer un volume mais ne détaillant pas les 80 secteurs qui échapperaient à la souveraineté des Français et des Françaises en cas d'adoption de ce projet. Il demande de bien vouloir lui indiquer, avec précision et dans le détail, l'ensemble des secteurs qui sont censés, avec le projet de Constitution pour l'Europe, passer sous le régime de la majorité qualifiée, inclus ceux que le Conseil unanime pourrait décider de faire passer supplémentairement sous ce régime.
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Texte de la REPONSE :
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Dans le cadre du traité établissant une Constitution pour l'Europe, le vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil des ministres est étendu. Le traité constitutionnel étend tout d'abord le vote à la majorité qualifiée à une vingtaine de dispositions. Dans de nombreux cas, cette extension va de pair avec l'application de la procédure législative ordinaire (c'est-à-dire adoption conjointe du Conseil des ministres de l'Union et du Parlement européens) : article I-24 : présidences des formations du Conseil ; article I-37 : exercice des compétences d'exécution de la Commission article III-141 : accès aux activités non salariées et leur exercice ; article III-179 : coordination des politiques économiques ; article III-184 : constat d'un déficit excessif ; article III-187 : statut du système européen des banques centrales (SEBC) ; article III-223 : mission, objectif et organisation des fonds structurels et du fonds de cohésion ; article III-236 : politique commune des transports ; article III-263 : justice et affaires intérieures : coopération administrative ; article III-265 : contrôle aux frontières ; article III-266 : asile ; article III-267 : immigration ; article III-272 : prévention du crime ; article III-273 : Eurojust ; article III-275 : coopération policière non opérationnelle ; article III-276 : Europol III-280 ; culture article III-300 : initiatives du ministre des affaires étrangères, mise en oeuvre d'une action ou d'une position de l'Union III-311 : Agence européenne de défense ; article III-382 : nomination des membres du directoire de la Banque centrale européenne. Dans trois cas spécifiques, le traité constitutionnel prévoit la majorité qualifiée, mais inclut une clause spéciale dite de « frein de secours ». Elle s'applique dans le domaine de la libre circulation des travailleurs et dans deux domaines relevant de l'espace de liberté, de sécurité et de justice ; article III-136 : libre circulation des travailleurs, sécurité sociale ; article III-270 : coopération judiciaire en matière pénale ; article III-271 : rapprochement des normes pénales. Cette clause donne à un État membre qui estime que les principes fondamentaux de son système de sécurité sociale ou de son système juridique sont menacés la possibilité de faire appel au Conseil européen. Dans ce cas, le traité prévoit que la procédure législative est suspendue. Le Conseil européen doit débattre de la proposition en question, et, dans un délai de trois mois, soit renvoyer le projet au Conseil, qui continue la procédure en tenant compte des discussions au sein du Conseil européen ; soit demander à la Commission (ou, dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, aux États membres qui étaient à l'origine de la proposition) de présenter une nouvelle proposition, ce qui signifie que le projet initial est réputé non adopté. Dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, si la proposition ou le projet modifié reste bloqué pendant un certain délai, le traité constitutionnel prévoit la possibilité d'une coopération renforcée. Celle-ci peut être instaurée entre au moins un tiers des États membres, sur la base de la proposition en question. Le traité constitutionnel crée aussi un certain nombre de nouveaux articles où la majorité qualifiée est prévue. Parfois il s'agit d'une vraie innovation, et cela donne naissance à une nouvelle politique européenne, comme la politique spatiale. Dans d'autres cas, la Constitution crée seulement une base juridique propre pour des mesures qui ont déjà été adoptées à la majorité qualifiée sur une autre base juridique, par exemple dans le cas de l'aide humanitaire. Dans ces cas, le traité constitutionnel clarifie donc la pratique existante et la rend plus transparente : article I-47 : initiative populaire ; article I-54 : ressources propres ; article I-60 : retrait volontaire de l'Union ; article III-122 : service d'intérêt économique général ; article III-127 : protection diplomatique et consulaire ; article III-176 : propriété intellectuelle ; article III-196 : place de l'euro dans le système monétaire international ; l'article 196 prévoit que le Conseil peut prendre des décisions sur les positions communes concernant les questions qui revêtent un intérêt particulier pour l'union économique et monétaire, après consultation de la BCE ; article III-254 : politique spatiale ; article III-256 : énergie ; article III-281 : tourisme ; article III-282 : sport ; article III-284 : protection civile ; article III-285 : coopération administrative ; article III-312 : défense : coopération structurée permanente ; article III-321 : aide humanitaire ; article III-398 : administration de l'Union européenne. Enfin, une clause « passerelle » (passage de l'unanimité à la majorité qualifiée à la suite d'un vote à l'unanimité) est prévue dans les domaines suivants : la partie III (à l'exclusion du domaine de la défense) peut passer à la majorité qualifiée selon la procédure de révision simplifiée prévue à l'article IV-444. Le Conseil européen statue à l'unanimité et après approbation du Parlement européen qui se prononce à la majorité de ses membres. Tout parlement national, même s'il est seul à formuler sa demande, dispose du pouvoir de s'opposer à l'utilisation de la clause passerelle pendant un délai de six mois. Il y a de surcroît des clauses passerelles spécifiques pour des domaines déterminés : le Conseil peut décider à l'unanimité après consultation du Parlement de remplacer la procédure spéciale par la procédure législative ordinaire (et donc notamment la majorité qualifiée), et ce pour la politique sociale (III-210), l'environnement (III-234) et le droit de la famille (III-269) ; le Conseil peut étendre la champ d'application de la majorité qualifiée en matière de PESC (art. I-40 et III-300) ; enfin, le traité constitutionnel prévoit que des lois européennes ou des lois du Conseil peuvent réviser certains protocoles. Il s'agit des protocoles sur le statut du système européen des banques centrales, le statut de la Cour de justice de l'Union européenne (ex-CJCE), sur le procédure concernant les déficits excessifs, sur la BEI, sur les dispositions transitoires des deux protocoles relatifs aux traités d'adhésion (abrogation des dispositions obsolètes). La France, au sein de la Convention puis de la conférence intergouvernementale, a plaidé pour l'extension du vote à la majorité qualifiée dans le plus grand nombre de matières possibles. Dans le cadre d'une Union élargie, il s'agit en effet d'une exigence essentielle d'efficacité. Cette extension va de pair avec une refonte du mode de calcul de la majorité qualifiée, puisque le traité constitutionnel, dans son article I-25, modifie profondément le régime existant en lui substituant un système de double majorité. Du fait notamment du critère démographique, ce système a pour effet de renforcer significativement le poids relatif de la France dans le processus de décision au Conseil.
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