Texte de la REPONSE :
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L'honorable parlementaire a bien voulu interroger la ministre déléguée aux affaires européennes sur le droit applicable dans une affaire de succession à dimension transfrontalière. À ce jour, les questions de succession à dimension transfrontalière n'ont pas été traitées au niveau de l'Union européenne. Les chefs d'État et de gouvernement européens ont décidé d'inclure ce sujet parmi les objectifs du nouveau programme pluriannuel en matière de justice et d'affaires intérieures, dit de La Haye, adopté en novembre dernier. Dans le prolongement de ce programme, il est prévu que la Commission européenne dépose en 2006 un projet visant à harmoniser les règles de détermination de la loi applicable dans ce type d'affaires. Cette question relevant de la Chancellerie, la ministre prie l'honorable parlementaire de prendre connaissance des éléments apportés en liaison avec les services du garde des sceaux. En droit international privé français, la matière successorale est rattachée au statut réel et non au statut personnel, contrairement à la conception en vigueur dans les droits espagnol, italien et allemand, et plus proche en revanche de la conception territorialiste qui a cours dans la common law, la plus éloignée de la conception personnaliste. La loi applicable à la succession sur des biens immobiliers est donc la loi du lieu de situation des immeubles (lex rei sitae), tandis qu'en matière mobilière la loi applicable est celle du lieu du domicile du de cujus, fictivement considéré comme le lieu de situation de ses biens mobiliers. Ces règles, qui concernent les successions ab intestat, sont étendues en droit français aux successions testamentaires pour cette même raison de rattachement du domaine successoral au statut du droit des biens. Ces règles portent atteinte au principe de l'universalité du patrimoine comme à celui de l'unicité de la succession, puisque dans le cas d'une succession transfrontalière, selon leur nature et leur situation, les biens connaîtront un sort différent, le morcellement jouant non seulement sur la loi applicable, mais également sur la compétence du tribunal. En effet, si un actif successoral inclut plusieurs immeubles situés dans des pays différents, les tribunaux français ne se reconnaîtront compétents que pour régler le sort de celui ou ceux situés en France, et ne connaîtront pas du devenir d'un immeuble qui serait par exemple situé en Angleterre. Le fait que la loi applicable soit la loi française et, pour l'immeuble français, la loi anglaise, a l'avantage d'assurer l'intégrité du processus de transmission entre l'ouverture de la succession, l'administration et le partage : en effet, les conceptions sur ce point sont très variables d'un pays à un autre ; plus particulièrement, le droit français considère que l'héritier succède à la personne du défunt, en sorte qu'il administre et liquide lui-même la succession, en assumant la responsabilité qui va de pair avec ses pouvoirs. Dans le système de common law, le successible ne succède qu'aux biens, en sorte que le règlement successoral ne lui incombe pas, mais est confié à un exécuteur testamentaire ou à un administrateur dont les pouvoirs et la responsabilité corrélative sont limités. Il est quasiment impossible de « mixer » ces systèmes, et c'est la raison pour laquelle on préfère maintenir celle liaison « verticale » au détriment des liaisons « horizontales » qui découlent des principes sus énoncées (universalité du patrimoine et unicité de la succession). La situation n'est pas sans inconvénient, en particulier le renoncement au principe d'unité du patrimoine peut porter atteinte au jeu de règles essentielles de notre droit interne, tels l'égalité successorale et le mécanisme de la réserve : si l'on reprend l'exemple de la succession dans laquelle un immeuble est en France et l'autre en Angleterre, la liberté de tester qui a cours en Angleterre s'appliquera à l'immeuble anglais, par le legs duquel le de cujus aura pu, par exemple, favoriser l'un de ses héritiers ou gratifier un tiers sans se préoccuper de la question de la réserve - ignorée de la common law -, tandis que celle-ci sera prise en compte dans le règlement de la succession sur l'immeuble français. Plus concrètement encore, en admettant que les deux immeubles aient la même valeur et que le de cujus les ait légués à l'un et l'autre de ses deux enfants, celui qui hérite de l'immeuble anglais pourra invoquer ses droits d'héritier réservataire sur l'immeuble français sans que la réciproque puisse jouer en faveur de l'autre sur l'immeuble anglais. En matière mobilière, la difficulté provient de ce que la règle de conflit reposant sur une fiction (localisation de ces biens au domicile du de cujus), des biens meubles - comptes en banques, titres...), les biens peuvent se trouver de fait localisés dans un pays qui n'est pas celui de la loi applicable. Il est ainsi évident que le règlement des successions internationales se heurte à d'importantes difficultés liées notamment à la question de la loi applicable. Une tentative d'harmonisation a été faite avec la convention de la Haye du 1er août 1989, qui consacre le principe de l'unité de la succession soumise à la loi de résidence habituelle du défunt si elle coïncide avec la loi de sa nationalité, ou si cette résidence a duré cinq ans au moins ; à défaut, s'applique la loi nationale. Cette alternative ne s'applique cependant qu'à défaut de choix de la loi applicable, qui peut s'exprimer en faveur soit de la loi nationale, soit en faveur de la loi de la résidence habituelle lors de la désignation ou lors du décès. Cependant cette convention est restée lettre morte faute de ratifications (seuls les Pays-Bas l'ont à ce jour ratifiée, et elle n'est signée que par trois autres États). La France reste hostile à laisser l'autonomie de la volonté jouer en la matière, le choix de la loi applicable, dans le souci de ne pas permettre un contournement des règles de la dévolution successorale et la réserve. L'Union européenne, consciente de la nécessité d'améliorer les choses, a inscrit la question du règlement des successions internationales au programme de la Haye. La Commission vient de publier un livre vert, soumis actuellement et jusqu'au 15 septembre prochain à la consultation des États membres et de toutes parties intéressées, dans la perspective de proposer courant 2006 un instrument communautaire qui devrait porter, entre autres, sur l'harmonisation des règles de détermination de la loi applicable.
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