Texte de la REPONSE :
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La déclaration de Doha et plus généralement les traités de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) font référence à des dispositions dites de « traitement spécial et différencié » permettant d'accorder aux pays en développement un traitement plus favorable qu'aux pays développés (par exemple : des réductions de droits de douane moins fortes, une période de mise en oeuvre plus longue, des procédures simplifiées...). Par ailleurs, l'actuel cycle de négociations, lancé à Doha en 2001, met l'accent sur le développement, à la fois pour parvenir à des règles plus justes dans le commerce mondial et parce que le commerce est un des facteurs du développement économique. Lors de la réunion de Hong Kong, les États membres de l'OMC ont pris des décisions importantes pour favoriser le développement des pays les plus pauvres : 1. il a été décidé d'octroyer aux pays les moins avancés un accès en franchise de droits et de quotas pour les pays développés et les pays en voie de développement qui le peuvent, à l'instar de ce que fait l'Union européenne avec le régime « Tout sauf les armes », pour 97 % des produits ; 2. l'élimination des aides à l'exportation, des droits de douane et des quotas sur le coton, ce qui profitera notamment aux pays africains ; l'accord n'a pas porté, en revanche, sur des avancées supplémentaires en matière de subventions internes distorsives, malgré la condamnation de l'ensemble des aides américaines au coton par l'OMC en mars 2005 ; 3. l'annonce par les grands acteurs développés (États-Unis, Union européenne, Japon) des montants supplémentaires d'aide au commerce (« aid for trade ») afin d'aider les pays les plus vulnérables à développer leurs capacités d'exportation et/ou diversifier leurs économies. Ces mesures en faveur des pays les moins avancés, créant une sorte de « traitement spécial et différencié » renforcé, sont nécessaires. En effet, si la libéralisation commerciale permet d'ores et déjà d'élever le niveau de revenu des grands pays dits « émergents » (comme la Chine, l'Inde, le Brésil), et donc de permettre la régression de la pauvreté dans ces pays, il n'est pas sûr que les pays les moins avancés ou l'Afrique en tirent automatiquement parti. Ceux-ci n'ont souvent pas de base économique exportatrice et ne peuvent se lancer sur les marchés mondiaux, quand bien même ces derniers seraient libéralisés. Deuxièmement, ils seront victimes de l'« érosion des préférences » : le bénéfice qu'ils tirent de l'accès préférentiel notamment au marché européen (« Tout sauf les armes », accords de Cotonou avec les pays Afrique, Caraïbes, Pacifique, système de préférences généralisées...) se réduit au fur et à mesure de la baisse des droits de douane « erga omnes ». Troisièmement, les pays importateurs nets de produits agricoles pourraient subir la hausse des prix mondiaux de certains produits. Enfin, la concurrence de pays émergents très compétitifs (Chine, Brésil) sera plus forte, y compris sur leurs marchés intérieurs. Il est donc probable que la libéralisation commerciale permettra de réduire la pauvreté, notamment en Chine, mais qu'elle l'augmentera en Afrique, sans qu'on puisse dire dans quel sens ira l'effet net. De même, la libéralisation agricole n'est pas automatiquement favorable au développement, contrairement à une idée reçue. Elle l'est pour les pays en voie de développement exportateurs de produits agricoles, comme le Brésil, l'Argentine ou la Thaïlande. Elle pourrait en revanche s'avérer défavorable aux pays dont l'agriculture vivrière est importante et peu compétitive, comme l'Inde mais aussi de nombreux pays d'Afrique ou d'Asie. C'est pourquoi ces pays demandent, dans la négociation agricole, à pouvoir bénéficier de « produits spéciaux » qui ne seraient pas ouverts à la concurrence ainsi que d'un mécanisme de sauvegarde spécial pour lutter contre l'instabilité des cours. La France en soutient le principe car elle est particulièrement sensible aux problématiques liées à la sécurité alimentaire et au droit d'un pays de mener une politique agricole. Toutefois, ces objectifs ne pourront être atteints qu'en respectant pleinement les dispositions de l'accord cadre de 2004, et en fixant des critères parfaitement objectifs qui présideront à la détermination des produits spéciaux. Quant au mécanisme de sauvegarde spécial, la France en soutient également le principe. Les pays importateurs nets de produits agricoles, particulièrement les plus vulnérables d'entre eux, devront donc faire face à des coûts supplémentaires (de + 4 à + 12 % selon l'OCDE). La réunion de Hong Kong a débouché sur d'importants progrès, du point de vue des pays en développement, sur ces deux questions. Finalement, le « traitement spécial et différencié » tel qu'il existe aujourd'hui à l'OMC ne correspond plus à la nouvelle géographie économique du monde. Les intérêts des pays les plus pauvres, d'une part, et des pays émergents, d'autre part, sont désormais divergents et la question du commerce Sud-Sud prend de plus en plus d'importance. Selon un très récent rapport de la FAO, les meilleurs gains potentiels que les pays en développement pris dans leur ensemble pourraient tirer de la libéralisation agricole dériveraient non pas de la réforme du système de soutien à l'agriculture des pays de l'OCDE mais de leurs propres politiques de réformes agricoles, qui encourageraient les échanges commerciaux entre eux. De 70 à 85 % des bénéfices potentiels découleraient de ces réformes. Pour pouvoir traiter ces questions à l'Organisation mondiale du commerce, il faudrait différencier les pays en développement en catégories plus fines que ce qui existe aujourd'hui (pays les moins avancés, autres pays en développement) pour que les engagements varient avec le stade de développement. Les pays émergents comme le Brésil ou la Chine, qui se positionnent comme des leaders d'un « tiers monde » à l'unité pourtant de plus en plus problématique, s'opposent résolument, et pour l'instant avec succès, à une telle différenciation.
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