DÉLIVRANCE DE COPIES D'ACTE DE NAISSANCE
EN CAS D'ADOPTION
M. le président. La
parole est à M. Georges Ginesta, pour exposer sa question, n° 88, relative
à la délivrance de copies d'acte de naissance en cas d'adoption.
M. Georges Ginesta.
Monsieur le secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice, ma
question concerne la délivrance de copies d'acte de naissance en cas
d'adoption.
Mes chers collègues,
vous n'êtes pas sans vous rappeler les débats qui ont eu lieu dans cette
enceinte même et qui - cela fait presque un an - ont donné naissance à la loi du
22 janvier 2002 relative à l'accès aux origines des personnes adoptées et
pupilles de l'Etat. Ce texte fut l'objet d'un large consensus tant sur les bancs
de l'Assemblée nationale que sur ceux du Sénat et fut voté à l'unanimité et la
chose est assez rare pour mériter d'être soulignée.
Certes, l'accouchement sous X a été
maintenu, mais la philosophie du texte et les dispositions prises sont
suffisamment explicites pour permettre d'affirmer que le droit de connaître ses
origines a enfin été reconnu et officialisé dans notre droit positif.
Vous le savez, monsieur le
secrétaire d'Etat, la question est sensible et l'enjeu pour les personnes
intéressées crucial. Offrir la possibilité à des femmes dans la détresse de
pouvoir accoucher anonymement et dans la discrétion la plus absolue est une
nécessité ; permettre à des hommes et à des femmes d'accéder à la connaissance
de leurs origines l'est tout autant. Il est certain que le temps est un facteur
déterminant qui, malheureusement, n'a peut-être pas toujours été pris
suffisamment en compte. Le temps apaise, les situations évoluent, la vie fait
son chemin. Lorsque trente ou quarante années se sont écoulées depuis les faits,
lorsque les cicatrices se sont refermées, lorsque la paix est revenue, n'est-il
pas légitime de vouloir connaître ce qui s'est passé ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, il
ne faut pas ignorer la faculté de l'homme à pardonner. Les enfants adoptés, qui
sont devenus des hommes et des femmes, sont reconnaissants envers les
institutions de leur avoir offert la possibilité de trouver des parents
adoptifs. Ils le sont également envers leurs parents d'origine de leur avoir
donné la vie. Ils le sont évidemment aussi envers leurs parents adoptifs d'avoir
pris soin d'eux et de les avoir élevés. Mais ils continuent à souffrir
cruellement du silence que l'on s'obstine à maintenir autour de leurs origines,
du mutisme de ces mêmes autorités qui les enferment dans l'ignorance d'une
partie de leur histoire personnelle. Monsieur le secrétaire d'Etat, rares sont
parmi nous ceux qui savent quelle sera leur destinée ultime. Pensez combien cela
peut être traumatisant de ne pas savoir d'où l'on vient ! L'angoisse des
origines rejoint alors celle, métaphysique, liée à la mort et vous enferme dans
l'incertitude permanente.
Or,
les registres de l'état civil ou les archives des services de l'aide sociale à
l'enfance dans les départements conservent, souvent sans même le savoir, une
trace du passé, un témoignage ténu permettant d'apaiser les déchirures de la vie
et de renouer avec son histoire.
Monsieur le secrétaire d'Etat, les
meilleures volontés butent sur une difficulté juridique sérieuse. En effet, il
ressort de l'article 9 du décret n° 62-921 du 3 août 1962, modifié par le décret
n° 97-852 du 16 septembre 1997, que « toute personne majeure ou émancipée peut
obtenir, sur indication des nom et prénom usuels de ses parents, des copies
intégrales de son acte de naissance ou de mariage ». Le texte est clair et ne
souffre aucune ambiguïté.
Or
cette disposition réglementaire se heurte dans sa mise en oeuvre à l'instruction
générale sur l'état civil IGEC n° 197-8 établissant des règles spécifiques
lorsque les demandes sont formulées par des personnes faisant état d'une
adoption.
Cette instruction, qui
n'a pas été revue depuis l'adoption de la loi du 22 janvier 2002, est
en décalage complet avec la philosophie qui prévaut aujourd'hui. Le principe
qu'elle véhicule - celui du secret le plus absolu et le plus définitif -
constitue un anachronisme au mépris même de la souffrance de ceux qui cherchent
une réponse à leurs questions. De plus, elle ne prend pas en compte toutes les
situations possibles et reste silencieuse sur le cas où l'intéressé fait état de
son adoption, signale donc sa filiation adoptive mais sans pouvoir fournir son
nom d'origine.
Il est évident
que cet oubli dans l'instruction ouvre une brèche juridique qui, à elle seule,
justifierait la délivrance systématique de la copie intégrale de l'acte de
naissance si l'on se fonde sur le seul décret du 3 août 1962.
Or l'hostilité des services de
l'état civil qui se réfèrent à la seule IGEC reste d'autant plus
incompréhensible que la loi du 22 janvier 2002, en créant le Conseil
national pour l'accès aux origines personnelles, le CNAOP, a clairement voulu
instituer une nouvelle instance chargée de jeter un pont entre les personnes
nées sous X et leur passé. Il est donc impératif que son travail
d'investigation et de recueil des éléments des dossiers ne soit pas contrecarré
par un texte obsolète et incomplet.
C'est pourquoi, monsieur le
secrétaire d'Etat, nous avons besoin de votre éclairage et de votre
interprétation de la situation : lequel du décret ou de l'instruction doit être
retenu ? Dans la mesure où le droit actuel pêche par manque de clarté, ne
serait-il pas sage de permettre au CNAOP d'arbitrer et de lui reconnaître la
possibilité d'avoir accès aux registres de l'état civil ou d'en obtenir des
copies intégrales sous le contrôle évidemment des procureurs de la République ?
Une circulaire à l'adresse de ceux-ci pourrait être opportune afin de clarifier
la situation ainsi qu'une mise à jour de l'instruction générale sur l'état
civil.
M. le président. La
parole est à M. le secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la
justice.
M. Pierre Bédier, secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de
la justice. Monsieur le député, vous évoquez avec beaucoup d'émotion les
difficultés de délivrance des copies intégrales d'actes de naissance aux
personnes adoptées et toutes les conséquences psychologiques douloureuses
qu'elles induisent.
La question
de l'accès aux renseignements contenus dans les registres d'état civil a pris
effectivement une acuité particulière depuis l'entrée en vigueur de la loi du
22 janvier 2002. Ce texte a en effet instauré le conseil national pour
l'accès aux origines personnelles mis en place par mon collègue Christian Jacob
et destiné à faciliter les démarches des personnes nées sous X. Or il est
essentiel que ce conseil national puisse disposer, je veux le confirmer, de la
copie intégrale de l'acte de naissance du demandeur, dans la mesure où celle-ci
constitue la preuve de son identité et recèle des informations utiles pour
l'instruction du dossier.
Ainsi
que vous l'avez souligné, la délivrance des pièces d'état civil est régie par le
décret du 3 août 1962, aux termes desquels toute personne majeure peut
obtenir, sur indication des noms et prénoms usuels de ses parents, une copie
intégrale de son acte de naissance. Il n'est fait exception à cette règle que
pour l'acte de naissance originaire d'un enfant adopté en la forme plénière, en
application de la loi du 12 juillet 1966. Cet acte est en effet
considéré comme nul selon l'article 354 du code civil. En revanche, tous
les autres actes de naissance, y compris ceux reconstitués après adoption, quels
que soient la date de celle-ci et le régime juridique qui lui est applicable,
peuvent être délivrés dans les conditions du décret du 3 août 1962.
A cet égard, les dispositions du
paragraphe 197-8 de l'instruction générale relative à l'état civil recèle
des ambiguïtés qui ont conduit certaines municipalités à refuser, de manière
totalement infondée, je veux le souligner, de délivrer de telles copies. Lorsque
la personne a fait l'objet d'une légitimation adoptive et qu'elle n'indique pas
son nom d'origine, ce qui est précisément le cas lorsque l'adopté est à la
recherche de ses parents de naissance, le paragraphe 197-8 prescrit aux
services d'état civil de ne délivrer qu'un extrait, lequel ne comporte aucune
mention relative au jugement d'adoption ou de soumettre la demande à
l'appréciation du procureur de la République.
Ce dispositif procède d'une
conception de l'adoption reposant sur le secret. Or seule la filiation d'origine
est susceptible de demeurer secrète dans l'hypothèse où la mère demande à
accoucher sous X. Les dispositions du paragraphe 197-8 reposent donc
sur une interprétation par trop extensive. Elles ont pour effet, vous l'avez
souligné, de compliquer des démarches déjà difficiles et souvent extrêmement
douloureuses pour des personnes qui, en tout état de cause, par le fait même
qu'elles veulent connaître leurs origines, savent qu'elles ont été adoptées.
En conséquence, des instructions
seront prochainement données aux parquets pour remédier à l'interprétation que
certains officiers de l'état civil font actuellement de ce texte et permettre la
délivrance des copies intégrales des actes de naissance dans les conditions
prévues par le décret du 3 août 1962. Je tiens, monsieur le député, à
vous remercier d'avoir appelé notre attention sur ce sujet extrêmement
délicat.