Texte de la QUESTION :
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M. Daniel Paul interroge M. le ministre délégué à l'industrie sur le groupe Alstom qui a fabriqué les groupes turboalternateurs des 58 tranches du parc nucléaire français. Tout le monde connaît aujourd'hui la situation critique de ce groupe, liée plus à des choix financiers qu'industriels. Des plans de licenciement sont en cours, notamment à Alstom Belfort, concernant 600 salariés et des milliers d'emplois induits sur le territoire national, compte tenu de l'importance que représentent les activités du groupe. Ils s'ajouteraient aux suppressions d'emplois qui se multiplient en France dans les secteurs énergétiques, alors que des perspectives industrielles s'ouvrent concrètement avec la décision de réaliser l'EPR, qui devrait être l'occasion de relancer l'activité chez Alstom et de redonner des perspectives aux salariés. La logique industrielle voudrait en effet que soit maintenue et développée, dans notre pays, un pôle d'excellence technique proche des lieux de production d'EDF. Cette même logique voudrait aussi que soient préservés et encouragés les savoir-faire et les compétences indispensables pour la production de pièces sensibles des centrales nucléaires. C'est d'ailleurs cette même logique qui a toujours prévalu et amené EDF à refuser que ces fabrications soient réalisées hors de France. Comment expliquer, dès lors, le silence d'EDF sur la décision d'Alstom de transférer la fabrication des diaphragmes - éléments essentiels des centrales - à Morelia, au Mexique ? Comment, dès lors, assurer la fiabilité et la sécurité qui doivent être au coeur de la chaîne du nucléaire, sans les compétences et les savoir-faire qui naissent de l'expérience ? Quelle fiabilité accorder à un appel d'offres international dans les conditions actuelles de fragilité d'Alstom, quand tous les consultés seront prêts à prendre tous les risques - et donc à faire prendre à EDF des risques lourds - pour supprimer chez Alstom, leur principal concurrent, un pan d'activité sur lequel sa compétence est reconnue ? L'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité et le changement du statut d'EDF ont-ils à ce point changé la « donne » industrielle que l'État, actionnaire principal d'EDF, ne pourrait plus, ou ne voudrait plus, jouer tout son rôle, pour assurer à la tranche EPR la fiabilité indispensable à son succès. Est-ce la fin du rôle central de grandes entreprises publiques, comme EDF, dans le soutien au tissu industriel, dans la constitution de compétences fortes à travers notre pays ? Le maintien sur Belfort de l'activité diaphragmes, et dans notre pays de telles fabrications sensibles, garantirait notre indépendance énergétique et le savoir-faire de nos entreprises ; il serait la conséquence logique du soutien apporté à Alstom et de la réaffirmation de l'importance de la filière nucléaire dans la production électrique en France ; il indiquerait que la rentabilité financière ne prend pas le pas sur une politique industrielle soucieuse des emplois et de la sécurité des installations dans notre pays. C'est la raison pour laquelle il lui demande de réexaminer sa position sur ce dossier.
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Texte de la REPONSE :
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AVENIR DU SITE ALSTOM DE BELFORT
M. le président. La parole est à M. Daniel Paul, pour exposer sa question, n° 988, relative à l'avenir du site Alstom de Belfort.
M. Daniel Paul. Monsieur le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, Alstom a fabriqué les groupes turboalternateurs des cinquante-huit tranches du parc nucléaire français. Tout le monde connaît aujourd'hui la situation critique de ce groupe, liée à des choix plus financiers qu'industriels. Des plans de licenciement sont en cours, notamment à Belfort, concernant six cents salariés et des milliers d'emplois induits sur le territoire national, compte tenu de l'importance que représentent les activités de ce groupe. Laisser faire serait accepter un véritable gâchis de savoir-faire et d'emplois qualifiés.
Ces licenciements s'ajouteraient aux suppressions d'emplois qui se multiplient en France dans les secteurs énergétiques, alors que des perspectives industrielles s'ouvrent concrètement avec la décision de réaliser l'EPR, qui devrait être l'occasion de relancer l'activité chez Alstom et de redonner des perspectives aux salariés.
La logique industrielle voudrait, en effet, que soit maintenu et développé, dans notre pays, un pôle d'excellence technique proche des lieux de production d'EDF. Elle voudrait aussi que soient préservés et encouragés les savoir-faire et les compétences indispensables pour la production de pièces sensibles des centrales nucléaires. C'est d'ailleurs cette même logique qui a toujours prévalu et qui a amené EDF à refuser que ces fabrications sensibles soient réalisées hors de France.
Comment expliquer, dès lors, le silence d'EDF sur la décision d'Alstom de transférer la fabrication des diaphragmes - éléments essentiels des centrales - à Morelia, au Mexique ? Comment, dès lors, assurer la fiabilité et la sécurité qui doivent être au coeur de la chaîne du nucléaire, sans les compétences et les savoir-faire qui naissent de l'expérience ? Quelle fiabilité accorder à un appel d'offre international dans les conditions actuelles de fragilité d'Alstom, quand tous les consultés seront prêts à prendre tous les risques - et donc à faire prendre à EDF des risques lourds - pour supprimer, chez Alstom, leur principal concurrent, un pan d'activité sur lequel la compétence de ce groupe est reconnue ?
L'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité et la modification du statut d'EDF ont-ils à ce point changé la donne industrielle que l'État, actionnaire principal d'EDF, ne puisse plus, ou ne veuille plus, jouer tout son rôle, pour assurer à la tranche EPR la fiabilité indispensable à son succès ? Est-ce la fin du rôle central de grandes entreprises publiques comme EDF ou la SNCF dans le soutien au tissu industriel et dans la constitution de compétences fortes à travers notre pays ?
Le maintien sur Belfort de l'activité diaphragmes et dans notre pays de telles fabrications sensibles garantirait notre indépendance énergétique et le savoir-faire de nos entreprises ; il serait la conséquence logique du soutien apporté à Alstom et de la réaffirmation de l'importance de la filière nucléaire dans la production électrique en France ; il indiquerait, enfin, que la rentabilité financière ne prend pas le pas sur une politique industrielle soucieuse des emplois et de la sécurité des installations dans notre pays.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, porte-parole du Gouvernement.
M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, porte-parole du Gouvernement. Monsieur Daniel Paul, vous m'interrogez sur la situation du groupe Alstom. Vous savez que, sur ce dossier, nous revenons de très loin ! En effet, le Gouvernement a négocié très fermement auprès de la Commission européenne afin d'obtenir les meilleures conditions de redressement pour cette grande entreprise française - sans provoquer de catastrophe sur les plans industriel et social - au regard de la situation dans laquelle elle se trouvait lorsque nous sommes arrivés aux affaires en 2002.
L'accord trouvé avec Bruxelles est un bon accord pour trois raisons : d'abord, parce que, grâce à cet accord, Alstom ne sera pas démantelé, ce qui était essentiel et souhaité sur tous les bancs de cet hémicycle, et qu'aucun site industriel en France ne fermera ; ensuite, parce que la Commission a autorisé la France à doter Alstom des moyens financiers nécessaires par une augmentation de capital ; enfin, parce que quatre années sont accordées à l'entreprise pour nouer des partenariats industriels.
J'ajoute que le projet de loi de finances rectificative pour 2004 comporte une mesure qui vise à octroyer la garantie de l'État à la Caisse française de développement industriel dans le cadre du plan de financement d'Alstom.
S'agissant de la réorganisation du groupe, la direction essaie de faire les choix les plus appropriés en tenant compte des meilleures compétences de chaque site et de la nécessité de rester compétitif sur le marché mondial. Si la compétence nucléaire du groupe est à Belfort, cela ne veut pas dire pour autant que ce site a vocation à fabriquer toutes les pièces nécessaires pour équiper une centrale nucléaire. Aussi a-t-il été décidé que les diaphragmes, qui sont de simples pièces mécanosoudées, seront fabriqués par le site Alstom de Morelia, au Mexique. Je précise que ce site les fabrique déjà depuis plusieurs années dans le cadre de la rénovation des centrales nucléaires.
Cette politique de spécialisation des sites en fonction des compétences, qui relève de la responsabilité et de la décision de l'entreprise, doit permettre à cette dernière de rester compétitive et de répondre, avec les meilleures chances de succès, aux appels d'offres internationaux. C'est ainsi que nous pouvons nous féliciter du contrat de 700 millions d'euros remporté, il y a quinze jours, par Alstom, en Thaïlande, pour y construire une centrale à cycle combiné.
Le Gouvernement a vocation à accompagner ces mutations. Il a obtenu l'implantation d'un centre d'appel sur Belfort. Cette activité nouvelle va créer, directement ou indirectement, plusieurs centaines d'emplois, compensant ainsi les deux cents suppressions de postes au sein de l'unité belfortaine d'Alstom.
Vous évoquez, enfin, l'EPR. Je profite de l'opportunité que vous m'offrez pour saluer le travail réalisé à l'Assemblée nationale, dans le cadre de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, par vos collègues, M. Birraux et M. Bataille. Leur rapport préconisait, en effet, la construction d'un démonstrateur tête de série EPR. Nul doute que la décision de réaliser l'EPR permettra de maintenir dans le domaine nucléaire les compétences des différents acteurs français sur les segments à haute valeur ajoutée, ce qui n'est pas le cas des diaphragmes, vous le savez bien.
Vous le voyez, monsieur le député, si chacun peut porter son propre jugement sur la politique industrielle que nous menons - c'est tout à fait légitime -, il n'en faut pas moins reconnaître que le mot qui la qualifie le mieux est celui de pragmatisme. Nous travaillons dans l'intérêt de notre industrie et des grands groupes qui sont les fleurons de notre économie par la compétence des hommes et des femmes qui y travaillent et par leur capacité à la fois à investir et à créer des emplois, en France en particulier.
De ce point de vue, toutes les décisions prises par le Gouvernement depuis 2002 en partenariat avec cette grande entreprise, qui a connu de grandes difficultés et qui n'a pas encore atteint le stade du redressement dynamique que nous lui souhaitions, vont dans le bon sens. Je crois vous en avoir fait la démonstration à travers les exemples concrets que je vous ai donnés. Notre rôle à tous est de faire en sorte, maintenant, que les choses aillent dans le sens que nous souhaitons tous pour cette très grande entreprise française qu'est Alstom.
M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.
M. Daniel Paul. Monsieur le ministre, je vous remercie de cette réponse. Toutefois, vous ne répondez pas à l'inquiétude des salariés de Belfort, qui est aussi la mienne, quant à l'évolution du rôle des grandes entreprises donneuses d'ordres, comme EDF, la SNCF et un certain nombre d'autres, qui, depuis une cinquantaine d'années, ont contribué à l'aménagement du territoire au plan industriel.
De ce point de vue, EDF a été exemplaire, faisant en sorte de maîtriser, en les produisant sur le territoire national, les éléments essentiels de la fabrication de ces outils sensibles que sont les centrales nucléaires.
Depuis plusieurs années, Alstom a décidé de transférer cette production vers le Mexique. Il se trouve, monsieur le ministre, que, depuis des années, EDF n'a pas construit de centrale nucléaire, et celle de Flamanville - la tranche EPR - sera la première depuis longtemps. Or se profile la perspective du renouvellement du parc. EDF n'en aura donc plus la maîtrise sur le territoire national, avec le développement qui en résultait en termes d'emplois, de valeur ajoutée, de compétences et de savoir-faire.
Je vous fais part de mon inquiétude sur le devenir de ces sites répartis sur le territoire national, ainsi que pour les sous-traitants d'EDF comme pour ceux d'Alstom. Je m'interroge aussi, en tant que Normand - Flamanville étant située en Normandie -, sur la sécurité de ces centrales dès lors que nous n'aurons plus la maîtrise totale de leur mode de fabrication.
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