Texte de la QUESTION :
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M. Patrick Braouezec interroge M. le ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, sur l'importance de faire la lumière à propos de la complicité française dans le génocide des Tutsis du Rwanda le 7 avril 1994 au nom de la vérité et de la justice. D'avril à juillet 1994, ce génocide a fait entre 800 000 et un million de victimes, massacrées parce qu'elles étaient tutsi. Il a aussi coûté la vie à des milliers de Hutus opposés à l'extermination de leurs compatriotes. Dix-sept ans après, la France doit regarder en face son histoire avec le Rwanda. Dix-sept ans après, des dizaines de présumés génocidaires coulent des jours paisibles en France. Une vingtaine d'entre eux sont poursuivis devant nos tribunaux, mais notre justice, par manque de moyens et de volonté, avance à pas de fourmi, à tel point que la France a été condamnée, en juin 2004, par la Cour européenne des droits de l'Homme « pour retard apporté à rendre la justice ». Dix-sept ans après, la veuve du président rwandais, dont l'assassinat, le 6 avril 1994, donna le signal du déclenchement du génocide, vit toujours en France. Sa demande d'asile a pourtant été rejetée par la plus haute juridiction administrative. Dans son arrêt, le Conseil d'État a estimé que « la commission de recours des réfugiés a énoncé de manière détaillée et abondante les motifs pour lesquels elle retenait que le génocide commis au Rwanda avait été préparé et planifié par les responsables au pouvoir avant le 6 avril 1994 et que [...] avait joué un rôle central dans cette planification ainsi que dans les évènements qui se sont déroulés durant les premiers jours du génocide entre le 6 et le 9 avril 1994 et était ensuite restée en contact avec le gouvernement intérimaire puis le gouvernement rwandais en exil ». Évacuée par nos soldats au tout début du génocide, elle avait été accueillie à Paris par un bouquet de fleurs et 200 000 francs pris sur le budget du ministère de la coopération. Une information judicaire a été ouverte contre elle en mars 2008, mais cette enquête connaît peu d'avancées à ce jour. Dix-sept ans après, la création d'un pôle d'instruction spécialisé dans les crimes de génocide, annoncée en octobre 2009 par Madame Alliot-Marie, alors garde des sceaux, est toujours à l'état de projet. Dix-sept ans après, aucun présumé génocidaire n'a encore été jugé par une juridiction française, contrairement à ce qui s'est passé en Suisse, au Canada, en Belgique, aux Pays-Bas et récemment en Allemagne. Dix-sept ans après, neuf plaintes contre X, visant des militaires français, sont toujours à l'instruction devant le tribunal aux armées de Paris. Elles ont été déposées par des victimes tutsi pour « complicité de génocide et complicité de crime contre l'humanité ». Elles concernent des soldats français ayant participé à l'opération « humanitaire » Turquoise. Dix-sept ans après, des pans entiers de l'implication française dans le génocide des Tutsis sont couverts par le secret défense. Ce secret défense empêche la vérité historique de s'écrire et la justice d'avancer, alors que sont soupçonnés de complicité dans le dernier génocide du XXe siècle un cercle restreint de responsables politiques et militaires. En conclusion, il aimerait savoir ce que le Gouvernement compte faire pour que soit connu le rôle exact du Gouvernement et de l'armée au Rwanda entre 1990 et 1994 de façon à ce que la justice soit rendue dans les meilleurs délais.
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Texte de la REPONSE :
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L'action du gouvernement français au moment du génocide d'avril 1994 a été analysée en détail par la mission d'information parlementaire, présidée par M. Quilès. S'interrogeant sur l'analyse des responsabilités dans le drame rwandais, la mission d'information parlementaire a souligné sans ambiguïté, en 1998, que, « face à la montée de la violence et des massacres, la France n'a en aucune manière incité, encouragé, aidé ou soutenu ceux qui ont orchestré le génocide et l'ont déclenché dans les jours qui ont suivi l'attentat ». Les réponses aux interrogations de l'honorable parlementaire sur le rôle de la France se trouvent pour l'essentiel dans le rapport de la mission d'information parlementaire de 1998, dans lequel de nombreux documents et correspondances, officiels et déclassifiés, de l'époque ont contribué à une critique serrée des mécanismes de ce drame. Il faut souligner que le ministre des affaires étrangèr es de l'époque a été le premier responsable à parler de « génocide », en mai 1994, et que la France a été le seul pays occidental à mettre en oeuvre la résolution 929 du Conseil de sécurité, votée à l'unanimité, pour assurer la protection des civils. Le Président de la République a mis l'accent sur la nécessité de regarder désormais vers l'avenir. C'est la raison de sa visite au Rwanda, le 25 février 2010. L'action du ministère des affaires étrangères et européennes s'inscrit dans ce cadre. S'agissant des actions judiciaires, le ministère des affaires étrangères souligne la nécessité de laisser la justice suivre son cours. Comme l'a dit le Président de la République à Kigali : « Y a-t-il des responsables du génocide en France ? C'est à la justice de le dire. Nous sommes tenus par l'indépendance de la justice, par son calendrier, par ses procédures, mais notre volonté est que tous les génocidaires soient punis. » La France collabore pleinement avec le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), notamment au travers de demandes d'entraide judiciaire. Le procureur du TPIR, M. Jallow, était à Paris les 11 et 12 avril derniers, où il a été informé de l'état d'avancement des deux dossiers qui ont été confiés à la France par le tribunal. Enfin, le projet de loi portant création d'un pôle spécialisé au sein du tribunal de grande instance de Paris pour connaître des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre sera prochainement débattu à l'Assemblée nationale.
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