Texte de la QUESTION :
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M. Thierry Lazaro attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur la nécessaire motivation de toutes les décisions de justice. Régulièrement, la France fait l'objet de rappels à l'ordre de la part de la Cour européenne des droits de l'Homme, ainsi qu'en témoigne encore l'arrêt Moulin rendu le 23 novembre 2010, aux termes duquel les membres du ministère public « ne remplissent pas l'exigence d'indépendance à l'égard de l'exécutif ». Le 24 novembre 2010, le président de la cour d'assises de Saint-Omer a invité les jurés à motiver la décision qu'ils ont rendue, une première en droit français. À l'évidence, la motivation des décisions de justice, de plus fort en matière pénale, ne fait que renforcer le caractère équitable du procès et ne peut qu'aider le justiciable à comprendre et accepter les décisions qui, par nature, sont rendues au nom du peuple français. Aussi, il le remercie de bien vouloir lui indiquer les mesures que le Gouvernement peut prendre pour que cet impératif de motivation explicite soit appliqué, dans notre droit, à toutes les décisions de justice, notamment et tout particulièrement en matière pénale.
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Texte de la REPONSE :
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MOTIVATION DES DÉCISIONS DE JUSTICE M. le président. La parole est à M. Thierry
Lazaro, pour exposer sa question, n° 1393, relative à la motivation des
décisions de justice. M. Thierry Lazaro. Ma question
s'adresse à M. le garde des sceaux, ministre de la justice et des
libertés. Membre de la commission d'enquête parlementaire dite d'Outreau,
j'ai été particulièrement choqué par les dysfonctionnements judiciaires qui ont
été constatés, ainsi que par la profonde fracture qu'il y avait, et qu'il y a
hélas toujours, entre la justice de notre pays et nos concitoyens, en dépit d'un
budget sensiblement augmenté depuis 2002, même s'il peut paraître encore
insuffisant. Or le respect de la fonction de justice est fondamental dans le
cadre du bon fonctionnement d'une démocratie. Régulièrement, la France fait
l'objet de rappels à l'ordre de la part de la Cour européenne des droits de
l'homme, ainsi qu'en témoigne encore l'arrêt Moulin rendu le 23 novembre 2010,
aux termes duquel les membres du ministère public " ne remplissent pas
l'exigence d'indépendance à l'égard de l'exécutif ". Pour que le justiciable,
qui est avant tout un citoyen, respecte cette justice, garante de notre
démocratie, et ait confiance en elle, il lui faut en comprendre le
fonctionnement et accepter les décisions qui sont rendues. À cet égard, la
motivation des décisions de justice - de toutes les décisions de justice - est
capitale. Aussi ne puis-je qu'approuver l'initiative courageuse du président
de la cour d'assises de Saint-Omer, invitant les jurés à motiver la décision
qu'ils ont rendue le 24 novembre 2010 - une première en droit français. À
l'évidence, la motivation des décisions de justice, a fortiori en matière
pénale, ne fait que renforcer le caractère équitable du procès et ne peut
qu'aider le justiciable à comprendre et accepter les décisions qui, par nature,
sont rendues au nom du peuple français. Je demande donc au garde des sceaux
de bien vouloir m'indiquer les mesures que le Gouvernement peut prendre pour que
cet impératif de motivation explicite soit appliqué, dans notre droit, à toutes
les décisions de justice, tout particulièrement en matière pénale. M.
le président. La parole est à Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée
de l'outre-mer. Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée
de l'outre-mer. Monsieur le député, M. le garde des sceaux, qui n'a pu se
rendre disponible, m'a prié de l'excuser auprès de vous et de répondre en son
nom à votre question. La motivation des arrêts d'assises fait l'objet de
débats de longue date. Il convient de rappeler, à titre liminaire, que la Cour
de cassation a jugé, le 5 octobre 2009, que l'absence de motivation des arrêts
d'assises ne constitue pas un vice de procédure. La Cour de cassation estime en
effet que l'ensemble des réponses que les magistrats et jurés donnent, en leur
âme et conscience, aux questions qui leur sont posées, tient lieu de motifs aux
arrêts de la cour d'assises statuant sur l'action publique. Dès lors que sont
assurés l'information préalable sur les charges fondant l'accusation, le libre
exercice des droits de la défense et la garantie de l'impartialité des juges,
les exigences de la Convention européenne des droits de l'homme relatives au
droit à un procès équitable sont satisfaites. Cette interprétation est conforme
à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, qui n'a jamais
condamné le système français de la cour d'assises. Dans un arrêt " Taxquet
contre Belgique " du 13 janvier 2009, la Cour européenne a certes jugé que
l'absence de motivation d'un arrêt rendu par une cour d'assises belge
constituait une violation du droit à un procès équitable garanti par l'article 6
de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Cependant,
cette affaire a fait l'objet d'un nouvel examen par la Grande chambre de la Cour
le 21 octobre 2009 ; et le 16 novembre 2010, la Cour européenne des droits de
l'homme a rendu son arrêt et condamné la Belgique. La Cour de Strasbourg a
cependant affirmé que la Convention n'impose pas que les jurés donnent les
raisons de leur décision. L'article 6 de la Convention européenne des droits de
l'homme ne s'oppose pas à ce qu'un accusé soit jugé par un jury populaire, même
dans le cas où son verdict n'est pas motivé, dès lors qu'il bénéficie de
garanties procédurales lui permettant de comprendre le verdict qui a été rendu.
Cet arrêt n'a donc pas pour effet de remettre en cause le système français de la
cour d'assises. Le Conseil constitutionnel a, quant à lui, été saisi d'une
question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'absence de motivation
des arrêts d'assises. Cette affaire a été examinée le 15 mars par le Conseil
constitutionnel, qui a mis sa décision en délibéré au 1er avril. Lors de
l'audience devant le Conseil constitutionnel, le Gouvernement a fait valoir que
le mode spécifique de motivation des arrêts d'assises sous forme de réponses à
des questions n'est contraire ni à la Constitution ni aux grands principes issus
du droit européen, en raison des nombreuses garanties qui entourent la procédure
criminelle, à savoir l'instruction obligatoire de l'affaire, le résumé des
éléments à charge et à décharge dans l'ordonnance de mise en accusation lue à
l'audience, la possibilité de récuser les jurés, l'oralité des débats et la
possibilité d'interjeter appel. L'addition de ces garanties permet à l'accusé de
comprendre les raisons qui ont conduit à sa condamnation. Au vu de ces
éléments et sous réserve de la décision à venir du Conseil constitutionnel, une
adaptation de notre procédure pourrait certes être envisagée, mais aucune norme
interne ou supranationale n'impose de modifier le dispositif actuel. Considérant
que l'initiative prise par le président de la cour d'assises du Pas-de-Calais
était contraire à l'état du droit, le procureur général près la cour d'appel de
Douai a interjeté appel de l'arrêt d'acquittement, une juridiction ne pouvant
ainsi créer de nouvelles règles de procédure pénale sans enfreindre le principe
de l'égalité entre les citoyens et surtout ignorer la règle de séparation des
pouvoirs. M. le président. La parole est à M. Thierry
Lazaro. M. Thierry Lazaro. Je prends acte de cette réponse,
madame la ministre, et j'attends avec impatience de prendre connaissance de la
décision que doit rendre le Conseil constitutionnel. En tout état de cause, je
reste convaincu que la décision du président de la cour d'assises de Saint-Omer
était une décision courageuse, empreinte d'ouverture et de pédagogie à
destination du peuple français.
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