FICHE QUESTION
13ème législature
Question N° : 1393  de  M.   Lazaro Thierry ( Union pour un Mouvement Populaire - Nord ) QOSD
Ministère interrogé :  Justice et libertés
Ministère attributaire :  Justice et libertés
Question publiée au JO le :  22/03/2011  page :  2572
Réponse publiée au JO le :  30/03/2011  page :  2099
Rubrique :  justice
Tête d'analyse :  procédure
Analyse :  décisions. motivation
Texte de la QUESTION : M. Thierry Lazaro attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur la nécessaire motivation de toutes les décisions de justice. Régulièrement, la France fait l'objet de rappels à l'ordre de la part de la Cour européenne des droits de l'Homme, ainsi qu'en témoigne encore l'arrêt Moulin rendu le 23 novembre 2010, aux termes duquel les membres du ministère public « ne remplissent pas l'exigence d'indépendance à l'égard de l'exécutif ». Le 24 novembre 2010, le président de la cour d'assises de Saint-Omer a invité les jurés à motiver la décision qu'ils ont rendue, une première en droit français. À l'évidence, la motivation des décisions de justice, de plus fort en matière pénale, ne fait que renforcer le caractère équitable du procès et ne peut qu'aider le justiciable à comprendre et accepter les décisions qui, par nature, sont rendues au nom du peuple français. Aussi, il le remercie de bien vouloir lui indiquer les mesures que le Gouvernement peut prendre pour que cet impératif de motivation explicite soit appliqué, dans notre droit, à toutes les décisions de justice, notamment et tout particulièrement en matière pénale.
Texte de la REPONSE :

MOTIVATION DES DÉCISIONS DE JUSTICE

M. le président. La parole est à M. Thierry Lazaro, pour exposer sa question, n° 1393, relative à la motivation des décisions de justice.
M. Thierry Lazaro. Ma question s'adresse à M. le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
Membre de la commission d'enquête parlementaire dite d'Outreau, j'ai été particulièrement choqué par les dysfonctionnements judiciaires qui ont été constatés, ainsi que par la profonde fracture qu'il y avait, et qu'il y a hélas toujours, entre la justice de notre pays et nos concitoyens, en dépit d'un budget sensiblement augmenté depuis 2002, même s'il peut paraître encore insuffisant.
Or le respect de la fonction de justice est fondamental dans le cadre du bon fonctionnement d'une démocratie. Régulièrement, la France fait l'objet de rappels à l'ordre de la part de la Cour européenne des droits de l'homme, ainsi qu'en témoigne encore l'arrêt Moulin rendu le 23 novembre 2010, aux termes duquel les membres du ministère public " ne remplissent pas l'exigence d'indépendance à l'égard de l'exécutif ".
Pour que le justiciable, qui est avant tout un citoyen, respecte cette justice, garante de notre démocratie, et ait confiance en elle, il lui faut en comprendre le fonctionnement et accepter les décisions qui sont rendues. À cet égard, la motivation des décisions de justice - de toutes les décisions de justice - est capitale.
Aussi ne puis-je qu'approuver l'initiative courageuse du président de la cour d'assises de Saint-Omer, invitant les jurés à motiver la décision qu'ils ont rendue le 24 novembre 2010 - une première en droit français. À l'évidence, la motivation des décisions de justice, a fortiori en matière pénale, ne fait que renforcer le caractère équitable du procès et ne peut qu'aider le justiciable à comprendre et accepter les décisions qui, par nature, sont rendues au nom du peuple français.
Je demande donc au garde des sceaux de bien vouloir m'indiquer les mesures que le Gouvernement peut prendre pour que cet impératif de motivation explicite soit appliqué, dans notre droit, à toutes les décisions de justice, tout particulièrement en matière pénale.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer.
Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer. Monsieur le député, M. le garde des sceaux, qui n'a pu se rendre disponible, m'a prié de l'excuser auprès de vous et de répondre en son nom à votre question.
La motivation des arrêts d'assises fait l'objet de débats de longue date. Il convient de rappeler, à titre liminaire, que la Cour de cassation a jugé, le 5 octobre 2009, que l'absence de motivation des arrêts d'assises ne constitue pas un vice de procédure. La Cour de cassation estime en effet que l'ensemble des réponses que les magistrats et jurés donnent, en leur âme et conscience, aux questions qui leur sont posées, tient lieu de motifs aux arrêts de la cour d'assises statuant sur l'action publique.
Dès lors que sont assurés l'information préalable sur les charges fondant l'accusation, le libre exercice des droits de la défense et la garantie de l'impartialité des juges, les exigences de la Convention européenne des droits de l'homme relatives au droit à un procès équitable sont satisfaites. Cette interprétation est conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, qui n'a jamais condamné le système français de la cour d'assises.
Dans un arrêt " Taxquet contre Belgique " du 13 janvier 2009, la Cour européenne a certes jugé que l'absence de motivation d'un arrêt rendu par une cour d'assises belge constituait une violation du droit à un procès équitable garanti par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Cependant, cette affaire a fait l'objet d'un nouvel examen par la Grande chambre de la Cour le 21 octobre 2009 ; et le 16 novembre 2010, la Cour européenne des droits de l'homme a rendu son arrêt et condamné la Belgique.
La Cour de Strasbourg a cependant affirmé que la Convention n'impose pas que les jurés donnent les raisons de leur décision. L'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ne s'oppose pas à ce qu'un accusé soit jugé par un jury populaire, même dans le cas où son verdict n'est pas motivé, dès lors qu'il bénéficie de garanties procédurales lui permettant de comprendre le verdict qui a été rendu. Cet arrêt n'a donc pas pour effet de remettre en cause le système français de la cour d'assises.
Le Conseil constitutionnel a, quant à lui, été saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'absence de motivation des arrêts d'assises. Cette affaire a été examinée le 15 mars par le Conseil constitutionnel, qui a mis sa décision en délibéré au 1er avril.
Lors de l'audience devant le Conseil constitutionnel, le Gouvernement a fait valoir que le mode spécifique de motivation des arrêts d'assises sous forme de réponses à des questions n'est contraire ni à la Constitution ni aux grands principes issus du droit européen, en raison des nombreuses garanties qui entourent la procédure criminelle, à savoir l'instruction obligatoire de l'affaire, le résumé des éléments à charge et à décharge dans l'ordonnance de mise en accusation lue à l'audience, la possibilité de récuser les jurés, l'oralité des débats et la possibilité d'interjeter appel. L'addition de ces garanties permet à l'accusé de comprendre les raisons qui ont conduit à sa condamnation.
Au vu de ces éléments et sous réserve de la décision à venir du Conseil constitutionnel, une adaptation de notre procédure pourrait certes être envisagée, mais aucune norme interne ou supranationale n'impose de modifier le dispositif actuel. Considérant que l'initiative prise par le président de la cour d'assises du Pas-de-Calais était contraire à l'état du droit, le procureur général près la cour d'appel de Douai a interjeté appel de l'arrêt d'acquittement, une juridiction ne pouvant ainsi créer de nouvelles règles de procédure pénale sans enfreindre le principe de l'égalité entre les citoyens et surtout ignorer la règle de séparation des pouvoirs.
M. le président. La parole est à M. Thierry Lazaro.
M. Thierry Lazaro. Je prends acte de cette réponse, madame la ministre, et j'attends avec impatience de prendre connaissance de la décision que doit rendre le Conseil constitutionnel. En tout état de cause, je reste convaincu que la décision du président de la cour d'assises de Saint-Omer était une décision courageuse, empreinte d'ouverture et de pédagogie à destination du peuple français.
UMP 13 REP_PUB Nord-Pas-de-Calais O