FICHE QUESTION
13ème législature
Question N° : 23  de  M.   Rodet Alain ( Socialiste, radical, citoyen et divers gauche - Haute-Vienne ) QOSD
Ministère interrogé :  Économie, finances et emploi
Ministère attributaire :  Économie, finances et emploi
Question publiée au JO le :  02/10/2007  page :  5863
Réponse publiée au JO le :  03/10/2007  page :  2472
Rubrique :  banques et établissements financiers
Tête d'analyse :  livrets d'épargne
Analyse :  livret A et livret bleu. perspectives
Texte de la QUESTION : M. Alain Rodet attire l'attention de Mme la ministre de l'économie, des finances et de l'emploi sur les bouleversements que risque d'entraîner l'ouverture de la distribution du livret A à l'ensemble du secteur bancaire français. En effet, le 10 mai dernier, la Commission européenne, saisie par plusieurs banques françaises, demandait à la France d'étendre à la concurrence la distribution des livrets A et bleus, actuellement proposés exclusivement par la Caisse d'Épargne, la Banque postale et le Crédit mutuel. Le 23 juillet, le Gouvernement décidait de déposer un recours auprès de la Cour de justice de Luxembourg. Toutefois, dans le même temps, un groupe de travail chargé d'étudier les modalités de réforme de la distribution du livret A était constitué... Or cette forme d'épargne défiscalisée est extrêmement populaire auprès de nos concitoyens, en raison notamment de sa sûreté et de sa facilité d'utilisation. Ainsi, près de 50 millions de livrets A et bleus sont ouverts à ce jour. Depuis sa création en 1818, les fonds provenant de cette épargne ont permis à l'État de financer de très nombreuses réalisations d'intérêt général telles que l'électrification du territoire, la construction d'écoles publiques, la réalisation de voies et canaux Aujourd'hui encore, 80 % des prêts consentis pour la construction ou la réhabilitation de logements sociaux sont assurés par la Caisse des dépôts et consignations, qui centralise l'épargne du Livret A. Selon les dirigeants de cet organisme, la banalisation de la distribution de ces livrets remettrait sérieusement en cause le financement du logement social. L'ouverture à la concurrence conduira en effet à la captation d'un grand nombre de nouveaux clients par les banques, qui les inciteront à se tourner rapidement vers d'autres formes d'épargne plus rentables pour elles, comme les assurances vie. Il en résultera une forte diminution de l'épargne collectée. Par ailleurs, l'activité du réseau de la Caisse d'épargne et des bureaux de poste s'en trouvera fortement diminuée, notamment dans les zones rurales ou urbaines sensibles où ces établissements constituent l'accès privilégié de la population aux services bancaires. Aussi il lui demande quelles nouvelles mesures le Gouvernement entend prendre pour affirmer sans ambigüité son opposition à cette libéralisation.
Texte de la REPONSE :

CONSÉQUENCES DE L'OUVERTURE À LA CONCURRENCE
DE LA DISTRIBUTION DU LIVRET A

M. le président. La parole, qui est à M. Alain Rodet, pour exposer sa question, n° 23, relative aux conséquences de l'ouverture à la concurrence de la distribution du livret A.
M. Alain Rodet. Ma question, qui s'adresse à Mme la ministre de l'économie, des finances et de l'emploi, concerne les graves risques que pourrait entraîner l'ouverture de la distribution du livret A à l'ensemble du secteur bancaire français.
En effet, le 10 mai dernier, la Commission européenne, saisie par plusieurs banques françaises et une banque néerlandaise, demandait à la France d'étendre à la concurrence la distribution des livrets A et bleu, actuellement proposés exclusivement par la Caisse d'épargne, la Banque postale et le Crédit mutuel. Le 23 juillet, le Gouvernement décidait de déposer un recours auprès de la Cour de justice du Luxembourg. C'est une bonne chose. Toutefois, le fait qu'un groupe de travail, présidé par M. Camdessus, ait été chargé d'étudier les modalités de réforme de la distribution du Livret A a refroidi quelque peu ce sentiment dans la mesure où cela pouvait apparaître comme un manque de pugnacité de la part du gouvernement français.
Le livret A est une forme d'épargne défiscalisée extrêmement populaire auprès de nos concitoyens. On compte plus de 46 millions de livrets A et bleus ouverts à ce jour. Depuis la création de ce livret, en 1818, par Benjamin Delessert et le duc de la Rochefoucault-Liancourt, les fonds provenant de cette épargne ont permis à l'État de financer de très nombreuses réalisations d'intérêt général telles que l'électrification du territoire, la construction d'écoles publiques, la réalisation de voies et canaux... Aujourd'hui encore, nous savons le rôle déterminant que joue le livret A pour le financement du logement social. Je rappelle que la centralisation des dépôts est assurée par la Caisse des dépôts et consignations. Selon les dirigeants de cet organisme, la banalisation de la distribution de ces livrets remettrait très sérieusement en cause le financement du logement social.
L'ouverture à la concurrence conduira en effet à la captation d'un grand nombre de nouveaux clients par les banques, qui les inciteraient à se tourner rapidement vers d'autres formes d'épargne plus rentables pour elles, comme les assurances-vie ou d'autres produits. Il en résulterait une forte diminution de l'épargne collectée. Par ailleurs, l'activité du réseau de la Caisse d'épargne et des bureaux de Poste s'en trouverait fortement affectée, notamment dans les zones rurales ou dans les zones urbaines sensibles où ces établissements constituent l'accès privilégié de la population aux services bancaires.
Dans ces conditions, je demande au Gouvernement quelles mesures complémentaires il entend prendre pour permettre à la Commission et à la Cour de justice de Luxembourg de bien prendre conscience de l'importance du livret A pour le financement du logement social dans notre pays.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des entreprises et du commerce extérieur.
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé des entreprises et du commerce extérieur. Monsieur le député, je vous prie d'abord de bien vouloir excuser Christine Lagarde, qui m'a demandé de vous répondre, étant elle-même retenue par une réunion interministérielle.
Vous avez rappelé à juste titre que le livret A, produit d'épargne massivement diffusé auprès des Français, est à l'heure actuelle distribué par un nombre limité d'établissements, à savoir la Banque postale et le réseau des Caisses d'épargne, auxquels s'ajoute le Crédit mutuel, qui distribue le livret bleu.
La Commission européenne a estimé, dans sa décision du 10 mai dernier, vous l'avez rappelé, que la restriction du droit de distribuer les livrets A et bleu à ces trois établissements était incompatible avec les dispositions du traité communautaire relatives à la liberté d'établissement et la libre prestation de service. Cette décision a été notifiée le 11 mai aux autorités françaises et donne un délai de neuf mois au Gouvernement pour prendre les dispositions permettant à tous les établissements bancaires de distribuer ces produits. Neuf mois, cela nous mène au 11 février 2008.
Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'emploi, ainsi que le Gouvernement tout entier réaffirment leur attachement au livret A, produit d'épargne auquel les Français sont très attachés, et l'importance de garantir le financement du logement social et l'accès de tous aux services bancaires.
Compte tenu du caractère juridiquement discutable de certains éléments de la décision de la Commission, la France a déposé, le 23 juillet, devant le tribunal de première instance de la Cour de justice des communautés européennes, un recours contre cette décision.
Parallèlement, il était important que le Gouvernement agisse de son côté. C'est la raison pour laquelle Christine Lagarde a demandé à Michel Camdessus, gouverneur honoraire de la Banque de France et ancien directeur général du FMI, de mener une mission de réflexion sur les évolutions possibles du dispositif actuel pour se mettre en conformité avec les règles communautaires. Les conclusions de cette mission sont attendues pour le milieu du mois de décembre. Entre la mi-décembre et le 11 février 2008, nous avons donc du temps pour agir.
Au vu de ces conclusions, le Gouvernement fera des propositions. Il veillera particulièrement à ce que cette réforme ne conduise ni à une dégradation des conditions de financement du logement social ni à une remise en cause des conditions d'accès au livret A, auquel les Français sont légitimement attachés. Vous le voyez, nous nous donnons tous les moyens pour parvenir à une solution acceptable qui nous permettrait d'être en conformité avec les règles communautaires sans pour autant renoncer au livret A.
M. le président. La parole est à M. Alain Rodet.
M. Alain Rodet. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État. Dans cette phase très sensible, il me semble néanmoins bon de rappeler aux autorités de l'Union européenne, et à Mme Kroes en particulier, que certaines initiatives de la Commission en matière de concurrence ont coûté très cher à l'Europe - je pense à celle, malheureuse, du commissaire Monti dans l'affaire Schneider-Legrand - et ont montré que l'Europe tâtonnait parfois dans ce domaine et pouvait faire de graves erreurs.
Peut-être faudrait-il aussi appeler les réseaux bancaires à plus de modestie, eux dont le comportement n'est pas toujours louable - je pense cette fois à la crise des crédits hypothécaires américains qui a provoqué des pertes colossales. N'oublions pas que le livret A a permis de loger plus de dix millions de Français !

S.R.C. 13 REP_PUB Limousin O