FICHE QUESTION
13ème législature
Question N° : 47  de  M.   Muzeau Roland ( Gauche démocrate et républicaine - Hauts-de-Seine ) QOSD
Ministère interrogé :  Logement et ville
Ministère attributaire :  Logement et ville
Question publiée au JO le :  04/12/2007  page :  7539
Réponse publiée au JO le :  05/12/2007  page :  4897
Rubrique :  logement
Tête d'analyse :  habitat insalubre
Analyse :  réglementation. conséquences. collectivités publiques
Texte de la QUESTION : M. Roland Muzeau attire l'attention de Mme la ministre du logement et de la ville sur les conséquences pour les collectivités publiques de l'ordonnance du 15 décembre 2005 relative à la lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux. Prise sur le fondement de la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale, cette ordonnance ratifiée par la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement est venue compléter et renforcer les dispositions législatives concernant le logement insalubre, les immeubles menaçant ruine et les établissements d'hébergement dangereux. Dans l'esprit du législateur, il était alors explicitement question de simplifier, d'accélérer les procédures tout en améliorant la protection des occupants de logements insalubres ou en péril. Les conditions de vie particulièrement sordides de nos concitoyens, la situation de nombreuses agglomérations appelaient effectivement une action urgente et résolue contre les marchands de sommeil. Alors que la différence entre l'insalubrité remédiable et irrémédiable, appréciable au cas par cas, tenait à la qualification des travaux (leur nature, leur importance), l'ordonnance a précisé la notion d'insalubrité irrémédiable. L'article L. 1331-26 du code de la santé publique stipule désormais, dans son second alinéa, que « l'insalubrité d'un bâtiment doit être qualifiée d'irrémédiable lorsqu'il n'existe aucun moyen technique d'y mettre fin, ou lorsque les travaux nécessaires à sa résorption seraient plus coûteux que la reconstruction ». Concrètement, l'introduction de cette condition de coût financier des travaux à la charge du propriétaire, notion contraire à la jurisprudence constante jusqu'alors en vigueur, est venue alourdir la procédure d'élaboration des dossiers d'insalubrité irrémédiable (réalisation d'une étude d'impact, lancement d'appel d'offres...). Ces nouvelles dispositions rendent plus complexe l'appréciation de la frontière entre l'insalubrité remédiable et l'insalubrité irrémédiable avec les risques de contentieux que cela emporte. Il pourra être procédé à des travaux certes moins coûteux qu'une démolition-reconstruction sans pour autant rendre au logement tout son caractère décent. In fine, ce sont les propriétaires marchands de sommeil qui seront les principaux bénéficiaires des effets pervers du nouveau dispositif. Les collectivités publiques, déjà confrontées aux obstacles majeurs que sont la pénurie d'offres de logements et l'absence de solidarité entre les territoires, ne doivent pas être empêchées dans leur volonté d'éradiquer l'habitat indigne par des dispositions dont l'application se révèle contraire à l'esprit de la loi. Aussi, il lui demande de bien vouloir reconsidérer les termes de l'article L. 1331-26.
Texte de la REPONSE :

DIFFICULTÉS D'APPLICATION DE LA RÉGLEMENTATION
SUR L'HABITAT INSALUBRE

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour exposer sa question, n° 47, relative aux difficultés d'application de la réglementation sur l'habitat insalubre.
M. Roland Muzeau. Madame la ministre du logement et de la ville, nous partageons, je pense, la même indignation face aux conditions inhumaines de logement que font subir certains marchands de sommeil à de trop nombreuses familles, aux plus démunis de nos concitoyens.
Je ne peux passer sous silence certaines réalités qui sont autant d'obstacles à l'amélioration de la situation. Je pense à la pénurie d'offre de logements réellement sociaux et au non-respect du seuil de 20 % de logements sociaux prévu par la loi solidarité et renouvellement urbains. Dans les Hauts-de-Seine, par exemple, seize villes sur trente-six sont hors la loi.
Pour lutter contre l'habitat indigne, nous disposons d'un arsenal juridique avec la loi de 1998 relative à la lutte contre les exclusions et celle de 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains. Les circulaires du 30 avril 2002 et du 2 mai 2002 ont apporté des éléments complémentaires à ces deux textes.
Plus récemment, les lois de 2004 sur les aides à la pierre et le risque de saturnisme, celle du 18 juin 2005 dite de programmation pour la cohésion sociale à l'origine de la mise en oeuvre d'un dispositif de lutte contre l'habitat indigne, dit plan national de cohésion sociale, décliné dans chaque département, ont mis la lutte contre l'habitat indigne au coeur des politiques publiques. Cet objectif figure également parmi les missions de la LOLF et les actions du plan national santé-environnement 2004-2008, lequel évalue entre 400 000 et 600 000 le nombre de logements insalubres et fixe un objectif de 20 000 logements à traiter par an, soit par la démolition, soit par la réhabilitation.
L'urgence est donc incontestable. Dans mon département des Hauts-de-Seine, le plus riche de France, ce sont 26 000 logements insalubres qu'il faudrait traiter.
En dépit de ses louables intentions, l'ordonnance du 15 décembre 2005, qui visait à harmoniser, simplifier, faciliter et accélérer les procédures pour les immeubles insalubres ou en péril, s'est, pour une part, avérée contre-productive. Pour la commune de Gennevilliers, résolument engagée dans la lutte contre l'habitat indigne et qui a signé en 2003 un protocole avec l'État prévoyant l'éradication de 700 logements insalubres sur cinq ans, cette ordonnance s'est traduite par une lourdeur administrative et une charge financière supplémentaires.
En cause, la nouvelle rédaction de l'article L. 1331-26 du code de la santé publique, qui dispose, dans son second alinéa, que " l'insalubrité d'un bâtiment doit être qualifiée d'irrémédiable lorsqu'il n'existe aucun moyen technique d'y mettre fin, ou lorsque les travaux nécessaires à sa résorption seraient plus coûteux que la reconstruction ".
En interprétation de la nouvelle définition de l'" insalubrité irrémédiable ", les services de l'État du département des Hauts-de-Seine ont estimé qu'il convenait de recourir à l'avis d'un homme de l'art - maître d'oeuvre, architecte, économiste de la construction - pour évaluer le coût des travaux nécessaires à la sortie de l'insalubrité afin de les comparer au coût de la reconstruction neuve du bâtiment.
Cette interprétation, semble-t-il réservée au département des Hauts-de-Seine, a des conséquences plus que fâcheuses pour ma commune et pour d'autres, comme Clichy et La Garenne-Colombes, qui, compte tenu du nombre important d'immeubles à traiter, doit recourir à une procédure de consultation pour choisir ce spécialiste.
Cette obligation nouvelle de recourir à une prestation de service fournie par une personne extérieure à la commune, pour éviter, nous a-t-on dit, d'être juge et partie, outre qu'elle est d'un coût élevé, a eu aussi pour effet induit et grave de bloquer cinq dossiers d'immeubles insalubres qualifiés " irrémédiables " par nos services communaux d'hygiène, ce qui a pour conséquence de retarder considérablement leur passage en CODERST et, de ce fait, le relogement des personnes occupant ces immeubles, ce qui, vous en conviendrez, est plus grave.
Cette nouvelle définition de l'insalubrité irrémédiable diminue le nombre d'immeubles déclarés insalubres irrémédiablement et augmente ipso facto le nombre d'immeubles déclarés " insalubres remédiables ".
En cas de remédiabilité, les communes sont incitées à se substituer au propriétaire défaillant, notion floue, non définie juridiquement, et à réaliser les travaux d'office. Elles doivent ainsi assumer la responsabilité d'un maître d'ouvrage public sur une propriété privée, assumer à leurs frais, certes avec inscription d'un privilège spécial immobilier - c'est le décret du 11 juillet 2007 -, la prise en charge de l'hébergement des occupants durant les travaux nécessaires. Au final, le propriétaire défaillant recommence, en toute impunité, à percevoir des loyers, et cela sans aucun contrôle légal de son impossibilité réelle d'assumer lui-même, en direct, les travaux et la prise en charge de leur coût.
En conclusion, nous constatons que cette nouvelle définition de l'insalubrité irrémédiable impacte de manière négative celle de l'insalubrité remédiable. Elle favorise, en outre, le maintien de très nombreux occupants dans des immeubles seulement relativement rénovés, mais dont nous savons l'insuffisance, et qui feront toujours l'objet d'une sur-occupation.
Dans ces conditions, madame la ministre, nous nous demandons s'il ne conviendrait pas de revoir les termes de l'article L. 1331-26 du code de la santé publique.
M. le président. La parole est à Mme la ministre du logement et de la ville.
Mme Christine Boutin, ministre du logement et de la ville. Monsieur le député, je veux tout d'abord saluer le combat tout à fait exemplaire que mène la commune de Gennevilliers contre le logement insalubre et je prends ici l'engagement d'aller vous rendre visite dans votre commune.
M. Roland Muzeau. Je vous remercie.
Mme la ministre du logement et de la ville. Vous avez un problème spécifique qui justifie votre question et qui me conduit à vous apporter la réponse précise suivante.
Vous avez appelé mon attention sur l'ordonnance du 15 décembre 2005 relative à l'habitat insalubre ou dangereux qui précise dans le code de la santé publique le caractère irrémédiable de l'insalubrité d'un bâtiment. Vous estimez que cette nouvelle disposition empêche de remédier efficacement à l'insalubrité et qu'elle ne répond pas aux objectifs de simplification voulus par le législateur.
Comme vous le savez, conformément à une jurisprudence ancienne et constante qui vaut tant pour l'insalubrité que pour le péril, une autorité de police, maire ou préfet, ne peut imposer à un propriétaire d'effectuer des travaux qui, par leur ampleur, pourraient être qualifiés de construction ou de reconstruction et non simplement de réparation. En conséquence, lorsque les travaux nécessaires à la résorption de l'insalubrité, par leur ampleur, pourraient être qualifiés de reconstruction, l'insalubrité est alors qualifiée d'irrémédiable et entraîne interdiction définitive d'habiter, avec obligation de relogement des occupants et possibilité pour la collectivité publique d'exproprier l'immeuble concerné.
La jurisprudence relative à la notion d'insalubrité irrémédiable obligeait déjà l'administration à évaluer le coût des travaux ainsi que la valeur vénale de l'immeuble. Depuis l'ordonnance du 15 décembre 2005 réformant et renforçant les procédures relatives à l'insalubrité et au péril, les propriétaires, en réaction, n'hésitent plus à multiplier les contentieux contre l'administration.
Aussi, l'ordonnance du 15 décembre 2005 s'est-elle préoccupée d'apporter un critère objectif et donc une sécurité juridique supplémentaire pour l'administration à l'appréciation du caractère irrémédiable de l'insalubrité d'un immeuble. Cette précision juridique élargit a contrario le champ du traitement du " remédiable " et a pour conséquence de droit d'obliger les propriétaires à exécuter les travaux indispensables, fussent-ils d'un coût relativement élevé. J'ajoute que l'ordonnance a explicitement prévu que les prescriptions de travaux incluses dans l'arrêté d'insalubrité remédiable peuvent inclure la mise aux normes de décence des logements, ce qui répond à l'une de vos légitimes préoccupations.
Lorsque l'insalubrité ou le péril est remédiable, et en cas de non-exécution des travaux prescrits, il est indispensable que la collectivité se substitue au propriétaire défaillant et engage des travaux d'office, comme je l'ai rappelé dans ma lettre aux préfets du 14 novembre dernier, afin d'éviter le maintien dans les lieux des occupants dans des situations inacceptables ainsi que l'aggravation de l'état du bâtiment, qui, si cet état devient irrémédiable, dégage de fait le propriétaire de certaines de ses responsabilités.
Monsieur le président, je vous remercie de me laisser un peu de temps, car ma réponse très technique servira à répondre aux difficultés d'interprétation de ces textes.
M. le président. Je l'ai bien compris, madame la ministre. C'est pourquoi, à titre tout à fait exceptionnel, je vous accorde quelques minutes supplémentaires.
Mme la ministre du logement et de la ville. La question était longue et précise et ma réponse se doit, elle aussi, d'être précise.
Le critère énoncé est simple et les services des communes et de l'État peuvent recourir, si besoin est, aux explications de mon administration et de celle de ma collègue en charge de la santé. Il s'agit de comparer, suite à une évaluation sommaire, le coût des travaux de réparation à effectuer sur le bâtiment concerné par rapport au coût de sa reconstruction, calculé sur la base du coût moyen de construction d'un bâtiment neuf de même surface habitable, aux normes actuelles, hors coûts du foncier et de démolition.
Cette précision juridique introduite à l'article L. 1331-26 du code de la santé publique n'est nullement contraire à la jurisprudence traditionnelle du Conseil d'État, qui lui a donné un avis très favorable lors de 1'examen du projet d'ordonnance du 15 décembre 2005.
De plus, l'évaluation du coût des travaux peut être portée sur la mise en demeure au propriétaire d'avoir à exécuter les travaux prescrits par l'arrêté d'insalubrité ou de péril, sous peine d'exécution d'office, ce qui fonde l'inscription à son bénéfice, au fichier des hypothèques, du privilège spécial immobilier destiné à garantir sa future créance, au cas où la collectivité publique serait amenée à réaliser ces travaux d'office, en application de la seconde ordonnance du 11 janvier 2007 de lutte contre l'habitat indigne.
Ces nouvelles dispositions ont pour but de renforcer la pression exercée sur les marchands de sommeil, en accroissant leurs obligations d'entretien des immeubles et d'offre de logements décents à leurs locataires, et d'apporter aux collectivités publiques des garanties très efficaces pour protéger leurs créances en cas de travaux d'office.
En rendant l'appréciation de l'irrémédiabilité de l'insalubrité plus contraignante, la précision apportée par le législateur devrait éviter que des propriétaires indélicats ne se défaussent systématiquement sur la collectivité publique de l'obligation de relogement.
Comme vous le savez, monsieur le député, l'irrémédiabilité peut malheureusement convenir aux propriétaires indélicats qui revendent alors sur le marché leur immeuble rendu libre d'occupation, ce qui s'effectue bien sûr au détriment des locataires, d'autant que l'indemnité de relogement pesant sur le propriétaire peut paraître insuffisamment dissuasive.
Les deux ordonnances du 15 décembre 2005 et du 11 janvier 2007 imposent désormais des obligations plus fermes aux propriétaires pour réparer leurs immeubles et donc maintenir en place les locataires.
Monsieur le président, vous voyez toute la technicité du ministère dont j'ai la charge.
M. le président. Je n'en doute pas, madame la ministre, mais les décrets et circulaires font aussi partie de vos attributions. J'imagine donc que vous serez amenée à apporter d'autres précisions autrement qu'en utilisant, certes de façon légitime mais néanmoins intempestive, le cadre des discussions à l'Assemblée nationale.

GDR 13 REP_PUB Ile-de-France O