Texte de la REPONSE :
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DIFFICULTÉS D'APPLICATION DE LA RÉGLEMENTATION SUR L'HABITAT
INSALUBRE M. le président. La parole est à
M. Roland Muzeau, pour exposer sa question, n° 47, relative aux difficultés
d'application de la réglementation sur l'habitat insalubre. M. Roland
Muzeau. Madame la ministre du logement et de la ville, nous partageons,
je pense, la même indignation face aux conditions inhumaines de logement que
font subir certains marchands de sommeil à de trop nombreuses familles, aux plus
démunis de nos concitoyens. Je ne peux passer sous silence certaines réalités
qui sont autant d'obstacles à l'amélioration de la situation. Je pense à la
pénurie d'offre de logements réellement sociaux et au non-respect du seuil de 20
% de logements sociaux prévu par la loi solidarité et renouvellement urbains.
Dans les Hauts-de-Seine, par exemple, seize villes sur trente-six sont hors la
loi. Pour lutter contre l'habitat indigne, nous disposons d'un arsenal
juridique avec la loi de 1998 relative à la lutte contre les exclusions et celle
de 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains. Les circulaires
du 30 avril 2002 et du 2 mai 2002 ont apporté des éléments complémentaires à ces
deux textes. Plus récemment, les lois de 2004 sur les aides à la pierre et le
risque de saturnisme, celle du 18 juin 2005 dite de programmation pour la
cohésion sociale à l'origine de la mise en oeuvre d'un dispositif de lutte
contre l'habitat indigne, dit plan national de cohésion sociale, décliné dans
chaque département, ont mis la lutte contre l'habitat indigne au coeur des
politiques publiques. Cet objectif figure également parmi les missions de la
LOLF et les actions du plan national santé-environnement 2004-2008, lequel
évalue entre 400 000 et 600 000 le nombre de logements insalubres et fixe un
objectif de 20 000 logements à traiter par an, soit par la démolition, soit par
la réhabilitation. L'urgence est donc incontestable. Dans mon département des
Hauts-de-Seine, le plus riche de France, ce sont 26 000 logements insalubres
qu'il faudrait traiter. En dépit de ses louables intentions, l'ordonnance du
15 décembre 2005, qui visait à harmoniser, simplifier, faciliter et accélérer
les procédures pour les immeubles insalubres ou en péril, s'est, pour une part,
avérée contre-productive. Pour la commune de Gennevilliers, résolument engagée
dans la lutte contre l'habitat indigne et qui a signé en 2003 un protocole avec
l'État prévoyant l'éradication de 700 logements insalubres sur cinq ans, cette
ordonnance s'est traduite par une lourdeur administrative et une charge
financière supplémentaires. En cause, la nouvelle rédaction de l'article L.
1331-26 du code de la santé publique, qui dispose, dans son second alinéa, que "
l'insalubrité d'un bâtiment doit être qualifiée d'irrémédiable lorsqu'il
n'existe aucun moyen technique d'y mettre fin, ou lorsque les travaux
nécessaires à sa résorption seraient plus coûteux que la reconstruction ". En
interprétation de la nouvelle définition de l'" insalubrité irrémédiable ", les
services de l'État du département des Hauts-de-Seine ont estimé qu'il convenait
de recourir à l'avis d'un homme de l'art - maître d'oeuvre, architecte,
économiste de la construction - pour évaluer le coût des travaux nécessaires à
la sortie de l'insalubrité afin de les comparer au coût de la reconstruction
neuve du bâtiment. Cette interprétation, semble-t-il réservée au département
des Hauts-de-Seine, a des conséquences plus que fâcheuses pour ma commune et
pour d'autres, comme Clichy et La Garenne-Colombes, qui, compte tenu du nombre
important d'immeubles à traiter, doit recourir à une procédure de consultation
pour choisir ce spécialiste. Cette obligation nouvelle de recourir à une
prestation de service fournie par une personne extérieure à la commune, pour
éviter, nous a-t-on dit, d'être juge et partie, outre qu'elle est d'un coût
élevé, a eu aussi pour effet induit et grave de bloquer cinq dossiers
d'immeubles insalubres qualifiés " irrémédiables " par nos services communaux
d'hygiène, ce qui a pour conséquence de retarder considérablement leur passage
en CODERST et, de ce fait, le relogement des personnes occupant ces immeubles,
ce qui, vous en conviendrez, est plus grave. Cette nouvelle définition de
l'insalubrité irrémédiable diminue le nombre d'immeubles déclarés insalubres
irrémédiablement et augmente ipso facto le nombre d'immeubles déclarés "
insalubres remédiables ". En cas de remédiabilité, les communes sont incitées
à se substituer au propriétaire défaillant, notion floue, non définie
juridiquement, et à réaliser les travaux d'office. Elles doivent ainsi assumer
la responsabilité d'un maître d'ouvrage public sur une propriété privée, assumer
à leurs frais, certes avec inscription d'un privilège spécial immobilier - c'est
le décret du 11 juillet 2007 -, la prise en charge de l'hébergement des
occupants durant les travaux nécessaires. Au final, le propriétaire défaillant
recommence, en toute impunité, à percevoir des loyers, et cela sans aucun
contrôle légal de son impossibilité réelle d'assumer lui-même, en direct, les
travaux et la prise en charge de leur coût. En conclusion, nous constatons
que cette nouvelle définition de l'insalubrité irrémédiable impacte de manière
négative celle de l'insalubrité remédiable. Elle favorise, en outre, le maintien
de très nombreux occupants dans des immeubles seulement relativement rénovés,
mais dont nous savons l'insuffisance, et qui feront toujours l'objet d'une
sur-occupation. Dans ces conditions, madame la ministre, nous nous demandons
s'il ne conviendrait pas de revoir les termes de l'article L. 1331-26 du code de
la santé publique. M. le président. La parole est à Mme la
ministre du logement et de la ville. Mme Christine Boutin,
ministre du logement et de la ville. Monsieur le député, je veux tout
d'abord saluer le combat tout à fait exemplaire que mène la commune de
Gennevilliers contre le logement insalubre et je prends ici l'engagement d'aller
vous rendre visite dans votre commune. M. Roland Muzeau. Je
vous remercie. Mme la ministre du logement et de la ville.
Vous avez un problème spécifique qui justifie votre question et qui me conduit à
vous apporter la réponse précise suivante. Vous avez appelé mon attention sur
l'ordonnance du 15 décembre 2005 relative à l'habitat insalubre ou dangereux qui
précise dans le code de la santé publique le caractère irrémédiable de
l'insalubrité d'un bâtiment. Vous estimez que cette nouvelle disposition empêche
de remédier efficacement à l'insalubrité et qu'elle ne répond pas aux objectifs
de simplification voulus par le législateur. Comme vous le savez,
conformément à une jurisprudence ancienne et constante qui vaut tant pour
l'insalubrité que pour le péril, une autorité de police, maire ou préfet, ne
peut imposer à un propriétaire d'effectuer des travaux qui, par leur ampleur,
pourraient être qualifiés de construction ou de reconstruction et non simplement
de réparation. En conséquence, lorsque les travaux nécessaires à la résorption
de l'insalubrité, par leur ampleur, pourraient être qualifiés de reconstruction,
l'insalubrité est alors qualifiée d'irrémédiable et entraîne interdiction
définitive d'habiter, avec obligation de relogement des occupants et possibilité
pour la collectivité publique d'exproprier l'immeuble concerné. La
jurisprudence relative à la notion d'insalubrité irrémédiable obligeait déjà
l'administration à évaluer le coût des travaux ainsi que la valeur vénale de
l'immeuble. Depuis l'ordonnance du 15 décembre 2005 réformant et renforçant les
procédures relatives à l'insalubrité et au péril, les propriétaires, en
réaction, n'hésitent plus à multiplier les contentieux contre
l'administration. Aussi, l'ordonnance du 15 décembre 2005 s'est-elle
préoccupée d'apporter un critère objectif et donc une sécurité juridique
supplémentaire pour l'administration à l'appréciation du caractère irrémédiable
de l'insalubrité d'un immeuble. Cette précision juridique élargit a contrario
le champ du traitement du " remédiable " et a pour conséquence de droit
d'obliger les propriétaires à exécuter les travaux indispensables, fussent-ils
d'un coût relativement élevé. J'ajoute que l'ordonnance a explicitement prévu
que les prescriptions de travaux incluses dans l'arrêté d'insalubrité remédiable
peuvent inclure la mise aux normes de décence des logements, ce qui répond à
l'une de vos légitimes préoccupations. Lorsque l'insalubrité ou le péril est
remédiable, et en cas de non-exécution des travaux prescrits, il est
indispensable que la collectivité se substitue au propriétaire défaillant et
engage des travaux d'office, comme je l'ai rappelé dans ma lettre aux préfets du
14 novembre dernier, afin d'éviter le maintien dans les lieux des occupants dans
des situations inacceptables ainsi que l'aggravation de l'état du bâtiment, qui,
si cet état devient irrémédiable, dégage de fait le propriétaire de certaines de
ses responsabilités. Monsieur le président, je vous remercie de me laisser un
peu de temps, car ma réponse très technique servira à répondre aux difficultés
d'interprétation de ces textes. M. le président. Je l'ai
bien compris, madame la ministre. C'est pourquoi, à titre tout à fait
exceptionnel, je vous accorde quelques minutes supplémentaires. Mme
la ministre du logement et de la ville. La question était longue et
précise et ma réponse se doit, elle aussi, d'être précise. Le critère énoncé
est simple et les services des communes et de l'État peuvent recourir, si besoin
est, aux explications de mon administration et de celle de ma collègue en charge
de la santé. Il s'agit de comparer, suite à une évaluation sommaire, le coût des
travaux de réparation à effectuer sur le bâtiment concerné par rapport au coût
de sa reconstruction, calculé sur la base du coût moyen de construction d'un
bâtiment neuf de même surface habitable, aux normes actuelles, hors coûts du
foncier et de démolition. Cette précision juridique introduite à l'article L.
1331-26 du code de la santé publique n'est nullement contraire à la
jurisprudence traditionnelle du Conseil d'État, qui lui a donné un avis très
favorable lors de 1'examen du projet d'ordonnance du 15 décembre 2005. De
plus, l'évaluation du coût des travaux peut être portée sur la mise en demeure
au propriétaire d'avoir à exécuter les travaux prescrits par l'arrêté
d'insalubrité ou de péril, sous peine d'exécution d'office, ce qui fonde
l'inscription à son bénéfice, au fichier des hypothèques, du privilège spécial
immobilier destiné à garantir sa future créance, au cas où la collectivité
publique serait amenée à réaliser ces travaux d'office, en application de la
seconde ordonnance du 11 janvier 2007 de lutte contre l'habitat indigne. Ces
nouvelles dispositions ont pour but de renforcer la pression exercée sur les
marchands de sommeil, en accroissant leurs obligations d'entretien des immeubles
et d'offre de logements décents à leurs locataires, et d'apporter aux
collectivités publiques des garanties très efficaces pour protéger leurs
créances en cas de travaux d'office. En rendant l'appréciation de
l'irrémédiabilité de l'insalubrité plus contraignante, la précision apportée par
le législateur devrait éviter que des propriétaires indélicats ne se défaussent
systématiquement sur la collectivité publique de l'obligation de
relogement. Comme vous le savez, monsieur le député, l'irrémédiabilité peut
malheureusement convenir aux propriétaires indélicats qui revendent alors sur le
marché leur immeuble rendu libre d'occupation, ce qui s'effectue bien sûr au
détriment des locataires, d'autant que l'indemnité de relogement pesant sur le
propriétaire peut paraître insuffisamment dissuasive. Les deux ordonnances du
15 décembre 2005 et du 11 janvier 2007 imposent désormais des obligations plus
fermes aux propriétaires pour réparer leurs immeubles et donc maintenir en place
les locataires. Monsieur le président, vous voyez toute la technicité du
ministère dont j'ai la charge. M. le président. Je n'en
doute pas, madame la ministre, mais les décrets et circulaires font aussi partie
de vos attributions. J'imagine donc que vous serez amenée à apporter d'autres
précisions autrement qu'en utilisant, certes de façon légitime mais néanmoins
intempestive, le cadre des discussions à l'Assemblée nationale.
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