Texte de la QUESTION :
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M. François Loncle rappelle à M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité qu'au moment où le Gouvernement se penche sur les conditions de travail des salariés français, un rapport de l'inspection du travail de la Seine-Maritime (daté du 19 septembre) dénonce de manière irréfutable les pressions exercées sur les salariés de l'usine Renault de Cléon pour que les victimes d'accident du travail évitent tout arrêt de travail. L'enquête a été menée par un inspecteur entre les mois de mai et septembre 2007 et a porté sur 58 accidents déclarés sans arrêt qui ont tous fait l'objet d'un transport vers une structure médicalisée en dehors de l'infirmerie de l'usine. Sur les 41 victimes d'accident du travail auditionnées, 26 avaient eu des arrêts prescrits. 22 personnes (soit 85 %) se sont vu proposer, le jour même ou dans la semaine qui a suivi l'accident, un poste aménagé afin que l'accident n'entraîne pas d'arrêt malgré la prescription médicale. 5 salariés seulement (dont 3 représentants du personnel) ont refusé le poste proposé. Il ressort de l'enquête qu'il existe un système de pressions organisé qui résulte directement des objectifs fixés par la direction de l'établissement, tels qu'ils apparaissent dans un document du comité de direction de l'usine du 25 mai 2007. Les témoignages des salariés interrogés sont éloquents : pressions téléphoniques de la hiérarchie pour une reprise du travail, convocations sur le lieu de travail pour la reprise en poste aménagé, menaces de changement d'horaires entraînant des pertes de revenu, culpabilisation des salariés sur le fait que Renault perd 600 euros par jour d'arrêt de travail, propositions de sur classement en cas de reprise anticipée, paiement normal du salaire quand le salarié ne peut se déplacer, fortes incitations pour le télétravail à domicile... La demande par la hiérarchie de renoncer aux arrêts de travail est systématisée et il s'agit d'y parvenir par « tous les moyens » (dixit un chef d'unité). C'est donc une politique globale et délibérée de la part de l'établissement. Il existe même un formulaire dit RATI (refus de déclaration d'accident du travail par l'intéressé), distribué au salarié après les soins de suite d'un accident qualifié de bénin. Cela indique que les accidents du travail dans l'usine de Renault Cleon ne sont pas tous déclarés aux services compétents (CRAM, inspection, CHSCT...). Outre le fait que l'entreprise ne respecte pas la législation du travail, notamment en matière de procédures d'inaptitude, de déclaration des accidents du travail, de consultation des représentants du personnel sur les postes aménagés, sur l'absence de mention des arrêts de travail sur les bulletins de salaires, sur les congés payés (puisque certains salariés sont conduits à prendre des congés plutôt qu'un arrêt de travail avant de reprendre un poste aménagé), il existe indubitablement un système de chantage au déroulement de carrière pour les salariés qui refuseraient de renoncer à un arrêt de travail. Il lui demande comment, dès lors, protéger les salariés contre ces méthodes inacceptables au regard du respect des lois et de la personne humaine, qui conduisent les intéressés à renoncer à leurs droits et - on le constate actuellement - parfois même à la vie.
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Texte de la REPONSE :
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DÉCLARATION DES ACCIDENTS DU TRAVAIL À L'USINE RENAULT DE CLÉON
EN SEINE-MARITIME M. le président. La
parole est à M. François Loncle, pour exposer sa question, n° 84, relative aux
déclarations des accidents du travail à l'usine Renault de Cléon en
Seine-Maritime. M. François Loncle. Ma question porte en
effet sur le droit du travail, plus spécialement les questions de sécurité et
d'accidents du travail dans une entreprise française dont on disait autrefois
qu'elle était un bon exemple de notre modèle social. Au moment où le
Gouvernement, le patronat et les syndicats se penchent sur les conditions de
travail des salariés, un rapport de l'inspection du travail de Seine-Maritime
fait état des pressions exercées sur les salariés de l'usine Renault de Cléon
pour que les victimes d'accidents du travail évitent tout arrêt de travail - et
je doute que ce rapport de douze pages, que vous connaissez probablement et que
je tiens à votre disposition, s'applique uniquement à cette usine. L'enquête
menée par un inspecteur du travail, dont il faut saluer l'action, entre mai et
septembre 2007, a porté sur cinquante-huit accidents déclarés sans arrêt, qui
ont tous fait l'objet d'un transport vers une structure médicalisée extérieure à
l'usine. Sur les quarante et une victimes auditionnées, vingt-six se sont vu
prescrire un arrêt de travail, et vingt-deux d'entre elles, soit 85 %, se sont
vu proposer, le jour même ou au cours de la semaine qui a suivi l'accident, un
poste aménagé afin que l'accident n'entraîne pas d'arrêt malgré la prescription
médicale. Cinq salariés seulement, dont trois représentants du personnel, ont
refusé le poste proposé. Il ressort de l'enquête qu'il existe un système de
pressions organisé, qui résulte directement des objectifs fixés par la direction
de l'établissement tels qu'ils apparaissent dans un document du comité de
direction de l'usine du 25 mai 2007. Les témoignages des salariés interrogés
sont éloquents, faisant état de pressions téléphoniques de la hiérarchie pour
une reprise du travail, de convocations sur le lieu de travail pour la reprise
en poste aménagé, de menaces de changements d'horaires entraînant une perte de
revenus, de tentatives de culpabilisation sur le fait que Renault perd 600 euros
par jour d'arrêt de travail, de propositions de surclassement en cas de reprise
anticipée, de paiement normal du salaire si le salarié ne peut se déplacer, de
fortes incitations pour le télétravail à domicile. La demande par la
hiérarchie de renoncer aux arrêts de travail est systématisée et il s'agit,
selon un chef d'unité, d'y parvenir " par tous les moyens ". C'est donc une
politique globale et délibérée de la part de l'établissement. Il existe même un
formulaire dit RATI - refus de déclaration d'accident du travail par l'intéressé
- distribué aux salariés après des accidents qualifiés de bénins. Cela montre
bien que les accidents du travail dans l'usine Renault de Cléon ne sont pas tous
déclarés aux services compétents : caisse régionale d'assurance maladie,
inspection du travail, comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de
travail. Outre le fait que l'entreprise ne respecte pas la législation du
travail sur divers points - procédure d'inaptitude, déclaration des accidents du
travail, consultation des représentants du personnel sur les postes aménagés,
absence de mention des arrêts de travail sur les bulletins de salaire et les
congés payés, ce qui conduit certains salariés à prendre des congés avant de
reprendre un poste aménagé -, il existe indubitablement un chantage au
déroulement de carrière pour les salariés qui refuseraient de renoncer à un
arrêt de travail. Ayant eu connaissance de ma question, le directeur de
l'usine de Cléon a eu la courtoisie de me répondre, sans toutefois me
convaincre. Je vous demande donc ce que le Gouvernement compte faire pour
protéger les salariés contre des méthodes inacceptables au regard du respect des
lois et de la personne humaine, et qui conduisent les intéressés à renoncer à
leurs droits. M. le président. La parole est à Mme la
secrétaire d'État chargée de la solidarité. Mme Valérie
Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité. Monsieur le
député François Loncle, il est exact qu'une enquête réalisée par l'inspection du
travail de la Seine-Maritime entre janvier 2005 et le premier trimestre 2007 a
révélé qu'un certain nombre de salariés victimes d'accidents du travail à
l'usine Renault de Cléon n'étaient pas en arrêt de travail alors même qu'un
arrêt leur avait été prescrit par le médecin. Ils avaient repris de façon
anticipée le travail dans le cadre de postes aménagés, proposés par les
responsables hiérarchiques sans avis préalable du médecin du travail. Ces
irrégularités ont été notifiées à l'entreprise et font l'objet d'un suivi par
l'inspection du travail. De manière générale, la sous-déclaration des
accidents du travail tient au fait que l'employeur a intérêt à ce que le salarié
ne déclare pas l'accident et que le salarié, de son côté, n'y a pas toujours
avantage. La sous-évaluation a des conséquences sur la réparation des
accidents du travail comme sur leur prévention. En matière de réparation, ce
phénomène conduit à ce que l'assurance maladie supporte indûment des charges qui
relèvent normalement de la branche accidents du travail - maladies
professionnelles. En matière de prévention, le fait que tous les accidents ne
soient pas déclarés ou reconnus nuit à la connaissance des risques
professionnels, donc à leur prévention. Aussi, pour ouvrir la voie à une
meilleure prévention, la connaissance des accidents et maladies professionnelles
doit-elle dépasser le filtre de leur reconnaissance par la CNAMTS et passer par
la constitution de réseaux de veille et de surveillance. Par ailleurs, le
ministère du travail, des relations sociales et de la solidarité s'attache à
mettre en place, en collaboration avec le ministère de l'enseignement supérieur,
des mesures d'information et de formation adaptées à destination du corps
médical, la méconnaissance de l'origine professionnelle des pathologies - par
les médecins généralistes en particulier - constituant une cause principale de
sous-déclaration. La convention d'objectifs et de gestion, qui fera
prochainement l'objet d'une discussion entre l'État et la branche AT-MP de la
sécurité sociale, constituera à cet égard un levier de progrès dans la lutte
contre la sous-évaluation des risques professionnels. Afin d'intensifier la
prévention contre les accidents du travail, l'inspection du travail a reçu des
instructions de vigilance accrue et plusieurs mesures ont été prises ou sont en
préparation à l'issue de la conférence sur les conditions de travail du 4
octobre 2007, présidée par Xavier Bertrand. Il s'agit notamment de la
sensibilisation des entreprises à la politique d'évaluation a priori des
risques, obligation étant faite aux employeurs de consigner par écrit les
résultats de cette évaluation dans le document unique. Ce document, recensant
les risques générés par une activité, est tenu à la disposition des membres du
comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, des
délégués du personnel, des agents de contrôle compétents - inspecteurs et
contrôleurs du travail -, du médecin du travail et des services de prévention
des caisses régionales d'assurance maladie. Lors de la conférence du 4 octobre,
l'accent a été mis sur les aides qui peuvent être apportées aux entreprises pour
l'élaboration de ce document fondamental. Il s'agit également d'améliorer la
formation des représentants des salariés, notamment des délégués du personnel à
la sécurité et à la santé au travail : cela s'inscrit dans la dynamique partagée
par les pouvoirs publics et les partenaires sociaux pour accroître le rôle de
ces acteurs essentiels de la prévention des risques professionnels dans les PME
; la conférence a ainsi décidé de lancer une négociation sociale sur le rôle des
CHSCT, la formation de leurs membres et les dispositifs d'alerte. Il s'agit
enfin d'améliorer le travail en réseau des différents acteurs de la prévention,
que sont notamment les CRAM et l'INRS, l'ANACT et les ARACT, les services de
santé au travail, afin de démultiplier l'efficacité de leurs actions et
d'assurer la cohérence de leurs interventions, Vous le voyez, la prévention
et la connaissance des risques professionnels susceptibles de provoquer des
accidents du travail ou des maladies professionnelles font partie d'un ensemble
de mesures et d'actions faisant intervenir un grand nombre d'acteurs dans
l'entreprise et hors de l'entreprise. Le Gouvernement a la volonté d'améliorer
l'ensemble de ce dispositif en agissant sur tous les leviers.
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