15ème législature

Question N° 265
de M. François Ruffin (La France insoumise - Somme )
Question orale sans débat
Ministère interrogé > Justice
Ministère attributaire > Justice

Rubrique > justice

Titre > Suppression redoutée de la cour d'appel d'Amiens

Question publiée au JO le : 10/04/2018
Réponse publiée au JO le : 18/04/2018 page : 2988

Texte de la question

M. François Ruffin interroge Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la suppression redoutée de la cour d'appel d'Amiens. La Picardie subit de plein fouet un choc industriel. Voici qu'elle subit, depuis quelques années, un second choc : administratif. En effet, la fusion des régions a eu comme conséquence un déplacement vers Lille des services de l'État ainsi que des sièges régionaux des grandes entreprises, telle la Caisse d'Épargne. Il lui demande si elle souhaite poursuivre dans cette droite ligne, enfoncer un sentiment d'abandon, en supprimant la cour d'appel d'Amiens, comme cela risque d'arriver si le projet de loi de programmation pour la justice est adopté.

Texte de la réponse

COUR D'APPEL D'AMIENS


M. le président. La parole est à M. François Ruffin, pour exposer sa question, n°  265, relative à la cour d'appel d'Amiens.

M. François Ruffin. Madame la ministre, un auteur de mon coin, Francis Demarcy, écrit : « Entre le Nord qui ferme ses usines et Paris qui ferme son cœur, il y a la Picardie qui ferme sa gueule. » La Picardie ferme aussi ses usines – Goodyear, Whirlpool, Honeywell, Magneti Marelli, Flodor –, mais à ce choc industriel s'est ajouté un choc symbolique. Avec la fusion des régions, le nom de Picardie a disparu, rayé d'un trait de plume depuis Paris, avec mépris. Sans doute plus concret, moins sentimental, le choc administratif : le conseil régional s'est déplacé d'Amiens à Lille ; à sa suite, bien des services de l'État sont partis, notamment l'agence régionale de santé, et derrière, les sièges régionaux des grandes entreprises comme la Caisse d'épargne, mais aussi d'importantes associations comme la Ligue de football. Tout cela a une double conséquence : la perte d'emplois et l'éloignement des services. D'où ma question, madame la ministre : comptez-vous poursuivre dans cette droite ligne et enfoncer une impression d'abandon en supprimant ou en réduisant la cour d'appel d'Amiens ?

Vous avez voulu rassurer, déclarant : « Il y aura toujours de l'appel à Amiens ». Mais à vrai dire, ça a plutôt inquiété : que signifiait le partitif « de l'appel » au lieu de « une cour d'appel » tout simplement ? Vous disiez « de l'appel » comme on dit « du pain », et il semblait donc bien qu'il n'en resterait qu'un bout. Comme, à l'occasion de votre visite dans le coin, avocats et magistrats insistaient, vous avez confirmé, un peu agacée : « Nous ne fermerons aucun lieu de justice. » Et en même temps, vous ajoutiez qu'Amiens devrait s'entendre avec Douai, dans le Nord, pour répartir les contentieux spécialisés. Comprenez qu'on se méfie, madame la ministre : des entourloupes, on nous en a trop fait, à l'endroit et à l'envers. Vos formules ressemblent à celles d'un directeur de La Poste qui vient rassurer le maire du bourg : « Vous en aurez toujours, de la poste » – et on se retrouve avec un relais postal chez le boucher… Pourriez-vous donc, simplement et sans fioriture, énoncer cette phrase qui lèverait tout doute, toute ambiguïté : « La cour d'appel d'Amiens sera maintenue avec le même périmètre et le même volume de contentieux » ?

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député Ruffin, vos désirs sont des ordres : la cour d'appel d'Amiens sera maintenue avec sa compétence, son périmètre – et ses juges, cela va de soi. Plus sérieusement, monsieur le député, conformément aux engagements pris par le Gouvernement et que j'ai réitérés à maintes reprises, je vous le redis aujourd'hui : le projet de loi de programmation pour la justice que j'aurai le plaisir de vous présenter ne comportera la fermeture d'aucun lieu de justice ni tribunal, qu'il s'agisse des tribunaux d'instance, des cours d'appel ou des tribunaux de grande instance. Toutes les cours d'appel seront donc maintenues, et celle d'Amiens en particulier.

Pour les cours d'appel, le projet de loi proposera la conduite d'une expérimentation, localisée dans deux régions administratives qui comportent plusieurs cours d'appel. J'ai souhaité cette expérimentation car je ne veux pas, pour l'appel comme pour le reste, imposer, depuis Paris, des décisions qui iraient contre le ressenti du terrain. L'expérimentation proposée consistera à conférer à des chefs de cour des fonctions d'animation et de coordination sur un ressort étendu à celui de plusieurs cours d'appel au sein d'une région, afin d'améliorer le service rendu aux justiciables et d'assurer la cohérence de l'action du service public de la justice, dans le respect de l'indépendance juridictionnelle. Elle permettra de spécialiser, dans certaines matières civiles, selon les spécificités locales, des cours d'appel au sein d'une région, pour une jurisprudence plus homogène et plus prévisible. Aucun choix n'a encore été fait sur les cours d'appel qui pourraient expérimenter ces nouvelles mesures, mais même dans ce cadre, aucune cour d'appel ne sera supprimée.

S'agissant du cas particulier d'Amiens sur lequel vous m'interrogez, j'irai beaucoup plus loin encore en vous réaffirmant que non seulement la cour d'appel sera maintenue, mais qu'en outre sa compétence sera renforcée. En effet, dans le cadre de la réforme des juridictions sociales engagée par la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle du 18 novembre 2016, il était prévu qu'une cour d'appel serait compétente à compter du 1er janvier 2019 pour toute la France pour connaître du contentieux tarifaire de la Sécurité sociale qui relevait jusqu'à présent de la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail. Or le décret du 5 janvier 2017 est déjà venu désigner la cour d'appel d'Amiens pour exercer cette compétence nationale. Donc non seulement cette cour subsistera-t-elle dans l'ensemble de ses compétences, mais elle aura cette compétence nationale supplémentaire.

M. le président. La parole est à M. François Ruffin.

M. François Ruffin. Madame la ministre, je vous remercie pour votre réponse qui, je suis confiant, sera suivie d'effet. Pour ce qui est des expérimentations, je ne sais si elles auront lieu dans mon coin ou non, mais j'espère qu'on demandera aussi l'avis des cobayes !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Absolument !