15ème législature

Question N° 28795
de M. Sébastien Jumel (Gauche démocrate et républicaine - Seine-Maritime )
Question écrite
Ministère interrogé > Agriculture et alimentation
Ministère attributaire > Agriculture et alimentation

Rubrique > agroalimentaire

Titre > Situation de la filière laitière et des productions fromagères AOP

Question publiée au JO le : 28/04/2020 page : 3029
Réponse publiée au JO le : 09/06/2020 page : 4021

Texte de la question

M. Sébastien Jumel alerte M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation sur la situation de la filière laitière et des productions fromagères AOP. Les fromages AOP de la région normande, du camembert au neufchâtel, comme tous les producteurs de la filière laitière subissent des pertes inquiétantes pour l'avenir du tissu régional normand. Selon les premières estimations, 65 % des agriculteurs normands déclarent avoir perdu au moins 50 % de leur chiffre d'affaires. Des éleveurs laitiers se sont résolus à jeter leur lait, notamment ceux en vente directe, face à la chute des prix liée au manque de débouchées que la situation exige, alors même que la production atteint son pic annuel. La filière lait a estimé une baisse des ventes de fromages AOP allant de 25 % à 80 %. Les grandes surfaces quant à elles (80 % des ventes) ont fortement réduit, voire fermé les rayons à la coupe (38 % des volumes) par manque de personnel ou par mesures d'hygiène, ce qui pèse très fortement sur les débouchés des fromages AOP. Les productions de fromage neufchâtel ont par exemple perdu déjà jusqu'à 70 % de leur chiffre d'affaires annuel. La demande formulée par les 27 ministres de l'agriculture à la Commission européenne, au sujet du stockage privé dans le secteur des produits laitiers, est en partie insuffisante pour assurer les producteurs contre une déflation généralisée des produits laitiers. L'aide de 1 500 euros attribuée à toutes les entreprises indépendantes en difficulté ne suffira pas à essuyer les pertes des agriculteurs et laitiers normands. Un grand nombre d’organisations syndicales agricoles ont d'ores et déjà demandé que des mesures plus fortes soient prises. M. le député s'interroge sur le retard de l'Union européenne et de M. le ministre à rétablir des quotas de production et des encadrements d'importation au sein de la zone UE pour le lait pour une durée d'au moins 18 mois. Cette mesure permettrait de sécuriser les prix sur toute la période de la crise et de limiter les phénomènes de surproduction. M. le député souhaite également attirer l'attention de M. le ministre sur la nécessité d'organiser, en parallèle d'un stockage privé, un stockage public pour les produits laitiers, comme ce fut le cas pour le beurre en 1984. De la même manière, l'opportunité se pose de déclencher le fonds national de gestion des risques agricoles (FNGRA) par le biais du régime des calamités agricoles, afin d'indemniser les exploitants laitiers qui sont confrontés à des pertes économiques en raison du coronavirus. Ce fonds devrait être réinvesti et restructuré pour ne plus abandonner les agriculteurs à la seule gestion de produits d'assurance pour se prémunir des risques. Enfin, pour protéger les terroirs et les productions fromagères AOP, des mesures d'accompagnement administratives doivent être prises. Les demandes d'aides de politique agricole commune des agriculteurs normands doivent être facilitées et les paiements effectués sans délai ni retard. M. le député interroge sur un assouplissement des critères de productivité dans le fléchage des crédits, notamment pour soutenir les fromages normands AOP. M. le député refuse que la filière lait en Normandie ne soit pas accompagnée. Il souhaite connaître ses intentions sur les mesures d'aide spécifiques qu'il compte mettre en place à ce sujet.

Texte de la réponse

La crise sanitaire actuelle a des impacts importants pour de nombreuses filières agricoles et agroalimentaires. C'est notamment le cas de la filière laitière, et en particulier pour les petites entreprises fromagères, souvent dans des filières sous indication géographique (IG), et les producteurs laitiers fermiers, dont l'activité est si importante pour le patrimoine et l'économie des territoires. Ces filières font face à des difficultés liées à des pertes de débouchés, compte tenu de la fermeture pendant presque deux mois d'une majorité du secteur de la restauration hors domicile, de celle d'un nombre important de marchés, et de l'orientation des achats alimentaires vers des produits de première nécessité et moins d'achats festifs par les consommateurs. En outre, la période de forte production laitière (du fait du pic de collecte annuel) aggrave la problématique. Le déconfinement amorcé le 11 mai 2020 doit permettre à ces filières de retrouver progressivement une partie de ces débouchés. Au niveau local, des réorganisations de collecte du lait et de leurs débouchés ont été mises en place pour optimiser les capacités de valorisation du lait, avec notamment la mobilisation de certaines grandes entreprises, en particulier coopératives. Il convient de saluer la solidarité exemplaire qui s'est exercée dans la filière laitière et a permis d'atténuer les difficultés rencontrées par les plus petites entreprises pour lesquelles les alternatives sont réduites. De plus, des efforts ont été entrepris par les enseignes de grande distribution pour maintenir ouverts les rayons à la coupe et préserver la diversité des produits proposés aux consommateurs. De nombreuses mesures de soutien ont été mises en place pour aider tous les maillons et acteurs de la filière, au niveau français comme au niveau européen. Les fromages sous IG maillent l'ensemble du territoire, avec une production souvent issue de très petites entreprises (TPE) et de petites et moyennes entreprises (PME), dont certaines qui apparaissent durement touchées par la crise. C'est bien pour préserver ce type d'entreprise que le Gouvernement a annoncé des mesures immédiates de soutien, dont peuvent bénéficier les exploitations agricoles et les entreprises de transformation, notamment les TPE et PME. S'agissant de recourir au fonds national de gestion des risques en agriculture, ce fonds a été institué par la loi afin de participer au financement des dispositifs de gestion des aléas climatiques, et des indemnisations des pertes économiques liées à l'apparition d'un foyer de maladie animale ou végétale ou d'un incident environnemental dans le secteur agricole. Les pertes économiques liées à une pandémie n'entrent pas dans le champ d'intervention de ce fonds. Au niveau national, le ministère chargé de l'agriculture a travaillé avec les services de l'institut national de l'origine et de la qualité pour mettre en place une procédure rapide pour permettre aux fromages sous IG qui le souhaitent d'adapter temporairement leur cahier des charges pour faire face à la crise actuelle. Il s'agit pour eux de pouvoir continuer à bénéficier de leur appellation, malgré les évolutions des conditions de production compte tenu de la crise actuelle (en permettant la congélation d'une partie des volumes sous forme de caillé ou de fromages en blanc par exemple), tout en veillant à préserver ce qui fait la typicité de ces fromages. Le ministère de l'agriculture et de l'alimentation travaille également avec le conseil national des appellations d'origine laitières sur l'évolution des dispositifs de régulation de l'offre (RRO) de fromages sous IG déjà mis en œuvre pour huit des fromages sous appellation, ou à la mise en place de telles règles pour de nouveaux fromages pour permettre une meilleure maîtrise de l'offre de ces derniers. Les RRO pour les appellations fromagères qui le souhaitent pourront par exemple prévoir une application saisonnière temporaire avec l'établissement de références mensuelles ou trimestrielles. Les services du ministère de l'agriculture assureront une gestion rapide des dossiers qui seront déposés, en lien avec ceux du ministère de l'économie et des finances. Au niveau européen, le ministre chargé de l'agriculture a porté la nécessité d'activer des mesures de gestion des marchés. Il était indispensable que la Commission européenne active sans plus attendre ces outils et le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a mobilisé l'ensemble des partenaires européens pour porter conjointement cette demande. Concernant la filière laitière et fromagère, il s'agissait en particulier d'activer une aide financière au stockage privé. La France jugeait également pertinent de déclencher l'article 222 du règlement (UE) n° 1308/2013, portant organisation commune des marchés, dit « OCM unique », qui permet aux interprofessions et aux organisations de producteurs de mener des actions concertées en vue de contribuer à la stabilisation des marchés. Pour le secteur laitier, la Commission européenne a apporté des réponses en publiant quatre règlements, le 4 mai, dont l'un permet d'activer pour six mois, à compter du 1er avril, l'article 222 pour le lait pour permettre la planification de la production et des mesures de stockages privés pour la poudre de lait écrémé, le beurre et l'ensemble des fromages, sous indication géographique ou non. Pour soutenir les efforts des producteurs de modération de la collecte laitière, le centre national interprofessionnel de l'économie laitière, l'interprofession laitière nationale, souhaite mettre en place un dispositif d'aide à la réduction volontaire de la production, dont il a demandé la validation préalable à la Commission européenne. Ce dispositif pourra s'appuyer sur l'article 222 de l'OCM qui vient d'être activé par la Commission européenne, comme le demandait la France. De plus, le règlement OCM unique prévoit un dispositif d'intervention publique pour la poudre de lait écrémé et le beurre. Entre le 1er mars et le 30 septembre, le dispositif est opérationnel lorsque les prix d'intervention, fixés dans la réglementation européenne, sont atteints. Cette mesure constitue un filet de sécurité supplémentaire pour éviter une baisse trop importante du prix de la poudre de lait écrémé et du beurre et donc in fine du prix du lait payé aux producteurs. Par ailleurs, à plus long terme, la France demande, dans le cadre de la négociation en cours sur la future politique agricole commune, la mise en place de seuils d'alerte pour une meilleure réactivité et une meilleure efficience des outils d'intervention sur les marchés. Elle porte également l'ajout dans la réglementation européenne d'une mesure de réduction volontaire de la production en cas de difficultés sur les marchés, à l'instar de la mesure européenne mise en place en 2016 dans le cadre de la crise laitière. L'ensemble du Gouvernement, dont le ministère de l'agriculture, reste pleinement mobilisé pour suivre l'évolution de la situation pour l'ensemble des filières agricoles et apporter les solutions appropriées le plus rapidement possible. La propagation mondiale du covid-19 place le monde entier dans une situation inédite avec un double défi, sanitaire et économique auquel il convient de faire face collectivement.