FICHE QUESTION
9ème législature
Question N° : 58817  de  M.   Kucheida Jean-Pierre ( Socialiste - Pas-de-Calais ) QE
Ministère interrogé :  justice
Ministère attributaire :  justice
Question publiée au JO le :  15/06/1992  page :  2642
Réponse publiée au JO le :  28/09/1992  page :  4527
Rubrique :  Droits de l'homme et libertes publiques
Tête d'analyse :  Crimes de guerre et crimes contre l'humanite
Analyse :  Definitions. ambiguite. consequences. action de la justice
Texte de la QUESTION : M Jean-Pierre Kucheida appelle l'attention de M le garde des sceaux, ministre de la justice, a propos du traitement des criminels de guerre. En effet, le denouement de l'affaire Touvier fait incontestablement apparaitre une grave contradiction entre la definition des « crimes de guerre » et des « crimes contre l'humanite ». Cette ambiguite, puisque la prescription s'applique aujourd'hui aux premiers, peut avoir pour consequence, et c'est le cas aujourd'hui, l'impunite totale de ceux qui pourtant sont reconnus coupables et ce n'est qu'un exemple, parmi tant d'autres, de crime collectif. Les executions sommaires sans jugement, sans possibilite de defense ne sont-ils pas des crimes contre l'humanite ? La majorite des Francais s'emeuvent de ce qui leur apparait bel et bien comme une enorme injustice. En consequence, il lui demande que de nouveaux textes viennent eclaircir cette situation pour que les criminels de guerre ne puissent echapper a la justice.
Texte de la REPONSE : Reponse. - L'article 6 C du statut du tribunal militaire international de Nuremberg annexe a l'accord de Londres du 8 aout 1945 definit les crimes contre l'humanite comme « l'assassinat, l'extermination, la reduction en esclavage, la deportation et tout autre acte inhumain commis contre toute population civile avant ou pendant la guerre, ou bien les persecutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persecutions, qu'ils aient constitue ou non une violation du droit interne du pays ou ils ont ete perpetres, ont ete commis a la suite de tout crime rentrant dans la competence du tribunal ou en liaison avec ce crime. Les dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices qui ont pris part a l'elaboration ou a l'execution d'un plan concerte ou d'un complot pour commettre un des crimes ci-dessus definis, sont responsables de tous les actes accomplis par toute personne en execution de ce plan ». Le 6 fevrier 1975, la chambre criminelle de la Cour de cassation - a propos de la procedure suivie contre Paul Touvier - a considere que les elements constitutifs des crimes precites n'etaient pas identiques a ceux des crimes de guerre, prevus par l'ordonnance du 28 aout 1944 et la loi no 48-1416 du 15 septembre 1948, et du crime d'intelligence avec l'ennemi prevu par les articles 70 et suivants du code penal. Par cette decision, la Cour de cassation a, a la fois, consacre l'existence en droit francais des crimes contre l'humanite, leve l'incertitude tenant au texte applicable en se referant expressement a l'article 6 C du statut du tribunal de Nuremberg, et affirme l'autonomie de cette incrimination a l'egard d'autres infractions, et notamment des crimes de guerre. La definition des mobiles et circonstances conferant aux crimes contre l'humanite leur caractere propre s'est affirmee progressivement, a l'occasion des arrets Barbie rendus par la haute juridiction les 26 janvier 1984 et 20 decembre 1985. Alors que, pour les crimes de guerre, un dol general est exige, en ce qui concerne les crimes contre l'humanite, un mobile special est necessaire : l'adhesion de l'executant a une politique etatique d'hegemonie ideologique, telle l'ideologie nationale-socialiste du IIIe Reich. Cet element implique que ces crimes soient le resultat d'un plan concerte ou d'une pratique collective ou systematique. C'est donc dans le mobile que reside l'element distinctif essentiel des crimes contre l'humanite. D'une part, la reference a la notion de politique etatique permet de reserver cette qualification aux crimes commis dans le cadre d'une entreprise criminelle de grande envergure. D'autre part, la politique etatique mise en oeuvre doit etre une « politique d'hegemonie ideologique », c'est-a-dire une politique tendant a imposer la suprematie d'une doctrine, au mepris absolu des individus. Une telle analyse a amene la Cour de cassation a considerer, dans sa decision du 20 decembre 1985, que des lors qu'ils sont « presentes comme justifies politiquement » par une ideologie totalitaire, des crimes atroces - tels la deportation d'individus dans un camp de concentration en vue de leur extermination -, constituent des crimes contre l'humanite. Ces derniers peuvent donc etre definis comme des atteintes graves a la personne humaine commises au nom d'un Etat pratiquant une politique d'hegemonie ideologique, a l'encontre d'une collectivite raciale ou religieuse ou a l'encontre des adversaires de cette politique, quelle que soit la forme de leur opposition. L'autonomie des crimes contre l'humanite s'affirme notamment au regard des regles relatives a la prescription. Alors que les crimes de guerre se prescrivent selon le droit commun, les crimes contre l'humanite sont imprescriptibles, aux termes de la loi du 26 decembre 1964. S'agissant de la procedure suivie contre Paul Touvier - inculpe de crimes contre l'humanite depuis le 29 mai 1989 -, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris a rendu un arret de non-lieu a son benefice. Ainsi que le garde des sceaux l'a rappele en reponse a une precedente question ecrite sur cette affaire (JO Senat, 25 mai 1992, page 225), cette decision, qui a suscite une vive emotion de l'opinion publique, a ete immediatement frappee d'un pourvoi en cassation par le procureur general pres la cour d'appel de Paris. La decision de non-lieu deferee a la haute juridiction - qui devrait se prononcer prochainement -, a ete motivee en fait, les magistrats de la cour d'appel estimant insuffisantes les charges pesant sur Paul Touvier a l'exception toutefois du massacre de sept juifs perpetre a Rillieux le 29 juin 1944 et, en droit, les faits reproches a ce dernier etant prescrits comme constituant un crime de guerre, et non un crime contre l'humanite, faute de pouvoir relever en l'espece le dol special sus-analyse, c'est-a-dire le mobile specifique consistant pour son auteur en la conscience de prendre part a l'execution d'un plan concerte d'extermination au nom d'un Etat pratiquant une politique d'hegemonie ideologique. Il appartient a la Cour de cassation de trancher cette delicate question de droit. Enfin, le garde des sceaux rappelle a l'auteur de la question ecrite que, jusqu'a present, les textes de droit interne n'erigeaient pas cette incrimination en infraction autonome precisement definie. A l'initiative du Gouvernement, le Parlement a adapte, dans le nouveau code penal, un titre Ier intitule « Des crimes contre l'humanite » insere dans le livre II « Crimes et delits contre les personnes ». Ainsi, a compter de l'entree en vigueur de ces textes, se trouveront incrimines le genocide, defini comme des atteintes graves a la vie, a l'integrite physique ou a la liberte des membres d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux, en execution d'un plan concerte tendant a la destruction totale ou partielle de ce groupe, et la deportation, la reduction en esclavage ou la pratique massive et systematique d'executions sommaires, d'enlevements de personnes suivis de leur disparition, de la torture ou d'actes inhumains, inspires par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux et organises a l'encontre d'un groupe de population civile. Ces infractions sont punies de la reclusion criminelle a perpetuite.
SOC 9 REP_PUB Nord-Pas-de-Calais O