Instruction
Question de :
M. Delattre Francis
- UDF
Question posée en séance, et publiée le 31 octobre 1996
M. le president. La parole est a M. Francis Delattre.
M. Francis Delattre. Ma question s'adresse a M. le garde des sceaux. Elle concerne la presomption d'innocence en general et de celle des elus en particulier.
Monsieur le garde des sceaux, l'article IX, de la Declaration des droits de l'homme pose comme principe que tout homme est considere comme innocent jusqu'a ce que la preuve contraire soit apportee et qu'il ait ete declare coupable.
La Convention europeenne des droits de l'homme, les preambules de la Constitution de 1946 et de la Constitution de 1958 posent cette valeur comme principe constitutionnel.
Monsieur le garde des sceaux, depuis des annees, quand nous regardons le paysage, que constatons-nous ? La presomption d'innocence s'applique-t-elle egalement pour tous dans ce pays ? A vrai dire, elle ne s'applique que si vous n'interessez pas les medias. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la democratie francaise et du Centre et du groupe du Rassemblement pour la Republique.)
Ceux qui sont exposes - pas seulement les elus, tous ceux qui sont exposes de par leurs fonctions ou les decisions qu'ils sont amenes a prendre - se trouvent aujourd'hui des lors qu'ils ont de pres ou de loin un probleme avec l'institution judiciaire, menaces directement dans leur vie personnelle, de par un systeme de fuites bien organisees qui font que, au quotidien, leur proces est organise dans la presse ecrite, et qu'eventuellement leur condamnation est prononcee au journal de 20 heures. («Tres bien !» et applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la democratie francaise et du Centre et du groupe du Rassemblement pour la Republique.)
Monsieur le garde des sceaux, je suis aujourd'hui personnellement implique dans un processus de cette nature. Depuis deux ans, des fuites orgranisees m'ont accuse, a partir de sources «proches de l'enquete», selon l'expression consacree, de mille turpitudes, certaines etant suffisamment extravagantes pour que cela n'aille pas au-dela d'un ou deux articles. Depuis quelques semaines, par contre, je suis accuse, ni plus ni moins, d'avoir, le 23 juin de l'an de grace 1989, touche une somme de 6 millions de francs en Suisse. Ceci, a partir de declarations emanants toujours du meme personnage, confortees depuis quelques semaines par des dirigeants d'entreprise, qui ont trouve que 1988-1989, c'etait quand meme avant la loi d'amnistie de janvier 1990.
Ayant pu prouver sans aucun doute que, le 23 juin, je ne pouvais etre en Suisse, puisqu'il y avait dans ma commune une manifestation importante, ayant pu prouver de facon irrefutable ou je me trouvais dans ma commune toutes les deux heures, l'ayant indique non a un juge, puisque je n'ai jamais ete interroge, mais a un journaliste - l'un de ceux, vous savez, qui sont a la fois journalistes, enqueteurs, justiciers - je me suis apercu que la communication entre les milieux proches de l'enquete et ce type de journaliste fonctionnait bien, pour la raison simple que cela m'a valu assez rapidement une perquisition.
Je pense que je vais vous interesser, monsieur le president, si je vous dis en quelques mots...
M. le president. Rapidement, monsieur Delattre.
M. Alain Griotteray. C'est important !
M. le president. Effectivement, mais je ne sais pas si c'est le lieu.
M. Francis Delattre. C'est bien la le probleme, monsieur le president, parce que, quand vous entrez, elu de la Republique, dans cette sorte de spirale, vous n'avez pratiquement aucun moyen de vous defendre efficacement.
C'est pour cela que je remercie mon groupe de m'avoir donne quelques instants pour que je puisse m'adresser aux gens qui m'ont fait confiance dans ma ville, dans ma circonscription, car il n'y a rien de pire que ces regards qui se detournent parce qu'on doute de votre probite. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la democratie francaise et du Centre et du groupe du Rassemblement pour la Republique.)
M. le president. La parole est a M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le depute, je voudrais dire d'abord toute l'importance que je peux attacher comme garde des sceaux, a la fois sur le plan des principes et sur le plan personnel, a la situation que vous venez d'evoquer et au probleme que vous venez de poser.
M. Didier Boulaud. Il y en a qui ont fait de la taule !
M. le garde des sceaux. Par ailleurs, vous comprendrez que, pour ma part, je ne puisse pas evoquer quelque fait que ce soit ou quelque element que ce soit qui puisse se rattacher a l'enquete dont vous parlez.
M. Alain Griotteray. Vous pouvez parler des principes.
M. le garde des sceaux. Les principes, monsieur Griotteray et monsieur Delattre, sont traduits dans la loi, et cette loi, les citoyens peuvent en obtenir application. (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour la democratie francaise et du Centre.)
M. Jean-Jacques Weber. Non !
M. Jean-Claude Lefort. Peuvent !
M. le garde des sceaux. D'abord parce qu'il y a, au titre du secret de l'instruction... (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour la democratie francaise et du Centre.)
M. Henri de Richemont. Il n'existe plus; les magistrats le violent !
M. le garde des sceaux. ... des dispositions du code de procedure penale.
M. Daniel Picotin. Elles ne sont pas appliquees !
M. le garde des sceaux. Si ces dispositions presentent aujourd'hui des difficultes d'application, c'est que le secret de l'instruction, ...
M. Jean-CLaude Lefort. Secret de Polichinelle !
M. le garde des sceaux. ... dans notre code de procedure penale, ne lie qu'une partie des personnes impliquees dans la procedure, c'est-a-dire les magistrats et les fonctionnaires.
M. Henri de Richemont. Ce n'est pas vrai !
M. le garde des sceaux. Les parties elles-memes ne sont pas liees par le secret. Et cela donne une loi qui, en elle-meme, est imparfaite et qui est imparfaitement appliquee.
C'est la raison pour laquelle, mesdames et messieurs les deputes, j'ai mis a l'ordre du jour - et le President de la Republique a demande dans son allocution du 14 juillet que soit mise a l'ordre du jour - la refonte de la procedure penale sur ce sujet. Des reflexions ont ete engagees. Il est plus difficile de trouver une solution que de poser le probleme.
Quant a la presomption d'innocence, elle peut etre protegee a la fois par l'utilisation du code penal, c'est-a-dire par une plainte en diffamation (Rires sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la democratie francaise et du Centre), et par l'utilisation de nouvelles dispositions du code civil - l'article 9-1 - qui permettent d'obtenir une reparation, c'est-a-dire des dommages-interets, de celui qui a porte atteinte a l'honneur et a la consideration d'une personne. Il faut utiliser, le cas echeant, les possibilites qu'offre la loi.
Bien entendu, monsieur le depute, il n'y a pas de justice republicaine sans egalite. Il n'y a pas de justice republicaine qui ne protege d'abord la dignite des personnes.
C'est pourquoi, y compris a travers des propositions legislatives qu'un certain nombre d'entre vous ne veulent pas soutenir, je me suis battu et je continuerai a me battre, au banc du Gouvernement, pour la dignite, par tous les moyens. Car la dignite des personnes mises en cause par la justice, c'est aussi la dignite de la justice. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la Republique et du groupe de l'Union pour la democratie francaise et du Centre.)
Auteur : M. Delattre Francis
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Procedure penale
Ministère interrogé : justice
Ministère répondant : justice
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 31 octobre 1996