Question au Gouvernement n° 2343 :
Albanie

10e Législature

Question de : M. Lellouche Pierre
- RPR

Question posée en séance, et publiée le 19 mars 1997

M. le president. La parole est a M. Pierre Lellouche.
M. Pierre Lellouche. Monsieur le ministre des affaires etrangeres, vous n'etes pas sans savoir que, depuis plusieurs semaines, se deroulent, dans un pays proche de nous, completement ravage par cinquante ans de dictature communiste, des evenements extremement graves. L'Etat albanais s'est effronde. Plusieurs villes sont en etat d'insurrection. A la suite de pillages, des dizaines de milliers d'armes ont disparu ou ont ete distribues a la population.
Depuis quelques jours, le Premier ministre socialiste et le President de la Republique democrate, M. Berisha, demandent a l'Europe d'intervenir, de leur venir en aide.
Ne rien faire serait a mes yeux une triple faute: une faute morale, car l'Albanie est un pays d'Europe, largement francophone, qui a besoin de notre aide; une faute strategique, car ce pays jouxte une region extremement fragilisee, les Balkans, et la fuite d'armes vers le Kosovo ou la Macedoine pourrait avoir des consequences extremement graves; une faute politique, enfin, parce que, si nous ne faisons rien dans ce pays dont les 3,5 millions d'habitants representent le centieme de la population de l'Europe, nous decredibilisons du meme coup l'ensemble de nos efforts de construction europeenne, politique, economique et militaire. A quoi bon, en effet, se chamailler avec les Americains sur le commandement Sud de l'OTAN si, dans une affaire qui releve du commandement Sud, personne ne fait rien, ni les Americains ni les Europeens ? (Applaudissement sur divers bancs du groupe du Rassemblement pour la Republique.)
Or une operation de police est possible, car l'Albanie n'est pas la Bosnie - elle n'est pas confrontee a une guerre interieure -, et une operation d'aide economique est egalement possible.
Sait-on que, au total, l'ensemble du peuple albanais a perdu 5 milliards de francs,...
M. Jean-Claude Lefort. De la faute a qui ?
M. Pierre Lellouche. ... c'est-a-dire l'equivalent de l'argent detourne dans l'affaire du Credit lyonnais, et une toute petite part du trou de 130 milliards laisse par cette banque ?
Le President de la Republique a appele l'Europe, il y a quelques jours, a prendre ses responsabilites. Dans deux jours, le president russe et le president americain se rencontreront a Helsinki pour decider une nouvelle fois sans nous du destin de l'Europe. Que va faire la France si l'Europe ne fait rien ?
Telles sont les questions que je me pose en tant que citoyen, et j'avoue que je ne voudrais pas que recommence avec l'Albanie le scandale qui a deja eu lieu il y a quatre ans avec la Bosnie. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la Republique du groupe de l'Union pour la democratie francaise et du Centre.)
M. le president. La parole est a M. le ministre des affaires etrangeres.
M. Herve de Charette, ministre des affaires etrangeres. Monsieur Lellouche, je veux d'abord vous rassurer: la reforme de l'OTAN ne se fera pas sans la France, et l'etablissement de relations entre l'Alliance atlantique et la Russie ne s'effectue pas sans notre pays. Ne donnez pas l'impression de sous-estimer les capacites et la determination de la diplomatie francaise sur des dossiers importants pour la securite de notre pays.
En ce qui concerne l'Albanie, je suis de votre avis: 350 millions d'habitants somme toute assez riches de l'Union europeenne peuvent venir en aide a 3 millions d'habitants somme toute tres pauvres d'une petite partie de l'Europe du Sud, il n'y a pas de doute sur ce point.
J'ai participe a la reunion des ministres des affaires etrangeres europeens qui s'est tenue samedi a Apeldoorn, en Hollande; le plan francaise a ete, pour l'essentiel, retenu par les Europeens.
Ce plan comprend plusieurs elements: premierement, il faut apporter l'aide humanitaire dont la population a besoin; deuxiemement, il faut accorder le concours du FMI et de la Banque mondiale necessaire a ce pays pour son redressement economique et financier; troisiemement, il faut lui accorder le soutien et les concours qui lui sont indispensable pour reconstituer ses structures politiques et administratives.
Ce plan a ete adopte ainsi que, sur ma proposition, le projet visant a designer un administrateur general europeen qui aura pour mission de conduire cette action.
La presidence europeenne a envoye sur place une mission d'evaluation qui reviendra dans vingt-quatre heures et nous indiquera les besoins et les moyens necessaires.
J'ai propose qu'une force de stabilisation et de securisation vienne en appui de ce plan et contribue a la stabilisation du pays.
Mais il y a deux choses que je ne ferai pas.
D'abord, ce ne seront pas des troupes europeennes qui iront rechercher les armes dans les villes et les villages d'Albanie, mais les forces de securite albanaise, quitte a ce que nous les aidions a se reconstituer. («Tres bien !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la Republique.)
Franchement, je ne pense pas qu'envoyer des dizaines de milliers de soldats europeens irait pas dans le bon sens.
Ensuite, je ne ferai pas payer par le contribuable francais l'echec des systemes d'epargne albanais. Nous sommes prets a aider les Albanais a reconstituer un systeme economique et financier stable et solide, mais il y a quand meme des choses que nous n'avons pas a faire.
Je rappelle que l'Albanie a recu 1,5 milliard d'ecus d'aides europeennes en cinq ans. Comme vous avez pu le constater, l'usage qui en a ete fait n'a sans doute pas ete a la hauteur des besoins.
M. Robert Pandraud. Tres juste !
M. le ministre des affaires etrangeres. Autrement dit, nous n'avons pas a rougir de ce que nous avons fait et nous n'avons pas a penser que nous ne faisons pas assez.
L'Europe est donc determinee. Elle sera l'amie fraternelle de l'Albanie des lors que les dirigeants et le peuple albanais seront decides, comme je crois aujourd'hui qu'ils le seront, a reprendre le bon chemin. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la democratie francaise et du Centre et du groupe du Rassemblement pour la Republique.)

Données clés

Auteur : M. Lellouche Pierre

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Politique exterieure

Ministère interrogé : affaires étrangères

Ministère répondant : affaires étrangères

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 19 mars 1997

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