Question au Gouvernement n° 124 :
fonctionnement

11e Législature

Question de : Mme Catherine Tasca
Yvelines (11e circonscription) - Socialiste

Question posée en séance, et publiée le 30 octobre 1997

M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. Madame la garde des sceaux, ministre de la justice, la vie en société crée de nombreux litiges, et tous ne se résolvent pas à l'amiable.
L'essentiel, c'est que les citoyens sachent qu'il existe un lieu où les conflits peuvent trouver une solution équitable, un lieu reconnu par tous. Ce lieu, c'est notre justice, qui fait partie intégrante de la République et de notre capacité à vivre ensemble.
Mais pour cela, il faut que les citoyens aient confiance dans la justice. Or, malheureusement, et depuis longtemps, les Français sont déçus par elle, ils ne croient pas à son indépendance et ils la jugent trop souvent partiale, lointaine et inefficace.
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la démocratie française. Et laxiste !
Mme Catherine Tasca. Au moins trois failles se sont créées entre les citoyens et la justice.
M. Maurice Leroy. Elle lit !
Mme Catherine Tasca. Trop d'affaires ont créé le sentiment que la justice était liée aux intérêts, au pouvoir économique, financier, politique, et que l'égalité des citoyens devant la justice n'était pas assurée.
Aujourd'hui, loin de la confiance, c'est le soupçon qui pèse sur notre institution judiciaire. Cela n'est vivable ni pour les professions de justice, ni pour les justiciables.
La défiance a aussi été aggravée par des violations fréquentes de la présomption d'innocence, par des mises en détention jugées souvent abusives et, enfin, par une médiatisation qui fait le procès avant tout jugement.
M. Jean-Pierre Soisson. C'est vrai !
Mme Catherine Tasca. Enfin et surtout, nos concitoyens sont déçus par le service public de la justice au quotidien. Trop lent, trop onéreux pour eux, trop compliqué, ils ne le comprennent pas. La justice leur semble souvent absente ou éloignée de leur vie. Elle ne leur paraît ni garante des libertés ni garante de la défense des plus faibles.
Les Français attendent à juste titre, d'autant qu'ils vivent une époque de très profondes mutations, que la justice fonctionne mieux. Il est indispensable et urgent pour notre démocratie que les citoyens retrouvent confiance dans la justice. Mais pour cela, il faut leur donner des raisons d'avoir confiance.
Madame le garde des sceaux, vous avez présenté ce matin au conseil des ministres une communication. Bien avant que vous ne présentiez au Parlement des projets, il serait heureux que nous puissions avoir un premier débat avec vous.
Quelles sont les réformes essentielles que vous envisagez ? Quel calendrier et quels moyens souhaitez-vous pour leur mise en oeuvre ? Que peuvent attendre nos concitoyens de la réforme ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la députée, vous avez raison de dire qu'il existe malheureusement une crise de confiance dans la justice de notre pays. C'est parce que cette profonde crise de confiance existe qu'une réforme profonde et globale de notre justice est nécessaire.
C'est ce à quoi s'est engagé le Premier ministre dans la déclaration de politique générale qu'il a prononcée devant votre assemblée et qui a été lue au Sénat.
Cette volonté de réforme générale rejoint celle qui avait été affirmée par le Président de la République au mois de janvier 1997, lorsqu'il avait confié à la commission présidée par le premier président de la Cour de cassation, M. Pierre Truche, le soin de faire des propositions sur l'indépendance du parquet et sur la présomption d'innocence.
La réforme dont je viens de présenter les grandes lignes au conseil des ministres s'articulera autour de trois priorités.
D'abord, il convient de rapprocher la justice des citoyens car, et vous avez raison de le dire, madame la députée, c'est d'abord au regard que les citoyens portent sur leur justice qu'il faut penser lorsque l'on pense à réformer celle-ci.
Rapprocher la justice des citoyens, c'est la rendre accessible à tous, et en particulier aux plus démunis. C'est faire en sorte qu'il y ait des maisons de la justice et du droit partout en France. C'est faire en sorte que la justice soit plus rapide et que des contrats de procédure, passés entre les magistrats et les avocats, puissent fixer des délais sur le déroulement des affaires. C'est aussi faire en sorte que notre justice puisse s'adapter à l'évolution de la société actuelle: la société bouge, et notre justice ainsi que notre droit doivent également évoluer, qu'il s'agisse du droit familial, du droit des affaires, ou d'une plus grande protection des libertés.
Il faut que notre justice soit plus actuelle, c'est-à-dire qu'elle puisse répondre à la demande de sécurité importante de nos concitoyens, soit en luttant davantage et mieux contre la grande délinquance organisée - je pense à la criminalité financière et au blanchiment de l'argent de la drogue, pour lesquels nous avons besoin d'une action plus résolue et d'une coopération européenne internationale qui le soit également -, soit en garantissant la sécurité dans nos quartiers, en liaison avec la police et la gendarmerie, pour faire en sorte que les délinquants soient convoqués immédiatement et soumis à des sanctions immédiates.
M. Pascal Terrasse et Jean-Pierre Soisson. Très bien !
Mme le garde des sceaux. Ensuite - deuxième axe de la réforme -, la justice doit davantage protéger les libertés.
La présomption d'innocence, dont vous avez parlé, est un droit fondamental et protégé par la Constitution. Sachez que, désormais, on ne pourra plus être gardé à vue sans avoir un avocat, sauf si l'on participe à un réseau de criminalité organisée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Sachez aussi que la détention provisoire sera réformée...
M. Jacques Floch. Très bien !
Mme le garde des sceaux. ... et que l'on séparera les juges qui instruisent et les juges qui mettent en détention. De plus seront mises en place des dispositions tendant à interdire que l'on montre des images de personnes menottées ou entravées. Lorsque l'on est mis en cause, souvent de façon occulte, des audiences publiques doivent pouvoir se tenir afin que l'on puisse se défendre d'une façon contradictoire. («Très bien !» sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
Une justice davantage protectrice des libertés doit s'attaquer aux nouveaux défis que posent les nouvelles technologies aux libertés. A cet égard, je pense au développement des écoutes sauvages, mais aussi au développement d'Internet, qui est une merveilleuse liberté, mais il convient de faire en sorte qu'il respecte notre droit.
M. Pierre Mazeaud. Très bien !
Mme le garde des sceaux. L'indépendance et l'impartialité, enfin.
Vous avez eu raison de dire que la crédibilité de notre justice a, ces dernières années, été minée par des interventions du pouvoir politique dans les décisions des magistrats du parquet. Désormais, ces instructions particulières seront interdites. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur divers bancs du groupe Radical Citoyen et Vert et du groupe communiste.)
M. Patrice Martin-Lalande. Très bien !
Mme Véronique Neiertz. Vous devriez vous aussi applaudir, mesdames, messieurs de l'opposition !
Mme le garde des sceaux. Il convient également que le Gouvernement puisse exprimer sa politique judiciaire et sa politique pénale, comme la Constitution lui en fait le devoir. Par conséquent, en toute transparence, le garde des sceaux, au nom du Gouvernement et de l'Etat, pourra avoir une action propre dans les tribunaux pour introduire un recours ou demander l'engagement de poursuites. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
Je pense aussi qu'une justice indépendante et impartiale est une justice qui permet, tout en maintenant l'indépendance des magistrats du parquet, garantie par leur mode de nomination par le Conseil supérieur de la magistrature, d'accroître la responsabilité de ces magistrats.
Par conséquent, la responsabilité disciplinaire exercée par le Conseil supérieur de la magistrature sera élargie. De même, nous permettrons aux citoyens d'introduire des recours contre les décisions de classement des poursuites devant des commissions constituées auprès des cours d'appel et également d'introduire des réclamations, qui devront être filtrées, mettant en cause la responsabilité disciplinaire de tel ou tel magistrat.
La réforme dont j'ai présenté les grandes lignes ce matin vise précisément à respecter l'équilibre entre l'indépendance des magistrats, garantie désormais par le Conseil supérieur de la magistrature, les possibilités de recours des citoyens et la mise en oeuvre par le garde des sceaux de sa politique pénale.
Cette réforme, madame la députée, devra être mise en oeuvre par des textes qui seront présentés au Parlement. Ce matin, au conseil des ministres, le Premier ministre a souhaité qu'un débat s'engage devant le Parlement sur les grandes orientations de la justice. Le Gouvernement organisera ce débat aussi rapidement que possible.
Quant aux textes eux-mêmes, ils seront travaillés avec les professionnels de la justice et avec les membres du Parlement qui souhaiteront participer à leur élaboration.
Nous répondrons ainsi à un voeu que je crois général dans notre société : celui d'avoir une justice qui soit plus proche des citoyens, qui fonctionne comme un vrai service public et dont on sache que l'indépendance et l'impartialité sont désormais garanties. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert).

Données clés

Auteur : Mme Catherine Tasca

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Justice

Ministère interrogé : justice

Ministère répondant : justice

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 30 octobre 1997

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