Question au Gouvernement n° 1311 :
Corse

11e Législature

Question de : M. Patrick Devedjian
Hauts-de-Seine (13e circonscription) - Rassemblement pour la République

Question posée en séance, et publiée le 5 mai 1999

M. le président. La parole est à M. Patrick Devedjian.
M. Patrick Devedjian. Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de l'intérieur, je crois que, dans cette affaire que vous avez qualifiée vous-mêmes de lamentable, il est urgent de garder son sang froid. (Exclamations et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) C'est ce que nous attendons naturellement du Gouvernement, qui doit donner l'exemple car il n'est pas en situation de donner des leçons... (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Plusieurs députés du groupe socialiste. Et les cagoulards ?
M. Patrick Devedjian. Je veux bien que le groupe socialiste soit provisoirement le plus nombreux, mais cela ne fait pas pour autant de lui le plus vertueux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
Monsieur le Premier ministre, le prochain - car il y en aura un - préfet de Corse qui sera nommé prendra ses fonctions en disant que sa mission est d'établir l'Etat de droit, comme vous nous l'avez dit et répété ici. («Oui !» sur les bancs du groupe socialiste.) Convenez qu'il devra sûrement affronter les sarcasmes, le scepticisme et, hélas ! le cynisme. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. Guy-Michel Chauveau. Avec votre soutien !
M. le président. Un peu de silence, s'il vous plaît.
M. Patrick Devedjian. En ce moment même, en Corse, beaucoup se disent: pour un attentat manqué, combien de réussis ?
M. Alain Calmat. Vous en savez quelque chose !
M. Patrick Devedjian. Cela sape l'autorité de l'Etat.
Les hauts fonctionnaires que vous avez nommés, que votre gouvernement a nommés, un préfet de région et un colonel, l'unité spéciale, le GPS, dotée de moyens spéciaux, que vous allez dissoudre aujourd'hui mais que vous avez créée, ont gravement porté atteinte à l'autorité de l'Etat, c'est évident. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
M. Christian Bataille. Ce sont plutôt vos amis qui le font !
M. Patrick Devedjian. Le résultat de votre politique en Corse, monsieur le Premier ministre, aujourd'hui, au moins, c'est que l'autorité de l'Etat et l'exemplarité de la loi sont gravement atteintes.
J'accepte, pour aujourd'hui, les explications que vous nous avez données. Vous avez dit qu'aucun cabinet ministériel n'était mêlé à ces faits. La parole d'un Premier ministre est suffisamment importante pour qu'on la croie. («Ah !» sur les bancs du groupe socialiste.)
Mais oui ! Je la crois jusqu'à ce qu'on démontre - et il faudra des preuves - le contraire.
Mais cette politique, monsieur le Premier ministre, a gravement échoué en Corse dans sa crédibilité.
Alors, ma question est simple: demain, comment allez-vous faire pour rétablir l'autorité de l'Etat, l'exemplarité de la loi et l'ordre en Corse et en France, comme tout le monde l'attend ? C'est votre crédibilité qui est en cause désormais. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le député, vous avez raison sur un point: l'autorité de l'Etat est atteinte en Corse...
M. Arnaud Lepercq. La Corse, c'est la France !
M. le Premier ministre. Pouvez-vous me laisser répondre sur le même ton qu'a adopté M. Devedjian ?
L'autorité de l'Etat est atteinte en Corse, je l'ai dit tout à l'heure. Dès lors que des officiers de gendarmerie reconnaissent avoir commis un acte criminel, qu'un préfet est impliqué, même si sa responsabilité, aujourd'hui, n'est pas encore établie, l'autorité de l'Etat est mise en cause.
Mais je ne peux pas vous suivre, monsieur le député, quand vous amalgamez des manquements graves, des fautes qui devront d'abord être établies par la justice, puis sanctionnées par le pouvoir politique et peut-être aussi dans le cadre de procédures judiciaires, à une politique. Cela voudrait dire qu'une politique, désormais, ne se caractérise pas par ses principes, par ce qui l'anime, par les actions développées (Exclamations sur divers bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) - je vous en dirai un mot peut-être, mais uniquement par des manquements. L'exception deviendrait la règle, la faute deviendrait l'action commune.
Et c'est cet état d'esprit, monsieur le député, que nous ne devons pas accepter.
Et je ne suis pas sûr que la Corse, compte tenu de la gravité de ce problème depuis des décennies, compte tenu des difficultés que tous les gouvernements ont rencontrées pour y faire face, compte tenu de ce qui s'y joue, compte tenu de ce qui est en cause, je ne suis pas sûr, mesdames, messieurs les députés, que ce soit le meilleur objet de polémique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
D'autre part, je vous dirai, puisque deux d'entre vous ont évoqué une équipe qui existerait à Matignon, que je vous mets au défi, monsieur le député, de trouver un quelconque cabinet noir.
M. Jean-Claude Lenoir. Soyez prudent !
M. le Premier ministre. A Matignon, tous les membres du cabinet sont des membres officiels,...
M. Philippe Auberger. Lisez Le Monde !
M. le Premier ministre. ... il n'y a aucun membre officieux.
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. Commission d'enquête !
M. le Premier ministre. Deuxièmement, à Matignon, il n'y a pas une personne, ni plusieurs, dont la Corse serait la compétence exclusive.
M. Pierre Lellouche. Ce n'est pas le sujet !
M. le Premier ministre. La conseillère aux problèmes d'environnement, la responsable des problèmes fiscaux, celle qui suit les questions d'aménagement du territoire, ceux qui suivent les problèmes d'enseignement supérieur, les problèmes d'enseignement scolaire, ceux qui s'intéressent aux problèmes culturels, aux problèmes linguistiques,...
M. Yves Nicolin. A Cintegabelle !
M. le Premier ministre. ... tous contribuent, autant que d'autres, à l'action collective et interministérielle de ce cabinet.
M. Lucien Degauchy. On voit les résultats !
M. Arnaud Lepercq. Qui est le chef ?
M. le Premier ministre. Mesdames, messieurs, je me tourne vers vous parce qu'un bon nombre d'entre vous sont venus interroger ce cabinet, travailler avec ces collaborateurs: vous savez tous que, dans la haute fonction publique, le jeune haut fonctionnaire de talent qui le dirige, un des meilleurs serviteurs de l'Etat, a une réputation établie d'intégrité et d'esprit républicain. Vous le savez tous, cela. Et combien de fois ai-je entendu tel ou tel d'entre vous venir se féliciter de ses contacts avec les conseillers de ce cabinet, un cabinet dont je suis fier ! Il n'y a pas de cabinet noir à Matignon. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Jamais aucun travail particulier sur les problèmes de sécurité n'a été conduit hors de l'action du ministère de l'intérieur, hors des informations données par le garde des sceaux, hors des informations données par le ministre de la défense. Il y a, par contre, une équipe interministérielle qui travaille sur la Corse, parce que, justement, nous ne voulions pas réduire la politique de la Corse à sa seule dimension sécuritaire.
M. Jean-Michel Ferrand. C'est cuit !
M. le Premier ministre. Nous voulons l'aborder dans l'ensemble de ce développement, parce que, tout en luttant contre la criminalité et le terrorisme, nous voulons à la fois le développement économique de la Corse et l'épanouissement de sa personnalité au sein de la République. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Huées sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Données clés

Auteur : M. Patrick Devedjian

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Collectivités territoriales

Ministère interrogé : Premier Ministre

Ministère répondant : Premier Ministre

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 5 mai 1999

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