gouvernement
Question de :
M. Philippe Houillon
Val-d'Oise (1re circonscription) - Démocratie libérale et indépendants
Question posée en séance, et publiée le 27 avril 2000
M. le président. La parole est à M. Philippe Houillon.
M. Philippe Houillon. Monsieur le Premier ministre, dans votre discours de Strasbourg, vous vous engagiez à moderniser notre démocratie. Le 27 mars dernier, vous avez procédé à un remaniement de votre gouvernement, espérant sans doute ainsi régler certaines difficultés du moment et trouver un second souffle, qui, pour l'instant, décidément, reste encore bien asthmatique. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
Nous pouvions penser que ce remaniement serait l'occasion d'apporter une touche de modernité, de manière à ce que la diversité qui caractérise la démocratie soit effective et que le pouvoir ne soit pas exercé par la seule aristocratie de la haute fonction publique ou par des personnalités ayant fait carrière dans les partis.
Or, à un moment où, paradoxalement, le seul débat qui passionne votre majorité est celui des stock-options, un grand hebdomadaire nous rappelle ces jours-ci que l'équipe gouvernementale en place ne compte aucun représentant du secteur privé, situation inédite qui procède de votre choix. C'est l'ENA qui, pour l'essentiel, ordonne le nouvel ordre protocolaire des ministres, et j'ai vainement cherché dans votre gouvernement un agriculteur ou une agricultrice, un commerçant, un artisan, un créateur d'entreprises (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance), un ouvrier du secteur privé, un salarié d'entreprise ou un membre d'une profession libérale (Applaudissements sur les mêmes bancs). Sont-ils tous incompétents, inutiles ou indignes de participer à la conduite des affaires de la France ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Sont-ils là seulement pour recevoir d'en haut, à charge de s'en débrouiller, la fiscalité et la réglementation établies par ceux qui n'ont pas à l'appliquer ?
M. Didier Boulaud. Rendez-nous les Juppettes !
M. Philippe Houillon. Au total, compte tenu de sa composition et en dépit de la qualité de ses membres, laquelle n'est pas en cause, le Gouvernement apparaît largement déconnecté de la vie du pays. Ses difficultés récurrentes à en appréhender les choix ne viennent-elles pas de là ?
Après avoir tenté de régler les problèmes internes à votre majorité, avez-vous, monsieur le Premier ministre, l'intention de procéder, dans les prochaines semaines, à un remaniement pour mieux prendre en compte le pays réel et l'ensemble des acteurs de la vie économique et sociale de la France ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le député, je ne suis pas sûr que ce soit en distinguant «pays réel» et «pays légal», auquel renvoie la première expression, d'une inspiration plus maurrassienne que républicaine - pardonnez-moi - (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert) qu'il faille ici trouver des arguments !
M. Lucien Degauchy. Sectaire !
M. Charles Ehrmann. Le peuple, c'est nous !
M. le Premier ministre. Je ne suis pas sûr non plus qu'il soit nécessaire que je m'interroge publiquement devant vous sur l'origine professionnelle des membres du Gouvernement,...
M. Richard Cazenave. L'histoire réglera le problème, n'est-ce pas ?
M. le Premier ministre. ... même si je pourrais aisément, me tournant vers elles et vers eux, désigner un certain nombre de femmes et d'hommes qui n'appartiennent pas à la fonction publique («Qui ?», «Oui allez-y !», «Chiche !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Richard Cazenave. Voilà qui m'étonnerait !
M. le Premier ministre. Selon vous, M. Juppé, M. Debré et quelques autres seraient-ils donc indignes d'appartenir à la fonction publique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. Eric Doligé. Ce n'est pas ce que nous avons dit !
M. le Premier ministre. Je ne pense pas non plus que les membres de mon gouvernement, pas plus d'ailleurs que vous-mêmes, sur tous les bancs de cette assemblée, tiennent à être définis par un déterminisme professionnel ou sociologique. (Applaudissements sur les mêmes bancs.) Nous sommes, les uns et les autres, bien davantage le fruit d'engagements militants, d'engagements citoyens, d'engagements politiques, d'engagements au service de la nation: et c'est cela qui me détermine dans le choix de mes ministres ! (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
M. François Goulard. Baratin !
M. le Premier ministre. Vous serez rassuré, j'imagine, par la confirmation que la quasi-totalité des femmes et hommes qui composent ce gouvernement viennent de vos rangs ou des rangs de la seconde assemblée et ont donc reçu la légitimité et l'onction du suffrage universel. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
Ce qui m'importe, monsieur Houillon... Mais je ne vous vois pas ?...
M. Philippe Houillon. Je suis ici, monsieur le Premier ministre.
M. le Premier ministre. Je n'en n'étais pas déstabilisé, mais enfin... L'axe dans lequel je vous vois ne me conduira naturellement pas à vous inviter à entrer dans ce gouvernement, en dépit de votre appel à la diversité, mais cet axe entre nous créé me met plus à l'aise pour vous répondre. (Sourires.)
Moi, ce qui m'importe, c'est que chacun, femme ou homme de ce gouvernement, soit compétent dans le champ de son administration et de sa responsabilité. (Exclamations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.) C'est que ce gouvernement soit formé d'une équipe qui, travaillant collectivement, soit animée par un esprit de solidarité. C'est que sa composition traduise un équilibre digne de la société moderne entre les femmes et les hommes - et les femmes sont nombreuses dans ce gouvernement. («Non !» sur plusieurs bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) C'est que ce gouvernement, soit capable de régler les problèmes.
M. Jean-Michel Ferrand. Précisément, il ne l'est pas !
M. le Premier ministre. Quand je vois la croissance, l'évolution du chômage,...
M. François Goulard. L'évolution, ce n'est pas grâce à vous !
M. le Premier ministre. ... quand je vois les grandes réformes sociales, quand je vois la modernisation de notre appareil productif,...
M. François Goulard. La modernisation, ce n'est pas vous !
M. le Premier ministre. ... je n'ai pas spécialement l'impression, monsieur le député, que nous ayons besoin d'un second souffle. En tout cas, dans le débat public, je trouve peu d'oxygène qui vienne de l'opposition, si j'en juge par la raréfaction de ses propositions. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Je me suis donc demandé si l'interrogation subite qui vous avait saisi à propos de la composition du Gouvernement ne venait pas du fait que vous aviez du mal à en critiquer l'action, de façon pertinente et convaincante. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Or, soyez sûrs que, pour le Gouvernement comme pour l'opposition, ce n'est pas sur la composition de telle ou telle instance que, le moment venu, nous serons jugés, c'est sur notre capacité d'action.
M. François Vannson. Les électeurs ne seront pas déçus du voyage.
M. le Premier ministre. C'est sur notre capacité de proposition.
Aujourd'hui, parce que le peuple l'a voulu ainsi, vous n'êtes pas en situation d'agir, alors, je vous en prie, au moins, faites des propositions, pour nous aider à faire vivre la démocratie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Auteur : M. Philippe Houillon
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Etat
Ministère interrogé : Premier Ministre
Ministère répondant : Premier Ministre
Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 27 avril 2000