Question au Gouvernement n° 2033 :
Turquie

11e Législature

Question de : M. François Rochebloine
Loire (3e circonscription) - Union pour la démocratie française-Alliance

Question posée en séance, et publiée le 27 avril 2000

M. le président. La parole est à M. François Rochebloine.
M. François Rochebloine. Monsieur le Premier ministre, le 29 mai 1998, notre assemblée adoptait, à l'unanimité, une proposition de loi reconnaissant publiquement le génocide arménien. Près de deux années se sont écoulées. Or le texte n'a toujours pas été inscrit à l'ordre du jour du Sénat. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
Nous ne pouvons que déplorer, bien sûr, les refus successifs de la conférence des présidents du Sénat, puis des sénateurs eux-mêmes, d'engager un débat sur ce texte.
Mme Martine David. Démagogue !
M. François Rochebloine. Le Gouvernement, de son côté, après s'être contenté d'observer une neutralité bienveillante, s'est désormais placé dans une logique de refus.
M. Alain Calmat. C'est la faute du Sénat !
M. François Rochebloine. Vous ne pouvez vous retrancher derrière le fait que, s'agissant d'une initiative parlementaire,...
Mme Martine David. Des parlementaires socialistes.
M. François Rochebloine. ... vous ne pouvez intervenir. Pour d'autres textes d'initiative parlementaire, comme le Pacs, pour bien des sujets peu consensuels, vous n'avez pas hésité à demander l'urgence.
M. Christian Bataille. Demandez à vos copains du Sénat !
M. François Rochebloine. Dois-je rappeler que vous, et vous seul, monsieur le Premier ministre, êtes maître de l'ordre du jour prioritaire du Parlement ? (Applaudissements de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
M. Alain Calmat. C'est la droite qui siège au Sénat !
M. François Rochebloine. Oserai-je vous rappeler que vous vous êtes engagé personnellement, lors de la campagne présidentielle de 1995, à reconnaître le génocide arménien ?
M. Alain Calmat. On le sait !
M. François Rochebloine. En outre, les positions soutenues au nom de votre gouvernement par M. Védrine et M. Moscovici ne sont plus celles d'hier. De tels revirements sont inacceptables, tout comme d'ailleurs certaines tentatives de récupération politique.
M. Christian Bataille. Allez voir au Sénat !
M. François Rochebloine. La France sera-t-elle la dernière nation à reconnaître le premier génocide du xxe siècle ? Certes, il n'échappe à personne qu'en cette période de cohabitation, les responsabilités du blocage actuel sont largement partagées entre Matignon et l'Elysée...
M. le président. Monsieur Rochebloine, voulez-vous conclure, s'il vous plaît ?
M. François Rochebloine. J'en termine, monsieur le président. Il n'échappe non plus à personne que la France subit des pressions inadmissibles.
M. Christian Bataille. Au Sénat !
M. François Rochebloine. Au lendemain de la commémoration du quatre-vingt-cinquième anniversaire du génocide arménien, la France a donc le devoir de reconnaître au plus vite une évidence historique.
M. Jean-Louis Idiart. Vous êtes trop long !
M. François Rochebloine. Plus largement, elle se doit d'affirmer qu'elle est encore maître de sa politique.
M. le président. Merci, monsieur Rochebloine.
M. François Rochebloine. Monsieur le Premier ministre, ma question sera aussi simple que devrait l'être votre réponse: avez-vous, oui ou non, l'intention de faire inscrire cette proposition à l'ordre du jour prioritaire du Sénat ? Si oui, à quelle date ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, je voudrais d'abord vous dire qu'il n'y a pas de différence de sensibilité - pas plus qu'il n'y a pas de différence dans la compassion - entre l'Assemblée et le Gouvernement par rapport à ces abominables massacres...
M. Patrick Devedjian. Non, à ce génocide !
M. le ministre des affaires étrangères. ... que la grande majorité des historiens, nous le savons tous, considèrent comme un génocide. Ils se sont produits en 1915, entre les Turcs et les Arméniens, à l'époque sujets de l'Empire ottoman. Je ne crois pas qu'il y ait de différence sur le plan humain, et je ne crois pas que qui que ce soit puisse se prévaloir d'une sensibilité plus vive, d'une émotion plus grande. D'ailleurs, les Arméniens installés en France depuis maintenant plusieurs générations savent que la sympathie, l'amitié, la compassion de la France tout entière leur est acquise - depuis le moment de leur arrivée d'ailleurs, et sur plusieurs générations.
M. Patrick Devedjian. Tartuffe !
M. le ministre des affaires étrangères. Non, la question n'est pas là.
Sur l'arrière-plan de votre question, sur l'opportunité, l'utilité d'un texte venant d'une autorité française, du Parlement français, le Gouvernement s'est déjà exprimé à différentes reprises. Je rappellerai simplement que c'est en conférence des présidents du Sénat, où vous comptez des amis, je pense, que la décision a été prise.
M. Alain Calmat. Eh oui !
M. Patrick Devedjian. A votre demande personnelle !
M. le ministre des affaires étrangères. Cette décision a été prise indépendamment de toute pression, elle relève d'autres considérations.
M. Patrick Devedjian. Elle relève du marchandage !
M. le ministre des affaires étrangères. La décision a été prise de ne pas inscrire ce débat. Il s'agit, je le répète, d'une décision du Sénat. Ici, à l'Assemblée nationale, puisque vous interpellez le Gouvernement à ce sujet, je ne peux que réaffirmer nos sentiments à l'égard de la communauté arménienne de France. Il n'y a pas de lien à établir avec le débat institutionnel. Telle est la situation aujourd'hui.
La politique de la France dans cette région est, en l'an 2000, une politique de paix. Nous travaillons avec l'Arménie, avec l'Azerbaïdjan, avec la Géorgie, avec la Turquie. Tous ces pays souhaitent que nous restions engagés. Ces peuples ont aujourd'hui besoin de l'aide de la France dans la recherche de la paix.
M. Patrick Devedjian. Marchandage !
M. le ministre des affaires étrangères. La France assure la co-présidente du groupe de Minsk. Les questions sont nombreuses, qu'il s'agisse du Haut-Karabakh ou des minorités. Tous ces pays savent que nous nous sommes engagés et nous sont reconnaissants, je crois, de cette politique de paix. Voilà la situation. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Données clés

Auteur : M. François Rochebloine

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Politique extérieure

Ministère interrogé : affaires étrangères

Ministère répondant : affaires étrangères

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 27 avril 2000

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