Question au Gouvernement n° 2269 :
Corse

11e Législature

Question de : M. Henri Plagnol
Val-de-Marne (1re circonscription) - Union pour la démocratie française-Alliance

Question posée en séance, et publiée le 4 octobre 2000

M. le président. La parole est à M. Henri Plagnol.
M. Henri Plagnol. Ma question s'adresse au Premier ministe.
Monsieur le Premier ministre, le 28 juillet dernier, vous avez engagé toute votre autorité lors de la signature des désormais fameux «accords de Matignon». Vous avez passé outre les objections graves de plusieurs membres éminents de votre majorité, et vous n'avez pas hésité à faire des concessions exorbitantes au point que votre ministre de l'intérieur, Jean-Pierre Chevènement, a préféré partir avec panache, jugeant que le pacte républicain était gravement remis en cause.
Depuis deux mois, hélas ! contrairement au pari que vous avez pris, le moins que l'on puisse dire est que la paix civile n'a pas été rétablie en Corse. Je rappelle qu'il y a eu trois assassinats et trois attentats graves contre des établissements publics en moins de deux mois, une situation qu'aucune autre région de France n'accepterait.
Dernier épisode en date, M. Talamoni, chef de file des nationalistes, exige de votre gouvernement une énième clarification en demandant que tous les détenus, ceux qui sont condamnés et ceux qui font l'objet d'une instruction, soient regroupés dans une même prison en Corse. Tout le monde comprend bien que cette revendication vise à donner aux auteurs d'actes terroristes un statut de prisonniers politiques, premier pas vers une amnistie et vers la paralysie définitive de toutes les enquêtes.
Monsieur le Premier ministre, je vous pose deux questions simples.
Premièrement, pouvez-vous, devant la représentation nationale, nous confirmer que, contrairement aux affirmations de M. Talamoni, il n'y a eu aucune tractation secrète concernant le statut des auteurs d'actes terroristes en Corse ? (Protestations sur de nombreux bancs du groupe socialiste.)
M. Didier Boulaud. Pas vous !
M. Henri Plagnol. Deuxièmement, n'est-il pas temps, mes chers collègues, qu'il y ait enfin à l'Assemblée un débat qui dresse un bilan sans complaisance des accords de Matignon ? N'est-il pas temps enfin, monsieur le Premier ministre, de sortir du piège qui a consisté à signer des accords avec des interlocuteurs qui ne sont ni crédibles, ni de bonne foi ? (Applaudissement sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Exclamations sur de nombreux bancs du groupe socialiste.)
Plusieurs députés du groupe socialiste. Et Rossi ?
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le député, je voudrais tout d'abord vous dire ma satisfaction partagée, je pense, par les différents ministres...
M. Thierry Mariani. Surtout par Chevènement ?
M. le Premier ministre. ... d'être devant l'Assemblée nationale pour reprendre le dialogue démocratique avec les députés, comme ce sera bientôt le cas avec les sénateurs.
Je ne dirai pas qu'au mois de juillet, lorsque la session s'est arrêtée, nous n'avons pas éprouvé un peu de soulagement, en pensant que le mardi et le mercredi, nous pourrions être à notre tâche, sans questions, sans interpellations. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Thierry Mariani. Quel cinéma !
M. le Premier ministre. Mais, très sincèrement, nous sommes heureux les uns et les autres de revenir devant vous, pour trouver non pas seulement la majorité, son soutien et ses questions,...
M. Thierry Mariani. Guignolade.
M. le Premier ministre. ... mais aussi l'opposition, ses interpellations, car ce dialogue démocratique écouté par les Français nous a manqué au cours des dernières semaines et certainement sur la Corse. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Si je prends les choses de façon large et globale, comme elles méritent d'être considérées, je dirai que tous les gouvernements depuis vingt-cinq ans se sont heurtés à de très graves difficultés en Corse et ont eu à faire face à la violence, et je pense que c'est l'honneur de ministres et de gouvernements de gauche, autour de Gaston Defferre d'abord, de Pierre Joxe ensuite, d'avoir, souvent en dialoguant avec des élus de cette île qui n'étaient pas de notre sensibilité politique, fait tout de même des pas en avant et permis des évolutions qui ont sans doute évité des drames plus graves que ceux que nous avons eu à affronter. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
Effectivement, j'ai conduit une démarche de discussion en Corse.
M. Thierry Mariani. On voit le résultat !
M. le Premier ministre. Je l'ai fait parce qu'il me paraissait nécessaire et responsable d'éviter que se noue davantage une situation de blocages et de tensions. («Beau résultat !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
Je l'ai fait parce que je souhaitais savoir comment, dans une discussion sérieuse avec le Gouvernement, les élus de l'assemblée territoriale de Corse, les parlementaires, les présidents de conseils généraux pouvaient suggérer des démarches utiles et capables de rassembler pour l'évolution de l'île et le traitement de ses problèmes.
Je l'ai fait dans une transparence et une clarté absolues (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), en nouant le dialogue avec...
M. Thierry Mariani. Des auteurs d'attentats !
M. le Premier ministre. ... les élus représentatifs de l'île. («M. Rossi ?» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Vous savez très bien, mesdames, messieurs, que la majorité territoriale en Corse n'est pas liée à la majorité mais appartient au contraire aux parties de l'opposition, et ce n'est pas un hasard si le président de l'assemblée territoriale, M. Rossi, le président de l'exécutif territorial, M. Baggioni, du RPR. Et d'autres élus qui appartiennent à l'opposition se sont engagés dans ce dialogue, et je les en remercie.
Je remercie aussi, et j'en vois plusieurs sur ces bancs, des hommes, ou des femmes, notamment des hommes qui ont eu des responsabilités éminentes dans les affaires de l'Etat...
M. Thierry Mariani. Merci M. Bonnet !
M. le Premier ministre. ... et qui appartiennent à l'opposition, qui ont porté sur la démarche que j'ai engagée un jugement équilibré, parce qu'ils savent à quel point les choses sont difficiles.
En tout cas, cette démarche a été menée de façon claire et ouverte. Il n'y a eu aucun conciliabule secret, aucune organisation de conférence de presse clandestine en commun (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République),...
Mme Martine David. Avec des cagoules !
M. le Premier ministre. ... aucune instruction d'indulgence à la justice, telle que vous en avez donné dans le passé. Comprenez donc que je défende la clarté de la démarche qui a été la mienne, qui a été celle du Gouvernement.
Quant à la question que vous abordez, c'est vrai qu'au moment où le Gouvernement a fait ses propositions, un certain nombre d'élus de l'assemblée territoriale de Corse, pas seulement un représentant des mouvements nationalistes, M. Quastana, mais également M. Baggioni, M. Rossi, M. de Rocca Serra et quelques autres élus encore appartenant à l'opposition,...
M. Thierry Mariani. Et les électeurs d'Ajaccio ?
M. le Premier ministre. ... sont venus voir, non pas clandestinement mais ouvertement, le préfet qui, à mon cabinet, suit ces questions, le directeur de cabinet du ministre de l'intérieur de l'époque et le préfet de la région Corse. Ils sont venus dire, sans nous demander un quelconque engagement, que, dans la démarche positive que nous essayons d'engager, ils souhaitaient que la question d'un rapprochement de détenus soit abordée. Tout en précisant que ce serait à la chancellerie de se prononcer, il a été fait, non pas clandestinement, mais devant les élus dont je viens de vous citer les noms, qui représentaient l'ensemble des sensibilités de cette assemblée, la réponse suivante: pour ceux qui sont en détention provisoire, un rapprochement ne peut pas être envisagé, parce qu'ils doivent être à la disposition des juges pour les enquêtes, et que ces juges sont à Paris; pour ceux qui ont été condamnés, nous ne prendrons pas la décision de les mettre tous à la prison de Borgo en Corse, parce que cela ne nous paraît ni possible ni souhaitable; par contre, si les avocats en font la demande, parce qu'il y a des problèmes, de transport, de coût, des rapprochements peuvent être envisagés individuellement (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants),...
M. Thierry Mariani. Réponse inadmissible.
M. Yves Fromion. Où est la République ?
M. le Premier ministre. ... en tout cas dans le Midi de la France.
Pour le reste, nous avons engagé une démarche transparente.
M. Thierry Mariani. Transparente avec les assassins !
M. le Premier ministre. Dans une première étape, le ministre de l'intérieur, Daniel Vaillant, présentera, d'abord au conseil des ministres, peut-être à la fin de l'année, puis devant l'Assemblée nationale dans les premiers mois de 2001, un projet concernant la Corse, c'est-à-dire que l'ensemble de l'Assemblée nationale et du Sénat seront juges des propositions du Gouvernement.
Ces propositions toucheront à la langue corse et à l'identité culturelle corse. Il n'y aura pas, parce que ce n'est pas dans les textes dont on a parlé, d'enseignement obligatoire du corse. Il y aura un enseignement dans le cadre des programmes officiels de l'éducation nationale, cela existe déjà maintenant, et les parents seront libres d'envoyer ou non leurs enfants le suivre.
Actuellement, là où cet enseignement existe, 20 % des enfants ne le suivent pas parce que les parents ne le souhaitent pas. Un grand nombre de ces parents sont des Corses ou des corsophones qui ne souhaitent pas pour autant, peut-être parce qu'ils pensent que ce n'est pas nécessaire, que leurs enfants assistent à cet enseignement. Dans les 80 % qui y assistent, il y a de nombreux enfants de militaires ou de fonctionnaires qui sont en Corse pour plusieurs années et qui trouvent intéressant pour leurs enfants de s'imprégner de cette culture, qui les formera, de plus, à la langue italienne. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Identité et défense de l'enseignement en Corse, respect d'un certain nombre de spécificités fiscales corses qui existent depuis deux siècles, programme de rattrapage des équipements, transfert de certaines capacités réglementaires en faveur de la Corse, sous le contrôle du Parlement: telles sont, en gros, les mesures qui vous seront proposées, parfaitement compatibles avec la Constitution actuelle. (Protestations sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République. - M. Degauchy claque son pupitre.)
M. le président. Monsieur Degauchy !
M. le Premier ministre. C'est seulement dans une deuxième étape, si la violence a cessé en Corse, que nous pourrons essayer d'aller plus loin si un consensus se dégage entre nous pour modifier et simplifier les structures administratives, envisager qu'un certain pouvoir d'adaptation législatif soit effectivement donné à l'assemblée territoriale de Corse, et non pas le pouvoir législatif.
Nous avons choisi de nous adresser aux élus. Nous avons choisi, tout en continuant à poursuivre la violence - la justice et la police y travaillent -, une démarche qui permet d'espérer échapper à la violence.
Ce n'est pas par harsard si, sur cinquante et un élus territoriaux de Corse, quarante-quatre ont voté en faveur des propositions du Gouvernement, cinq se sont abstenus et deux seulement ont voté contre.
Ces hommes et ces femmes qui appartiennent à vos formations politiques, je pense qu'ils sont représentatifs.
Nous voulons un respect de l'identité de la Corse dans la République. Nous voulons offrir une perspective historique pour sortir de la violence. C'est la cessation de la violence et la conquête de la paix civile qui permettront d'avancer davantage. Vous devriez, comme certains de vos amis, nous accompagner dans cette démarche plutôt que de rendre les choses plus difficiles. C'est un appel à la responsabilité que je vous adresse. Pour le reste, vous serez juges de chacune des propositions que le Gouvernement vous fera. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur de nombreux bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Données clés

Auteur : M. Henri Plagnol

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Collectivités territoriales

Ministère interrogé : Premier Ministre

Ministère répondant : Premier Ministre

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 4 octobre 2000

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