Président de la République
Question de :
M. Noël Mamère
Gironde (3e circonscription) - Radical, Citoyen et Vert
Question posée en séance, et publiée le 11 octobre 2000
M. le président. La parole est à M. Noël Mamère.
M. Noël Mamère. Madame le garde des sceaux, ma question a trait à l'immunité pénale du Président de la République pour des faits commis avant son entrée en fonctions.
Cette immunité résulte prétendument d'une conjonction de deux facteurs, aussi inacceptables l'un que l'autre au regard du droit.
Le premier est la fameuse décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999, qui a accordé dans les conditions que l'on sait cette immunité au chef de l'Etat, alors que l'on ne lui demandait rien sur ce sujet,...
M. Lucien Degauchy. Vos propos sont lamentables !
M. Noël Mamère. ... comme l'a d'ailleurs précisé le constitutionnaliste Dominique Chagnollaud. Il fallait en effet protéger le Président de la République d'une action en justice conduite par l'écologiste Pierre-Alain Brossault (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) sur les emplois fictifs à la ville de Paris.
Le second est l'étonnante décision de M. le procureur général près la Cour de cassation de ne pas saisir cette juridiction de la question que tout le monde se pose à propos de la responsabilité de l'actuel Président de la République dans les affaires aujourd'hui instruites par certains juges.
M. Charles Ehrmann. Ces propos sont scandaleux !
M. Lucien Degauchy. Provocateur !
M. Noël Mamère. De tout ce qui précède, les Français tirent la pénible conclusion que la justice a accordé une sorte d'impunité au Président de la République, puisqu'il est déclaré au-dessus des lois pour des faits antérieurs à ses fonctions.
M. Arnaud Montebourg. M. Mamère a raison !
M. Noël Mamère. A juste titre, ils sont choqués, comme l'indiquent de récentes enquêtes d'opinion qui ne laissent pas la place au doute. Or ces prétendus arguments de droit que nous entendons tous les jours des uns et des autres sont faux et je vais essayer ici de le démontrer brièvement.
Tout étudiant de première année de droit connaît l'autorité relative des décisions du Conseil constitutionnel en matière pénale depuis qu'en 1973 ce même Conseil constitutionnel était intervenu sous la forme d'une petite phrase pour déclarer que le pouvoir réglementaire ne pouvait fixer des peines de prison. Fort heureusement, quelques mois plus tard, la chambre criminelle de la Cour de cassation rappela que le juge pénal appliquait les textes et qu'il n'avait pas à contrôler la constitutionnalité des lois.
M. Laurent Dominati. Cela n'a strictement rien à voir !
M. Noël Mamère. L'avis du Conseil constitutionnel devenait par là même sans effet.
De la même manière, le Conseil constitutionnel ne saurait aujourd'hui créer de toutes pièces une immunité pénale non prévue par la loi, ni dicter au parquet sa politique pénale.
La preuve nous en a été donnée par l'affaire Giscard d'Estaing, dans laquelle la justice pénale avait déjà tranché la question de savoir si un Président de la République pouvait être poursuivi pour un délit commis avant son entrée en fonctions.
M. Arnaud Montebourg. Très bien !
M. Yves Fromion. Cela n'a rien à voir ! Il parle en procureur !
M. Noël Mamère. Cette affaire remonte à 1974, alors que notre ami René Dumont avait poursuivi le Président de la République, fraîchement élu, devant la dix-septième chambre correctionnelle de Paris pour infraction à la loi sur l'affichage électoral.
Le tribunal, dans une décision confirmée par la cour d'appel, avait relaxé M. Giscard d'Estaing, mais il s'était aussitôt prononcé sur la seule question qui nous intéresse aujourd'hui, c'est-à-dire sur sa compétence. Voici ce qu'il avait écrit: «Attendu que cette compétence n'a jamais été contestée par M. Giscard d'Estaing malgré son accession à la Présidence de la République,...
M. François Goulard. Cela n'a rien à voir !
M. Noël Mamère. ... qu'ainsi la partie civile a valablement saisi la juridiction de droit commun».
Ce qu'une partie civile a pu faire en 1974, la parquet de la République peut donc le faire en 2000, à moins de prendre le risque d'une régression du droit et de la démocratie. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. le président. Venez-en à votre question, monsieur Mamère.
M. Noël Mamère. Et le parquet peut le faire, puisque le journal Le Monde du 22 septembre 2000 nous a appris qu'un certain M. Méry aurait, selon ses propres déclarations, remis 5 millions de francs en argent liquide directement sur le bureau de M. Roussin, en présence de M. Chirac.
M. Charles Ehrmann et M. Lucien Degauchy. Scandaleux !
M. le président. Votre question, s'il vous plaît !
M. Noël Mamère. Madame la garde des sceaux, nous aimerions savoir, et les Français avec nous, ce qui vous empêche d'ordonner au parquet de la République, comme vous en avez le pouvoir et le devoir, de mettre en mouvement l'action publique par citation directe contre personne dénommée afin qu'un tribunal indépendant et impartial puisse connaître de la réalité ou de la fausseté des graves accusations portées contre le chef de l'Etat par M. Méry.
Enfin... (Vives exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la Démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), si le Gouvernement ne faisait pas son devoir, des parties civiles pourraient éventuellement déclencher elles-mêmes l'action publique - possibilité dont la faisabilité est actuellement à l'étude. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, quel est le régime applicable à la responsabilité pénale du Président de la République ?
Je vous rappelle les termes de l'article 68 de la Constitution, qui dispose: «Le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres les composant; il est jugé par la Haute Cour de justice.»
Par une décision en date du 22 janvier 1999, le Conseil constitutionnel a estimé qu'«il résulte de l'article 68 de la Constitution que le Président de la République, pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions et hors le cas de haute trahison, bénéficie d'une immunité. Au surplus, pendant la durée de ses fonctions, sa responsabilité pénale ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de justice selon des modalités fixées par le même article.»
Je rappelle que cette décision du Conseil constitutionnel a été prise alors qu'il était saisi de l'examen de la conformité avec la Constitution des stipulations du traité sur la Cour pénale internationale. Il ne m'appartient pas d'apprécier le bien-fondé de cette décision.
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. Très bien !
Mme la garde des sceaux. Pourquoi ne pas avoir enjoint au procureur général de la Cour de cassation de former un pourvoi dans l'intérêt de la loi à l'encontre de l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Versailles ? Je n'ai pas voulu ordonner au procureur général de la Cour de cassation d'introduire ce pourvoi. Dans ce dossier comme dans les autres, je m'en suis tenue à ma ligne de conduite constante: respecter totalement l'indépendance de la justice et ne pas intervenir dans une affaire individuelle, fût-ce par la voie d'un recours exercé dans l'intérêt de la loi.
Je rappelle que c'est la ligne de conduite définie par le Gouvernement et, ici même, par le Premier ministre, en juin 1997, qu'il n'y a pas eu d'exception et qu'il n'y en aura pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Auteur : M. Noël Mamère
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Etat
Ministère interrogé : justice
Ministère répondant : justice
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 11 octobre 2000