institutions communautaires
Question de :
M. Gérard Fuchs
Seine-Maritime (10e circonscription) - Socialiste
Question posée en séance, et publiée le 13 décembre 2000
M. le président. La parole est à M. Gérard Fuchs.
M. Gérard Fuchs. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s'adresse au Premier ministre et porte sur le Conseil européen de Nice. Mais je voudrais dire d'abord ma tristesse de voir que le groupe RPR considère ce sommet comme suffisamment négligeable pour ne pas même y consacrer une question... (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République. - Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
M. François Vannson. Scandaleux !
M. Gérard Fuchs. ... et que le groupe Démocratie libérale n'a pas trouvé d'autre moyen d'en parler que de faire référence à quelques incidents regrettables certes, mais mineurs. (Exclamations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
M. Charles Ehrmann. Lamentable !
M. Gérard Fuchs. Monsieur le Premier ministre, il est vrai que, probablement, pour vous comme pour moi, ce conseil n'a pas apporté tout ce que nous souhaitions. Nous aurions préféré davantage de votes à la majorité, qui facilitent les décisions.
M. Jean Ueberschlag. La question !
M. Gérard Fuchs. Nous aurions probablement souhaité une réduction du nombre des commissaires européens, mais nous savions bien, compte tenu de l'état d'esprit des petits pays, que ce résultat ne serait pas obtenu.
En revanche, il me semble que trois acquis très positifs sont sortis du Conseil de Nice.
D'abord, le rééquilibrage entre les grands pays et les petits pays, qui va permettre à beaucoup de petits pays de devenir membres de l'Union; c'est ce rééquilibrage qui rendra l'élargissement possible. («La question !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
Deuxième acquis, l'accès plus facile aux coopérations renforcées, qui permettra, si nécessaire, à une avant-garde de se dégager.
Dernier acquis, la perspective d'une constitution européenne, qui permettra enfin, j'espère que nous le souhaitons tous, de remettre le citoyen européen au coeur du projet. («La question !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Monsieur le Premier ministre, je serais heureux que vous nous fassiez part de vos impressions et de votre jugement après ce conseil, et que vous nous disiez comment ces résultats positifs pourront, demain, être utilisés par la France et pour l'Europe. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la république. Allô !
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. («Ah !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le député, pour ceux pour qui l'Europe est d'abord l'objet d'un idéalisme abstrait faisant litière des réalités nationales et parfois même des différentes conceptions de l'Europe, ce sommet de Nice peut apparaître comme décevant et, à certains égards, il l'est.
Pour ceux qui pèsent de façon plus réaliste - et je le fais depuis trois ans à l'intérieur des conseils européens - le poids des réalités nationales, la force des contradictions entre les Etats,..
M. François Goulard. C'est marxiste !
M. le Premier ministre. ... et la difficulté à réunir dans une seule négociation les éléments dispersés d'un faisceau de contradictions, le sommet de Nice a été un rendez-vous réussi. Il aurait pu être manqué. D'ailleurs, le Président de la République, les deux ministres qui étaient présents et moi-même, se sont demandés, à la fin de la négociation, s'il n'allait pas l'être.
Mesdames, messieurs, l'existence même d'un accord - cet accord qui n'avait pas pu être réuni, malgré le talent du Premier ministre Wim Kok, à Amsterdam, il y a trois ans et demi - sur des sujets aussi difficiles est un succès. Et dans le concert d'appréciations négatives ou mitigées que j'ai entendues, je me suis réjoui de constater que les réactions dans les capitales des pays candidats à l'Union étaient positives parce que, eux, comprenaient que cette occasion aurait pu être manquée et qu'elle ne l'avait pas été.
En réalité, ce succès n'était guère acquis quand nous sommes entrés dans le sommet de Nice. D'ailleurs, la question est posée de savoir si des négociations aussi complexes doivent faire l'objet, pendant des mois, de discussions qui n'avancent pas dans le cadre d'une conférence intergouvernementale, ou si ce n'est pas dans des cadres plus politiques, après consultation de l'ensemble des diverses forces de nos sociétés européennes, qu'il faut nouer ces débats.
Je le répète, le succès n'était pas acquis mais nous sommes arrivés à réunir les éléments d'un accord.
Cet accord est équilibré et il porte sur la substance, puisque la Commission, comme nous le souhaitions, sera plafonnée, même si ce plafonnement, c'est vrai, est différé, car nous ne pouvions pas vaincre l'obstacle des résistances des pays les moins peuplés à cette pondération immédiate.
Le Conseil aura une capacité plus grande à décider, puisque 90 % des décisions seront prises à la majorité qualifiée, même s'il est honnête de préciser que, sur des sujets essentiels, l'unanimité reste la règle. Nous étions prêts, nous, à avancer sur un certain nombre de ceux-ci, notamment la fiscalité, mais là aussi nous nous sommes heurtés à une sorte de veto, à un refus qu'il n'était pas possible de surmonter.
Le Parlement européen verra son rôle conforté par la progression du mécanisme de la codécision et la souplesse nécessaire, pour ceux qui veulent avancer plus vite dans une Union élargie, aura été donnée par la possibilité de mener à bien avec moins de formalisme des coopérations renforcées.
La France a obtenu satisfaction sur trois points, à notre avis essentiels pour l'Union européenne elle-même face à l'élargissement: tout d'abord, le principe du plafonnement de la Commission, dont j'ai déjà parlé; puis, une bonne repondération qui n'était pas justifiée par la volonté de modifier l'équilibre, aujourd'hui, à quinze, entre ce que l'on appelle les grands et les petits pays, mais qui était destinée à faire face aux conséquences de l'élargissement. En effet, quand nous serons vingt, vingt-cinq, vingt-sept ou trente, l'Union européenne comptera de nombreux pays peu peuplés et il faut garder cohérence et cohésion. A cet égard, que la pondération entre les pays les plus peuplés et les moins peuplés soit passée de un à cinq, à un à dix était également un de nos objectifs.
Enfin, des progrès ont été faits sur la majorité qualifiée et la France, tant comme pays que comme présidence, a fait preuve d'ouverture. Il nous importait - et nous ne pensons pas que c'était là défendre seulement un intérêt strictement national - que les questions de culture, d'éducation et de santé humaine restent des questions de compétence partagée entre la Commission et les Etats. Il n'y va pas seulement d'une certaine identité de la France et d'une certaine conception de la culture, de l'éducation ou des services publics, mais aussi d'une certaine identité de l'Europe, qui veut rester un des pôles du foisonnement culturel et ne pas être enfermée dans des mécanismes uniformisateurs.
Je crois enfin, monsieur le député, que nous avons assumé notre responsabilité de président pour rendre possible un accord. C'est dans un esprit de compromis que nous avons avancé sur la politique commerciale commune, sans toujours rencontrer, d'ailleurs, en face de nous une disponibilité pour aller plus loin.
Si j'ajoute les avancées réalisées dans d'autres champs que la conférence intergouvernementale sous la présidence française, comme l'affirmation de valeurs communes avec la proclamation de la charte des droits fondamentaux, la mise en oeuvre d'une politique de sécurité commune qui est un grand pas en avant pour l'affirmation de l'Europe, des avancées concrètes sur toute une série de sujets extrêmement importants pour nos concitoyens dans leur vie quotidienne ou dans leur conception de la société, sur la sécurité alimentaire, la sécurité maritime ou la mobilité dans le domaine de l'éducation, sur la culture avec MediaPlus, la coopération judiciaire pour lutter contre la criminalité, la préparation à l'euro pratique, ou encore, dans le domaine social, avec l'adoption d'un agenda européen, avec l'accord réalisé sur le statut de la société européenne, dossier qui n'était pas traité depuis trente ans dans l'Union européenne, si nous regardons ce que nous avons fait dans tous ces domaines, sans oublier le domaine financier avec la fiscalité de l'épargne, on peut considérer que cette présidence française a été un bon cru.
En tout cas, les autorités françaises, c'est-à-dire le Président de la République, les deux ministres qui ont participé à la négociation, tous les ministres qui ont animé les conseils européens et qui continueront à le faire jusqu'au 31 décembre pour réaliser de nouvelles avancées, tous pensent qu'ils peuvent passer le relais à la présidence suédoise avec le sentiment du devoir accompli.
Nous avons trouvé un juste équilibre entre la défense légitime de nos intérêts et la volonté, réaliste, de faire faire de nouveaux pas en avant à l'Europe. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. François Vannson. Vive Chirac !
Auteur : M. Gérard Fuchs
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Union européenne
Ministère interrogé : Premier Ministre
Ministère répondant : Premier Ministre
Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 13 décembre 2000