institutions communautaires
Question de :
M. Jean-Claude Lefort
Val-de-Marne (10e circonscription) - Communiste
Question posée en séance, et publiée le 21 décembre 2000
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lefort.
M. Jean-Claude Lefort. Monsieur le président, permettez-moi tout d'abord, car il y a urgence, de demander au Gouvernement qu'il pallie la décision insupportable du Conseil constitutionnel de supprimer l'abattement de la CSG sur les bas salaires. Cela concerne neuf millions de personnes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Monsieur le ministre des affaires étrangères, le Conseil de Nice a provoqué, en France et en Europe, des réactions ambivalentes. En France, c'est sans surprise que les souverainistes se sont prononcés contre ses conclusions. Chose nouvelle, voilà que les fédéralistes se retrouvent dans la même opposition. Cette double opposition cache mal, en vérité, un fait majeur: on peut être frileusement replié sur soi-même ou furieusement fédéraliste sans pour autant remettre en cause le libéralisme ! Or, pour nous, cette problématique est essentielle car elle pose la question du sens de l'Europe. Nice, qui s'ajoute à Maastricht et à Amsterdam, remet-il en cause la ligne libérale d'ensemble qui sous-tend ces derniers traités ?
De ce point de vue, Nice comporte des aspects positifs. Par exemple: l'unanimité maintenue pour la culture, l'éducation et la santé, mais malheureusement supprimée pour l'investissement; la création d'une agence alimentaire européenne; la reconnaissance d'une spécificité sportive ou encore les mesures à venir en matière de sécurité maritime. Nous voyons aussi que les pays candidats se réjouissent de leur adhésion prochaine, bien qu'il reste à en évaluer le coût pour chacun.
Pour autant, Nice, ce sont aussi beaucoup d'autres accords passés, qui, spécialement en matière sociale, sont d'une autre veine. Ainsi l'Europe restera lourdement impérative s'agissant des conséquences de l'adoption de la monnaie unique ou bien encore de la Banque centrale et de sa sacro-sainte indépendance.
Par contre, elle se garde bien de fixer des objectifs significatifs également contraignants pour une harmonisation sociale par le haut. Les manifestants, qui étaient trois fois plus nombreux dans les rues de Nice que dans celles d'Amsterdam, seront certainement, et légitimement, déçus.
En vérité, et les questions institutionnelles en portent la marque, Nice apparaît comme un concentré de contradictions. C'est pourquoi Nice reste marqué par la domination de l'économique et du financier sur le politique. Si l'Europe ne doit être qu'une simple réplique à l'identique des Etats-Unis, c'est le libéralisme qui constituerait le modèle. Peut-on dire que Nice soit globalement - je dis bien globalement - porteur d'un projet novateur clairement irrigué par les valeurs de gauche ? Il serait pour le moins excessif de l'affirmer.
Le traité de Nice, qui, encore une fois, n'annule pas les traités précédents mais les intègre, doit être soumis à ratification dans les dix-huit mois. Dès lors, monsieur le ministre, quel est l'avis du Gouvernement sur la voie à suivre pour la ratification de ce traité ? Comment faire pour que le peuple pèse et que s'affirme l'indispensable appropriation de l'Europe par les citoyens ? Autrement dit, référendum ou pas ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe communiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, le Premier ministre a eu l'occasion de dire ici même que ce rendez-vous, qui aurait pu être raté en raison de l'extraordinaire difficulté de la négociation, a été un rendez-vous réussi et qu'au-delà des commentaires peut-être un peu précipités, c'est cela qui demeurerait: la réussite à Nice après l'impossibilité à conclure que l'on avait dû constater à Amsterdam.
Je ne crois pas que l'on puisse dire que le résultat de Nice soit un tissu de contradictions. C'est un compromis démocratique entre gouvernements démocratiques, qui sont allés ensemble, à quinze, le plus loin qu'il était possible d'aller dans les circonstances réelles d'aujourd'hui. Je ne crois pas que, sous une autre présidence, quelle qu'elle soit, ils auraient pu parvenir à un résultat meilleur que celui qui a été obtenu, comme vous le savez, avec le plein engagement de la présidence française. L'accord de Nice est un accord très important. Il est ambitieux, il est réaliste et il permettra à la fois de mieux fonctionner au sein des Quinze, par rapport à nos ambitions, et de faire face aux perspectives d'élargissement au fur et à mesure que les pays candidats seront réellement en mesure de reprendre nos acquis.
Vous avez signalé - et c'est très important pour nous - qu'en matière de culture, de santé et d'éducation, nous avons gardé dans le traité un dispositif qui nous permettra de faire objection à des évolutions qui seraient véritablement contraires à nos convictions et à ce que nous voulons faire. Cela ne signifie pas pour autant que nous ne progresserons pas dans le cadre de l'unanimité. Des exemples récents - je pense, en particulier, à l'harmonisation de la fiscalité sur l'épargne - ont démontré le contraire. Le traité de Nice nous permettra de progresser, et toutes les forces de progrès, qui veulent également une Europe sociale, s'y trouveront à l'aise.
Quant à la ratification, je ne peux que redire qu'elle doit avoir lieu le plus vite possible - au plus tard dans les dix-huit mois - afin que nous puissions tirer parti le plus vite possible des potentialités nouvelles de ce traité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
Auteur : M. Jean-Claude Lefort
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Union européenne
Ministère interrogé : affaires étrangères
Ministère répondant : affaires étrangères
Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 21 décembre 2000