Kosovo
Question de :
M. Paul Quilès
Tarn (1re circonscription) - Socialiste
Question posée en séance, et publiée le 11 janvier 2001
M. le président. La parole est à M. Paul Quilès.
M. Paul Quilès. Monsieur le ministre de la défense, en Allemagne, en Italie, en Belgique, au Portugal notamment, des inquiétudes se sont fait jour ces dernières semaines sur le lien qui pourrait exister entre les leucémies constatées chez des soldats et l'utilisation par l'OTAN d'armes contenant de l'uranium appauvri. Ces inquiétudes sont réelles, il n'est pas question de les prendre à la légère.
La commission de la défense a déjà mis en place, s'agissant de la guerre du Golfe, une mission destinée à analyser les pathologies qu'auraient éventuellement rencontrées nos soldats à la suite de cette guerre. Je vais lui proposer d'élargir son mandat aux opérations de Bosnie et du Kosovo.
L'utilisation de l'uranium appauvri par les Américains pose également le problème de la nécessaire transparence dans la coopération entre alliés pour la conduite des opérations militaires. Il est évident que l'OTAN ne pourra bien fonctionner que si la confiance règne entre partenaires européens et américains. Et cette confiance ne peut évidemment exister sans information réciproque. Force est de constater que cet épisode vient s'ajouter à d'autres dysfonctionnements de l'OTAN, que nous avions pu constater lors du conflit du Kosovo.
Pour ce qui concerne précisément la question de l'uranium appauvri, nous ne savons pas s'il y a un rapport de cause à effet entre les pathologies enregistrées et l'utilisation de ces armes, mais le risque ne peut pas être considéré comme nul.
Dans ces conditions, ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, qu'il serait nécessaire d'instituer un moratoire sur l'usage de ces armes tant que les doutes ne sont pas levés ? Il serait, en effet, très regrettable que le recours à la force armée, qui est aujourd'hui essentiellement légitimé par des objectifs humanitaires et de défense des droits de l'homme, fasse courir des risques non seulement aux populations que nous sommes censés protéger mais également à nos troupes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Monsieur le président de la commission de la défense, permettez-moi de me livrer à un bref rappel. L'uranium appauvri est employé, en tant que métal lourd non transformé pour obtenir une énergie élevée, dans certaines munitions. Il est utilisé en combats intenses contre des chars lourds à cause de sa capacité de perforation du blindage qui est supérieure à celle d'autres métaux. Il a été utilisé à partir d'avions de pays de l'OTAN contre des blindés lourds de l'armée yougoslave qui, eux-mêmes étaient employés contre des populations désarmées, en Bosnie, à deux reprises, en 1994 et en 1995, et au Kosovo pendant les frappes aériennes, au printemps 1999.
Notre pays détient, pour sa part, un stock limité de ces munitions pour ses chars et ne les a jamais utilisées, ni en opérations ni en exercices.
Sur le plan médical, nous avons repéré des effets de l'impact de ces munitions comparables à ceux d'autres métaux lourds, à savoir des poussières fines autour du point d'impact, lesquelles pénètrent dans l'organisme et s'y fixent partiellement en provoquant des maladies rénales. C'est en tout cas ce qu'on a analysé jusqu'à présent. En revanche, il n'y a pas eu d'identification de processus cancéreux. Je veux souligner que cette analyse est commune avec celle de l'industrie de l'uranium puisque ce sont des conditions d'emploi comparables.
On a constaté, ces derniers mois, des cas de leucémie chez des militaires. En France, la fréquence de leucémies observée est assez constante au cours de ces dernières années et n'est pas substantiellement différente de la fréquence relevée dans la population civile adulte.
Cela étant, nous avons décidé d'enquêter sur tous les cas de leucémie chez des militaires ces dernières années pour approfondir la connaissance des facteurs de maladie: développement d'investigations sur le terrain pour détecter les traces subsistant sur les sites des frappes antichars, donc au Kosovo, renforcement du suivi médical des personnels ayant servi en Bosnie et au Kosovo pour dépister les indices d'éventuelles évolutions anormales et - je réponds directement à votre question - demande de mise en commun de toutes les données médicales dont peuvent disposer tous les pays ayant engagé des troupes en Bosnie ou au Kosovo, qui sont plus nombreux que les membres de l'Alliance, laquelle a la responsabilité du commandement, puisqu'une trentaine de pays ont envoyé des troupes. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Je sais à quoi sert le dispositif lumineux, mais je pense que le sujet mérite quelques secondes supplémentaires !
Mme Christine Boutin. Très bien !
M. le ministre de la défense. Nous maintenons notre position qui est de ne pas utiliser ces munitions dans les opérations dans lesquelles nous sommes engagés. C'est une position nationale, comme c'est la règle pour l'emploi des armes lorsqu'il n'y a pas de convention internationale de limitation. Il est logique qu'il y ait une transparence et des échanges d'informations dans l'Alliance, mais celle-ci n'a pas de fonction supranationale pour décider de l'emploi des armes.
Par ailleurs, comme vous l'avez rappelé, l'Assemblée a engagé des investigations sur les risques sanitaires spécifiques des opérations du Golfe, en même temps qu'une enquête médicale est menée conjointement avec le secrétariat d'Etat à la santé.
La commission de la défense a souhaité hier étendre son travail d'enquête aux opérations de Bosnie et du Kosovo. Le Gouvernement y est favorable et y collaborera pleinement. Il suit donc la même ligne politique, attaché au principe de précaution et à la transparence, en donnant la primauté au contrôle parlementaire. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste.)
M. Charles Cova. Très bien !
Auteur : M. Paul Quilès
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Politique extérieure
Ministère interrogé : défense
Ministère répondant : défense
Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 11 janvier 2001