Kosovo
Question de :
M. Jean-François Mattei
Bouches-du-Rhône (2e circonscription) - Démocratie libérale et indépendants
Question posée en séance, et publiée le 11 janvier 2001
M. le président. La parole est à M. Jean-François Mattei.
M. Jean-François Mattei. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre mais je comprendrais que M. le minsitre de la défense me réponde. Comme il est également possible de comprendre que les trois groupes de l'opposition, au nom desquels je m'exprime (Exclamations sur quelques bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert), puissent avoir les mêmes inquiétudes que celles provenant à l'instant d'autres bancs à propos de ce qu'il est convenu d'appeler désormais le syndrome des Balkans.
Des militaires sont morts. D'autres sont atteints d'affections graves: cancer ou leucémie. La cause en serait - j'utilise le conditionnel car aucune donnée scientifique ne permet de l'affirmer aujourd'hui - l'utilisation d'armes à l'uranium appauvri lors des bombardements en Bosnie en 1995 et au Kosovo en 1999.
Je voudrais, sur un sujet tout de même assez surprenant, puisqu'il associe la guerre et l'armement à la santé publique, vous poser quelques questions précises, monsieur le ministre de la défense, qui vous permettront de compléter les propos que vous avez tenus précédemment.
Premièrement, le Gouvernement français était-il informé de l'utilisation d'armes à l'uranium appauvri ? Si non, comment est-ce possible ? Si oui, le Gouvernement était-il informé des risques sanitaires éventuels liés à l'utilisation de ces armes, et cela bien avant la mise en garde officielle des Américains le 1er juillet 1999 - c'est-à-dire après les bombardements au Kosovo -, date à laquelle ils ont clairement fait savoir qu'il y avait des risques ? Dans l'hypothèse où le Gouvernement aurait été informé de ces risques, quelles mesures préventives a-t-il prises pour protéger ceux de nos militaires qui étaient impliqués dans ce conflit ?
M. Lucien Degauchy. Il n'a rien fait !
M. Jean-François Mattei. Par ailleurs, vous avez évoqué précédemment le refus d'un moratoire par l'OTAN. Quelle est la position de la France à ce sujet ?
M. Lucien Degauchy. Très bien !
M. Jean-François Mattei. Deuxièmement, quelle est la validité de ces armes, et est-il vrai que, en dépit des inquiétudes actuelles que celles-ci suscitent, la France continue d'en fabriquer ?
Enfin, troisièmement, ne pensez-vous pas qu'il s'agit d'un problème de défense européenne commune qui devrait être abordé de façon claire et nette au sein du Conseil de défense de l'Europe ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur divers bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Monsieur le député, en plus des éléments de réponse que j'ai fournis tout à l'heure au président de la commission de la défense, M. Paul Quilès, je peux préciser que, en ce qui concerne l'opération du Kosovo, nous avons eu rapidement l'information que les avions A-10 qui bombardaient les chars lourds de l'armée yougoslave dans les conditions que j'ai rappelées, c'est-à-dire au moment de l'épuration ethnique, utilisaient ce type de munitions.
En revanche, je n'ai pas trouvé trace - et je rappelle que je n'étais pas en fonction à ce moment-là - d'informations à propos des frappes que les Américains ont effectuées en Bosnie en 1994 et en 1995.
Nous avons, au cours de ces dernières années, effectué des analyses sur l'impact sanitaire de ces munitions. Comme je l'ai indiqué à M. Quilès, les données qui ont été accumulées mettent en évidence des risques nettement plus proches de ceux que font courir les métaux lourds comme le tungstène ou le plomb que ceux qui sont associés aux effets de la radioactivité. Comme je l'ai déjà dit, nous poursuivons ces investigations. Il faut d'ailleurs noter que ces données sont en partie communes avec celles de l'industrie de l'uranium, qui a des conditions d'emploi relativement analogues. Ces analyses sont effectuées depuis longtemps.
Le nouvel élément - et cela va dans le sens de votre souhait -, c'est que l'ensemble des nations associées aux opérations en question et dont les militaires ont pu être exposés aux effets des munitions à l'uranium appauvri vont se réunir lundi prochain au sein de l'Alliance pour échanger les données scientifiques qu'ils possèdent et les analyses qu'ils ont effectuées les uns et les autres.
Quelles précautions avons-nous prises vis-à-vis de nos personnels ? Dès l'entrée des forces au Kosovo, il a été donné comme instruction à notre brigade d'éloigner les militaires français des sites identifiés comme ceux où avaient eu lieu des frappes contre des chars. Et comme vous l'avez sans doute constaté, Bernard Kouchner a, en tant que représentant des Nations unies et avec notre pleine approbation, demandé que les investigations sur ce terrain soient étendues afin de déterminer les endroits où il subsiste des traces.
Je vous confirme également que la France détient en quantité limitée de telles munitions pour nos chars, dans l'éventualité où nous aurions à nous confronter à une bataille de chars de haute intensité. En revanche, elle n'en fabrique pas.
En ce qui concerne les décisions de limitation de recours à une arme, la France a une doctrine traditionnelle que je crois légitime et qui consiste à rechercher un consensus international de manière qu'une telle décision de limitation, quand elle est scientifiquement fondée, soit appliquée partout. Elle ne s'en remet pas à une décision régionale ou à une décision d'une coalition pour se prononcer sur l'usage d'une arme. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste et sur divers autres bancs.)
Auteur : M. Jean-François Mattei
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Politique extérieure
Ministère interrogé : défense
Ministère répondant : défense
Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 11 janvier 2001