sécurité des biens et des personnes
Question de :
M. Henri Plagnol
Val-de-Marne (1re circonscription) - Union pour la démocratie française-Alliance
Question posée en séance, et publiée le 17 janvier 2001
M. le président. La parole est à M. Henri Plagnol, pour le groupe UDF.
M. Henri Plagnol. Ma question s'adresse à Mme la ministre de la justice.
Madame la ministre, vous nous avez déclaré tout à l'heure que vous souhaitiez concentrer l'essentiel de votre action sur les 99,9 % de dossiers qui relèvent de la justice du quotidien. Je voudrais précisément vous demander comment vous comptez faire face aux inquiétudes grandissantes exprimées par les magistrats de notre pays, qui estiment qu'ils n'ont plus les moyens de remplir leur mission dans des conditions correctes.
Je prendrais à titre d'exemple les propos tenus par le procureur de la République du Val-de-Marne à l'occasion de l'audience solennelle de rentrée du tribunal de Créteil.
Il a d'abord contredit les propos lénifiants de votre collègue le ministre de l'intérieur en soulignant une augmentation spectaculaire de la délinquance (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) : il n'est plus possible aujourd'hui de transmettre des images minimalistes lorsque la délinquance globale augmente de 12 % en un an et lorsque celle des vols avec violence progresse de 40 % ! Il a terminé ses propos par un cri d'alarme auquel, je crois, aucun élu, quelle que soit son appartenance politique, ne peut rester indifférent. Comment rester insensible devant cette multiplication des agressions violentes sur la voie publique ou à domicile, ces meurtres pour quelques francs, ces coups de couteau gratuits, ces agressions sexuelles ?
Les propos du procureur ont été partagés par le président du tribunal de grande instance, le président du tribunal pour enfants et l'ensemble de ses collègues magistrats, et des propos identiques sont tenus dans tous les départements de France au fil des audiences solennelles de rentrée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Tous les magistrats, quelle que soit leur appartenance syndicale, défilent avec des pancartes, parlant d'une justice sans moyens...
M. Francis Hammel. Parlons-en !
M. Henri Plagnol. ... et bafouée, d'une justice à la dérive, disant qu'ils en ont assez des réformes médiatiques, inapplicables sur le terrain faute de moyens. («Très bien» sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie !
M. Jean-Paul Charié. C'est très grave !
M. Henri Plagnol. Ma question est simple, madame la ministre: face à ce malaise et même à ce découragement,...
M. Jean-Paul Charié. Ce désarroi !
M. Henri Plagnol. ... grandissant chez les magistrats chargés précisément d'appliquer la justice au quotidien, qui sont las de voir adopter des réformes médiatiquement correctes mais inapplicables sur le terrain faute de moyens, comment comptez-vous, en relation avec le ministre de l'intérieur, remobiliser, en tenant compte des réalités du terrain, tous les hommes et les femmes chargés de faire appliquer la justice dans notre pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Jean-Paul Charié. Il faut des moyens !
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, je ne crois pas à la violence des mots pour traiter la violence d'une société. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste) , et je pense que nous devons aborder ce problème sereinement.
M. Maurice Leroy. Et les moyens ?
Mme la garde des sceaux. Les magistrats ont davantage de moyens, ils le reconnaissent, et vous allez m'écouter, sans violence, ce qui sera plus intéressant.
Environ 730 postes budgétaires ont été créés, que vous avez d'ailleurs votés, et c'est bien,...
M. Jean-Paul Charié. Pour combler les trous !
Mme la garde des sceaux. ... et 600 magistrats sont d'ores et déjà arrivés sur le terrain, dont 345 vont répondre aux besoins de la nouvelle loi. Il y a donc une marge pour un meilleur fonctionnement de la justice. Le Premier ministre, Mme Guigou et moi-même sommes intimement convaincus que l'effort engagé depuis 1997 doit durer bien au-delà et qu'il faudra encore 600 magistrats supplémentaires sur le terrain dans les trois ans qui viennent pour avoir un fonctionnement de la justice permettant de meilleures relations entre le monde de la justice, le monde de la police et le monde de la gendarmerie. Il est vrai que, nos structures ayant besoin de moyens, nous n'avons pas pu favoriser leurs relations, comme nous l'aurions souhaité, ainsi que les ministres de l'intérieur successifs et le ministre de la défense, pour diminuer le nombre d'affaires classées parce que leurs auteurs sont inconnus.
Nous avons donc un travail collectif à faire. Comme je le disais aux magistrats, aux policiers et aux gendarmes que je recevais hier soir pour les voeux du ministère de la justice, de tels moyens ne seront pas suffisants, même si, l'an dernier, 10 000 dossiers de plus environ ont été «déstockés», ce qui montre que les moyens supplémentaires ont déjà eu un effet, et, grâce à la nouvelle promotion des greffiers, nous allons pouvoir engager la
juridictionnalisation de l'application des peines, par exemple. Eponger une absence totale de promotion de greffiers en 1997 - 200 personnes en moins - ce n'est pas simple pour moi, comme cela n'a pas été simple pour Elisabeth Guigou !
En dépit de tous ces efforts, nous aurons besoin du concours de tous sur le terrain, nous avons besoin d'un langage de justice dans ce pays,...
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance. Mitterrand !
Mme la garde des sceaux. ... d'un langage de sécurité et de liberté, passant par un meilleur travail, que Daniel Vaillant, Alain Richard et moi-même mettons en place, mais aussi par l'adhésion de tous à un système d'équilibre et de sérénité.
Merci d'avoir posé cette question pour que nous puissions répéter ces précisions. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Auteur : M. Henri Plagnol
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Sécurité publique
Ministère interrogé : justice
Ministère répondant : justice
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 17 janvier 2001