euro
Question de :
M. Guy Lengagne
Pas-de-Calais (5e circonscription) - Radical, Citoyen et Vert
Question posée en séance, et publiée le 17 décembre 1997
M. le président. La parole est à M. Guy Lengagne.
M. Guy Lengagne. Monsieur le ministre de l'économie et des finances, nous avons tous reçu ce matin, de M. Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque de France, le texte de la conférence de presse qu'il a tenue le 11 décembre dernier. J'en extrais cette citation qui résume bien, me semble-t-il, la pensée profonde de son auteur: «La lutte contre le chômage dépend des stratégies et des réformes structurelles permettant de réduire les frais généraux de l'économie, de libérer les initiatives, d'assouplir le fonctionnement du marché du travail.» (Applaudissements sur quelques bancs de groupe de l'Union pour la démocratie française.)
M. Jean-Pierre Soisson. Très bien !
M. Guy Lengagne. Même si le responsable de notre banque centrale a pris la précaution de s'abriter derrière les rapports du FMI ou de l'OCDE, cette déclaration n'est rien d'autre qu'une critique à peine voilée de la politique menée par le Gouvernement.
Un grand journal du soir ne s'y est pas trompé en titrant: «La Banque de France critique implicitement le passage à la semaine de trente-cinq heures.» («Ah !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
L'opinion de M. Trichet n'est pas une surprise pour ceux qui connaissent son parcours.
M. Patrick Ollier. C'est vous qui trichez !
M. Guy Lengagne. Certains de nos collègues partagent son analyse. C'est leur droit. Ils sont dans leur rôle en le disant dans cette enceinte et à l'extérieur.
M. Philippe Briand. Merci !
M. Guy Lengagne. Mais je vous pose cette question, monsieur le ministre, ainsi qu'à tous nos collègues: trouvez-vous normal que celui qui a en charge la politique monétaire de la France, parce qu'il a été nommé en conseil des ministres, émette publiquement un jugement aussi politique sur l'action gouvernementale ?
Comme un certain nombre d'entre nous, j'ai toujours pensé que battre monnaie devait rester de la compétence du Gouvernement de la France. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, et sur quelques bancs du groupe socialiste.)
Mme Nicole Catala et M. Jacques Myard. Très bien !
M. Guy Lengagne. Désormais, le Gouvernement de la France s'est, pour une bonne part, dessaisi de cette compétence. De là à ce qu'il soit l'objet, de la part de ceux qui exercent maintenant cette compétence, d'un certain nombre de critiques, il n'y avait qu'un pas qui est aujourd'hui franchi.
Mais je suis encore plus inquiet à l'idée que, dans une année, c'est de Francfort, par la Banque centrale européenne,...
M. Francis Delattre. Avec Trichet à sa tête !
M. Guy Lengagne. ... que sera définie la politique monétaire de notre pays. On pourrait certes se rassurer en se disant que le premier gouverneur de cette Banque centrale sera, du moins on le dit, un Français. Mais vous savez, monsieur le ministre, à qui l'on pense. C'est pourquoi, vous le devinez, mon inquiétude n'est en rien calmée.
Que pensez-vous des déclarations du gouverneur de la Banque de France ? Pouvez-vous nous rassurer quant aux possibilités d'action du Gouvernement sur la politique monétaire de notre pays à partir du 1er janvier 1999 ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Mme Nicole Catala. Pourquoi pas M. Chevènement ?...
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le député, le gouverneur de la Banque de France a en charge une institution qui se préoccupe de la stabilité des prix et de la monnaie. C'est donc à cette aune qu'il s'exprime et, parce que la stabilité des prix et la monnaie ne font pas toute l'économie, sans doute peut-on comprendre qu'il n'ait qu'une vue partielle de l'ensemble des sujets. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. Jacques Myard. Partielle et partiale !
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il est naturel qu'au regard des préoccupations qui doivent être les siennes le gouverneur puisse s'exprimer comme il le fait.
Le Gouvernement, lui, s'intéresse à l'ensemble de l'économie. Il doit avoir une vue plus large. Il est légitime qu'il se pose des problèmes qui touchent à l'emploi et qu'il engage la politique sur laquelle vous aurez bientôt à vous prononcer en examinant le projet de loi de Mme Aubry.
Vous demandez à être rassuré sur notre politique monétaire lorsque l'euro sera fait. Je constate avec plaisir que plus personne, aujourd'hui, ne doute de l'avènement de l'euro le 1er janvier 1999.
M. Pierre Carassus. Si ! Vous êtes mal renseigné !
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Comme le rappelait le Premier ministre tout à l'heure, c'est un des grands résultats de l'action de notre pays depuis six mois.
Soyez rassuré, monsieur le député.
La politique monétaire de notre pays s'insère dans un ensemble mondial qui, aujourd'hui, fait qu'un petit pays n'a plus du tout d'influence et que même le nôtre, qui est un grand pays, n'a qu'une influence modérée. Pour avoir une influence déterminante, il nous faut aller vers l'euro et vers une monnaie continentale.
Lorsque l'euro sera créé, nous aurons, sur notre avenir monétaire, une influence beaucoup plus grande qu'aujourd'hui. Voyez-vous, le choix est entre une souveraineté partagée avec nos partenaires ou les illusions d'une souveraineté sans partage. Je crois beaucoup plus à la première formule: nous serons, avec nos partenaires, à même de faire la politique économique qui nous convient, grâce à une monnaie qui aura une véritable place sur la planète, ce que nous ne pouvons plus espérer aujourd'hui des seules monnaies nationales, qu'il s'agisse du franc, du mark, de la lire ou de la peseta.
Demain, lorsque l'euro sera là, nous aurons les moyens d'un développement plus puissant et d'une croissance plus forte, avec les résultats que l'on peut en attendre sur l'emploi. Pour cette raison, le Gouvernement est favorable à la création de l'euro et souhaite que la France le rejoigne aussitôt que possible. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Auteur : M. Guy Lengagne
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Union européenne
Ministère interrogé : économie
Ministère répondant : économie
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 17 décembre 1997