Question au Gouvernement n° 2712 :
délinquance

11e Législature

Question de : M. Jean-Pierre Michel
Haute-Saône (2e circonscription) - Radical, Citoyen et Vert

Question posée en séance, et publiée le 19 avril 2001

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel pour le groupe Radical, Citoyen et Vert.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le Premier ministre, j'ai regardé hier la télévision, mais ma question était prête depuis plusieurs semaines. («Ah !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
La montée des incivilités et de la petite délinquance en milieu urbain explique en partie l'abstention électorale croissante des catégories populaires, premières victimes de l'insécurité. Toutes les études récentes montrent en effet que le nombre des délits commis par des mineurs, de plus en plus jeunes, progresse de façon inquiétante. Dans plusieurs villes de mon département, et plus généralement de ma région et du pays de Montbéliard, l'exaspération grandit vis-à-vis d'une violence juvénile parfois sauvage, prenant des formes diverses: incendies de voitures, de poubelles, jets de pierres contre les forces de l'ordre, contre les pompiers, détérioration de cages d'escaliers. Il s'agit d'un phénomène que plus personne ne peut ignorer.
Les élus locaux, démunis dans ce domaine, sont souvent mis en accusation par les populations de nos quartiers. Et c'est un parlementaire peu soupçonnable de céder aux sirènes de l'idéologie sécuritaire, qui tire aujourd'hui la sonnette d'alarme. («Ah !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
M. Charles Cova. Les élections approchent ! Il se réveille.
M. Jean-Pierre Michel. En effet, l'amélioration de la situation économique, les efforts de prévention et d'animation menés dans le cadre de la politique de la ville, des contrats locaux de sécurité ne suffisent pas, ne suffisent plus à faire reculer l'insécurité pas plus que la mise en place de la police de proximité. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie
française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Durant l'hiver 1999, lors d'un débat entre les ministres de la justice et de l'intérieur de l'époque, le Gouvernement n'avait pas envisagé de réviser l'ordonnance de 1945 sur la délinquance des mineurs. (Exclamations sur les mêmes bancs.) Cette position a encore été confirmée hier, sous le prétexte qu'il n'existerait pas de consensus au sein de la majorité plurielle.
M. Charles Cova. Ce n'est pas grave. (Sourires.)
M. Jean-Pierre Michel. Mais faut-il toujours rechercher un hypothétique consensus pour décider et gouverner ? Et faut-il figer une législation qui, vieille d'un demi-siècle, n'est plus adaptée aux réalités que nous vivons et qui montre chaque jour ses limites ? (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
M. Lucien Degauchy Très bien !
M. Jean-Pierre Michel. L'heure n'est-elle pas venue d'ouvrir sans tabou et sans délai un débat sur les questions suivantes: la responsabilité pénale des mineurs, la mise sous tutelle des allocations familiales lorsque les parents n'assument pas pleinement leur mission éducative (Applaudissements sur les mêmes bancs), la création de centres de retenue dotés de projets éducatifs permettant d'éloigner les délinquants récidivistes.
M. Charles Cova. Qu'il vienne chez nous !
M. Jean-Pierre Michel. Le Gouvernement entend-il se donner et nous donner les moyens de combattre fermement ces formes de délinquance de plus en plus insupportables pour un trop grand nombre de nos concitoyens, qui aspirent légitimement à la tranquillité publique que l'Etat doit leur fournir ? (Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants, et plusieurs députés se lèvent pour applaudir.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, vous me donnez une excellente occasion de rappeler que l'ordonnance de 1945, derrière laquelle s'abritent de nombreux débats, est très peu connue de l'ensemble de nos concitoyens, et peut-être même parfois de nous-mêmes. Sa philosophie, à l'époque, intéressante, était à la fois l'éducation, la répression et la prévention. (Exclamations sur plusieurs bancs des mêmes groupes.) Cette ordonnance a fait de notre pays l'un des premiers pays d'Europe à rendre les mineurs pénalement responsables. C'est la première fois en Europe...
M. Eric Doligé. Nous ne sommes pas là pour l'histoire !
Mme la garde des sceaux. ... qu'un mineur de treize ans pouvait être sanctionné, avec une peine certes atténuée parce qu'il est mineur, mais avec une peine d'incarcération. Les mineurs de treize à seize ans, puis les mineurs de seize à dix-huit ans étaient reconnus responsables.
C'est parce qu'il y a cette ordonnance de 1945 que nous sommes un des seuls pays d'Europe à avoir actuellement des mineurs incarcérés dans nos prisons, en ce moment, 600.
Vous nous demandez souvent des centres fermés. Un pays comme la Suède vient de créer soixante places en centres fermés.
M. Jean-Michel Ferrand. Et alors ?
Mme la garde des sceaux. En revanche, la Suède a supprimé l'autorisation d'incarcérer des mineurs. En Espagne, on vient de créer des centres fermés mais on y a également supprimé l'autorisation d'incarcérer des mineurs.
Cette ordonnance, souvent modifiée, a permis, comme un rapport parlementaire présenté par Mme Lazerges et M. Balduyck l'a largement montré, d'une part, de répondre à la délinquance des mineurs...
M. Jean-Louis Debré. Non !
Mme la garde des sceaux. ... d'autre part, de proposer des mesures concernant la famille. Ainsi, l'article L. 552-6 du code de la sécurité sociale, que vous connaissez bien, permet à un juge de supprimer les allocations familiales s'il estime qu'elles ont été mal utilisées ou que les parents d'un enfant arrêté pour des violences n'ont pas joué leur rôle.
M. Lucien Degauchy. Cela arrive souvent ?
Mme la garde des sceaux. Actuellement, 80 000 familles ne perçoivent plus d'allocations familiales parce que l'on estime que les parents ont failli à leur rôle.
M. Charles Cova. Il y a donc un problème !
Mme la garde des sceaux. Nous avons donc des moyens légaux. Que pourrait-on demander de plus ? Que des mineurs soient incarcérés plus longtemps ? C'est exactement le contraire de ce que souhaient l'ensemble des groupes de la commission d'enquête parlementaire sur l'incarcération. Des CPI, centres de placement immédiat, et des CER, centres éducatifs renforcés, ont été créés. Nous sommes à quarante, nous allons passer à cinquante CPI, et j'espère que les élus locaux vont nous aider à trouver des lieux pour les installer. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste.) On me demande, en effet, de créer de tels centres, mais lorsque nous avons des projets, nous avons du mal à trouver un emplacement parce que les maires n'ont pas envie que ce soit sur leur territoire. J'attends donc de vous que vous m'aidiez activement à créer tous les CPI prévus d'ici à la fin 2001.
Nous avons aussi décidé de réhabiliter nos quartiers de mineurs, qui sont indignes de la démocratie française. C'est sans doute pourquoi les magistrats hésitent à incarcérer des mineurs après des actes de violence. Ils seront reconstruits en dehors des centres d'incarcération d'adultes, parce qu'il n'est pas bon que les adultes et les mineurs soient dans les mêmes prisons. («Très bien !» sur les bancs du groupe socialiste.)
Mme la garde des sceaux. Bref, nous avons un arsenal. A nous de l'utiliser sans faire des mineurs les nouveaux «ennemis de l'intérieur», comme dirait l'un d'entre vous, sans en faire les seuls responsables de la délinquance.
Dans une société violente, nous avons besoin de partenariat...
M. Charles Cova. Encore de l'angélisme !
Mme la garde des sceaux. ... nous avons besoin de prendre en charge collectivement ce qui se passe, et nous avons peut-être besoin d'avoir un langage de sérénité, d'apaisement, en tout cas sans cris de violence. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. Levez-vous donc pour applaudir !

Données clés

Auteur : M. Jean-Pierre Michel

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Jeunes

Ministère interrogé : justice

Ministère répondant : justice

Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 19 avril 2001

partager