armée
Question de :
M. François Asensi
Seine-Saint-Denis (11e circonscription) - Communiste
Question posée en séance, et publiée le 17 mai 2001
M. le président. La parole est à M. François Asensi, pour le groupe communiste.
M. François Asensi. Monsieur le Premier ministre, les propos du général Aussaresses sur la torture en Algérie et son propre rôle dans l'exécution de plusieurs civils français d'origine algérienne et européenne sont l'aveu terrifiant de pratiques qui ont souillé la République française au temps de la colonisation.
Notre pays, qui ne manque aucune occasion de défendre les droits de l'homme partout dans le monde et qui se prévaut d'être une référence éthique en la matière, a laissé faire les tortionnaires, sinon couvert leurs agissements au nom de la raison d'Etat. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
M. Lucien Degauchy. Qui donnait les ordres ?
M. François Asensi. Ces tortures et les exécutions massives de populations civiles, qualifiées en droit français et international de crimes contre l'humanité, furent aussi abominables que celles pratiquées par les Etats totalitaires.
M. Lucien Degauchy. Et dans l'autre sens ?
M. François Asensi. Aux côtés de patriotes algériens, des civils français ont subi les sévices de la question, ont été assassinés, exécutés sommairement.
M. Lucien Degauchy. Et des patriotes français, il n'y en avait pas ?
M. François Asensi. Certains furent même guillotinés, pour l'exemple, comme Fernand Iveton, au terme d'une parodie de justice. Que chacun se souvienne que, dans cette douce France des Trente Glorieuses, des militants communistes ont été victimes de ces crimes; le nom de Maurice Audin est dans toutes les mémoires.
Les députés communistes, héritiers de leurs aînés du chemin de l'honneur, vous demandent, monsieur le Premier ministre, au nom de la France, d'établir les responsabilités du pouvoir politique de l'époque.
Ne pas procéder à ce travail de vérité et à ce devoir de mémoire signifierait que la France s'accorde une exception française liberticide. Elle devrait alors y regarder à deux fois avant de faire la leçon au monde entier. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le député, je condamne comme vous les pratiques déshonorantes qui ont été avouées par le général Aussaresses.
La guerre d'Algérie, je vous le rappelle, a duré huit ans, de 1954 à 1962, elle a concerné deux républiques et plusieurs gouvernements.
M. Francis Delattre. Où étiez-vous, d'ailleurs ?
M. le Premier ministre. La période que vous évoquez, Monsieur Asensi, je l'ai vécue comme jeune lycéen, puis comme étudiant.
M. Francis Delattre. Et comme militaire ?
M. le Premier ministre. Puisque cela semble vous intéresser, je vous indique que je faisais mes classes, avec d'ailleurs un certain nombre de vos collègues, au moment où sont intervenus les accords d'Evian; si bien que le peloton que je m'apprêtais à conduire en Algérie n'a pas participé à cette guerre que je n'aimais pas et que j'avais combattue. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
M. Christian Bergelin. Merci, de Gaulle !
M. le Premier ministre. J'espère donc que tout cela est clair dans votre esprit.
Je redis que cette période, je l'ai vécue comme jeune lycéen puis comme étudiant. Je me suis engagé pour la paix en Algérie. Je me suis élevé à l'époque, avec d'autres, à la modeste place qui était la mienne, contre l'usage de la torture. J'ai pris position en faveur de l'autodétermination puis de l'indépendance. J'ai même été contre le vote des pouvoirs spéciaux à un gouvernement, le 12 février 1956.
Aujourd'hui, comme citoyen et comme responsable politique, je reste fidèle à mes convictions de l'époque. Aujourd'hui, comme Premier ministre, je suis le premier chef de gouvernement à autoriser l'ouverture des archives publiques aux historiens pour que toute la vérité soit faite.
Il y a quarante ans, j'ai, à ma façon, cherché, avec beaucoup d'autres, le chemin de la vérité. Aujourd'hui, comme Premier ministre, je contribue au devoir de mémoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Auteur : M. François Asensi
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Défense
Ministère interrogé : Premier Ministre
Ministère répondant : Premier Ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 17 mai 2001