Question au Gouvernement n° 3097 :
fonctionnement

11e Législature

Question de : M. Alain Tourret
Calvados (6e circonscription) - Radical, Citoyen et Vert

Question posée en séance, et publiée le 28 novembre 2001

CONSÉQUENCES DE LA LOI RENFORÇANT
LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE

M. le président. Pour le groupe RCV, la parole est à M. Alain Tourret.
M. Alain Tourret. Madame la garde des sceaux, la loi relative à la présomption d'innocence, que nous avons votée à la quasi-unanimité le 15 juin 2000 (« Non ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), restera l'une des grandes avancées de l'Etat de droit. (Protestations sur les mêmes bancs.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie.
M. Alain Tourret. Pour l'essentiel, cette loi est d'origine parlementaire.
La présence de l'avocat dès la première heure de la garde à vue a été voulue par notre collègue Houillon.
La création du juge de la détention et des libertés a été soutenue, et avec quelle fougue, par notre collègue Devedjian. (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
Mme Odette Grzegrzulka. Il est démasqué !
M. Alain Tourret. C'est le Sénat qui, par amendements, a rendu possibles l'appel des arrêts des cours d'assises et la judiciarisation de l'application des peines.
Les radicaux de gauche ont obtenu le relèvement des seuils de détention, la limitation des durées d'instruction et la prise en compte de la situation des enfants lors de l'incarcération.
M. Bernard Accoyer. Il faut abroger cette loi !
M. Alain Tourret. Le droit français a enfin été mis en conformité avec les principes de la Convention européenne des droits de l'homme.
M. Pierre Carassus. Très juste !
M. Bernard Accoyer. Abrogation !
M. Alain Tourret. La France était le premier pays d'Europe pour les détentions provisoires : une honte !
M. Michel Terrot. C'est faux !
M. Alain Tourret. Le nombre des détentions provisoires a baissé, grâce à cette loi, de 25 %.
M. Lucien Degauchy. Et la délinquance, elle a diminué ?
M. Alain Tourret. Désormais, les témoins ne sont plus mis en garde à vue et les gardes à vue se font dans un respect accru du droit des personnes.
Le préjudice subi par des détentions soit abusives, soit inutiles est désormais indemnisé.
Cette loi marque donc une grande avancée. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Elle a atteint les objectifs que nous lui avions assignés.
Il est donc paradoxal, pour ne pas dire scandaleux, de voir certains de ceux qui l'ont approuvée sans réserve la dénigrer sans retenue pour appuyer des revendications corporatistes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
M. Gilbert Meyer. Monsieur le président, que M. Tourret pose enfin sa question !
M. Alain Tourret. Certes, cette loi a entraîné un surcroît de travail pour les policiers, les gendarmes, les magistrats et les greffiers.
Mme Guigou avait prévu les postes budgétaires, mais elle ne pouvait anticiper sur l'appel des arrêts des cours d'assises, que nous avons autorisé.
Vous avez déclaré, madame la garde des sceaux, que la loi renforçant la présomption d'innocence n'avait en aucun cas vocation à être modifiée.
Ma question sera donc simple : la mission confiée à un parlementaire socialiste a-t-elle pour seule finalité de préciser l'adéquation entre les buts de la loi et les moyens nécessaires pour sa mise en oeuvre ?
S'il s'agit d'accroître les moyens, nous ne pouvons que vous soutenir ; s'il s'agit de remettre en cause l'architecture de cette loi de liberté, nous ne l'accepterons pas. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Un député du groupe du Rassemblement pour la République. On voit les résultats !
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur Tourret, je ne reviendrai pas sur les propos que vous venez de tenir et que je partagent tout à fait, d'autant que, lors du vote du texte, on a entendu des phrases concernant la détention provisoire qui, aujourd'hui, nous laissent rêveurs.
Mme Elisabeth Guigou avait pré-créé les postes nécessaires à la mise en application de la loi renforçant la présomption d'innocence. Le nombre de ces postes était estimé à 600. En tout, 739 ont été créés. Nous y avons ajouté le plan d'action pour la justice afin de mieux appliquer cette loi au niveau des parquets, comme au niveau du service de l'exécution des peines.
La question qui nous est posée aujourd'hui - je rappelle qu'une mission a été confiée à l'un de vos collègues - est la suivante : l'application de la loi met-elle les policiers et les gendarmes dans l'impossibilité d'aller au bout de certaines procédures pour des raisons de durée ? Ne devons-nous, pas que, sur le plan de la méthode, faire évoluer les choses ?
En un mois, aucun parlementaire, aussi excellent soit-il, et je n'ai pas de doute sur les qualités du parlementaire choisi, ne remettrait en cause ce texte sur le fond. Ce serait un chantier énorme. La commission des lois et son président, Bernard Roman, ont confié à Christine Lazerges le soin de procéder à une évaluation du droit, actuellement en cours.
Nous devons surtout retrouver, avec l'ensemble des forces de police et de gendarmerie, un langage de sérénité et d'apaisement afin d'identifier les dysfonctionnements et d'y répondre en termes de moyens. C'est cela qu'attendent de nous les forces de police et de gendarmerie, et non des discours incantatoires concernant la loi. Elles demandent du réalisme, des moyens, des méthodes pragmatiques et une évaluation de leurs difficultés.
Si même un seul criminel était libéré pour des fautes de procédure, nous serions comme vous attentifs aux conséquences que cela pourrait avoir pour la démocratie. Au nom de l'équilibre de la démocratie, nous ferons tout pour que les procédures s'améliorent dans le complet respect de la loi renforçant la présomption d'innocence. Cette loi est un grand texte, qui nous a tout simplement mis au niveau européen, alors que vous aviez très souvent regretté que nous n'allions pas assez loin.
D'un mot, je remercierai les parlementaires de l'opposition, parmi lesquels d'anciens ministres, et même un ancien Premier ministre. Ils se souviennent que le rapport Truche, commandé par le Président de la République, est à l'origine de ce texte. De grands discours ont été prononcés à ce sujet, notamment par le Président de la République lui-même.
On n'a pas le droit de faire comme si l'histoire n'existait pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Données clés

Auteur : M. Alain Tourret

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Justice

Ministère interrogé : justice

Ministère répondant : justice

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 28 novembre 2001

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