Question au Gouvernement n° 3206 :
fonctionnement

11e Législature

Question de : M. Jean-Marc Ayrault
Loire-Atlantique (3e circonscription) - Socialiste

Question posée en séance, et publiée le 10 janvier 2002

LOI SUR LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour le groupe socialiste.
M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le Premier ministre, le 21 novembre dernier, vous avez confié à notre collègue Julien Dray une mission d'évaluation de la loi sur la présomption d'innocence. Je voudrais dire ici avec force que les principes de ce texte ne méritent nullement les critiques dont il a été l'objet. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Nous, qui avons voté ce texte, nous ne renions rien. Nous sommes fiers des avancées qu'il a permises :...
M. Yves Fromion. Lesquelles ?
M. Jean-Marc Ayrault. ... mieux garantir le droit des personnes, et d'abord des victimes ; mieux encadrer les procédures de garde à vue et de mise en détention provisoire dont les abus passés ont valu plusieurs fois à notre pays d'être condamné par la Cour européenne des droits de l'homme.
Mais une loi, si juste fût-elle, est perfectible. Et il est de l'honneur du Parlement et du Gouvernement de savoir corriger des dispositions qui peuvent occasionner des dysfonctionnements dans le travail de ceux qui sont chargés de les appliquer.
Le rapport de notre collègue Dray a mis en évidence certaines difficultés réelles et concrètes d'application.
M. Lucien Degauchy. C'est le moins que l'on puisse dire !
M. Jean-Marc Ayrault. Alors modifions ces lacunes, y compris par la voie législative, s'il le faut. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République. )
M. Yves Fromion. Repentance ! On vous avait prévenus !
M. Jean-Marc Ayrault. Le groupe socialiste y est tout à fait prêt.
Aucune de ces recommandations ne remet en cause l'esprit de cette loi. Elles visent au contraire à concilier la justice et la nécessaire sanction de la délinquance. Alors, monsieur le Premier ministre, quelles suites comptez-vous donner au rapport de M. Julien Dray ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. )
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le député, dans un Etat de droit, les règles de procédure pénale ont pour première finalité de permettre que la répression de la délinquance s'accomplisse dans le respect des droits fondamentaux et de la liberté individuelle.
Sur cette question essentielle, une réflexion a été conduite par la commission Truche, qui avait été mise en place à la demande du Président de la République au début de l'année 1997. (« Eh oui ! » sur quelques bancs du groupe socialiste.) Cette commission a fait des propositions tendant à mieux garantir la présomption d'innocence. Mon gouvernement a ensuite présenté au Parlement et fait voter une grande loi, celle du 15 juin 2000, qui a défini entre les impératifs de la répression de la criminalité et ceux des droits de la personne un équilibre qui prenait aussi en compte les obligations découlant de la Convention européenne des Droits de l'homme, comme vous l'avez rappelé. Le débat, en particulier ici même, a conduit l'Assemblée nationale, sur amendements de parlementaires de la majorité comme de l'opposition, à aller parfois plus loin que ne le proposait le Gouvernement lui-même par la voix de la garde des sceaux, à l'époque Elisabeth Guigou. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République. )
M. Christian Estrosi. N'importe quoi !
M. le Premier ministre. Ce texte a fait l'objet, je le rappelle car ce n'est pas si fréquent, d'un accord en commission mixte paritaire entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Il a même été voté ici même en dernière lecture sans aucune opposition ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Philippe de Villiers. Menteur !
M. le Premier ministre. Les premiers temps de l'application de la loi nouvelle ont conduit les praticiens...
M. Philippe de Villiers. C'est un mensonge !
M. le Premier ministre. ... magistrats, policiers, gendarmes à constater des difficultés de mise en oeuvre pouvant faire obstacle à ce que des procédures visant des délinquants soient menées à bien.
Devant le risque d'un développement de l'impunité dangereux pour la sécurité de nos concitoyens, j'ai demandé à l'un d'entre vous, Julien Dray, de procéder à une évaluation précise et concrète des difficultés rencontrées. Il l'a fait après toute une série de dialogues et de visites sur le terrain. Il l'a bien fait et son rapport a été salué à sa juste valeur. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Protestations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Dans le rapport qu'il m'a remis le 19 décembre dernier, votre collègue a relevé qu'en raison d'un formalisme parfois tatillon, la charge de travail des enquêteurs était alourdie, ce qui pouvait nuire à leur efficacité. Il a cependant conclu que l'essentiel des critiques faites aux nouvelles dispositions de procédure pénale pouvait trouver des solutions par le biais d'adaptations rapides. Le Gouvernement fait siennes ces conclusions.
Celles des propositions du rapport Dray qui ne nécessitent que des précisions d'interprétation de la loi seront reprises très prochainement dans une circulaire de la garde des sceaux, Mme Marylise Lebranchu.
Mais il apparaît que, sur des points limités, des ajustements de la loi du 15 juin 2000, qui ne portent pas atteinte à ses principes, peuvent être apportés sans retard. Ils tirent les leçons du rapport de Julien Dray tout en prenant aussi en compte des éclairages apportés par l'évaluation de Mme Christine Lazerges.
Pour moi, la sécurité de nos concitoyens et la lutte contre l'impunité sont des devoirs d'Etat. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Jean-Michel Ferrand. Ce n'est pas vrai !
M. le Premier ministre. Je pense que le Gouvernement et le législateur assument pleinement leurs responsabilités en se montrant capables d'évaluer, sur la base de l'expérience, leur propre texte pour y apporter des adaptations utiles. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Pierre Lellouche. L'évaluation est déjà faite !
M. le Premier ministre. C'est pourquoi j'approuve le dépôt d'une proposition de loi. Les ajustements devraient porter notamment sur une meilleure définition des motifs qui peuvent conduire à considérer une personne comme suspecte et à la placer en garde à vue, l'élargissement des délais dont disposeront les enquêteurs dans la garde à vue pour respecter les formalités exigées par les droits de la personne, la prise en compte, enfin, de la répétition d'actes délictueux, pour permettre le placement en détention provisoires car cette répétition sans entrave est inacceptable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Mesdames et messieurs les députés, les grands principes et les novations apportés par la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence - droit à la présence de l'avocat dès le début de la garde à vue, création d'un juge des libertés et de la détention, instauration d'un appel en matière criminelle, meilleure protection des droits des victimes - demeurent naturellement et constituent des avancées pour notre droit dont nous pouvons tous être fiers. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Données clés

Auteur : M. Jean-Marc Ayrault

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Justice

Ministère interrogé : Premier Ministre

Ministère répondant : Premier Ministre

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 10 janvier 2002

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