sécurité des biens et des personnes
Question de :
M. François Lamy
Essonne (6e circonscription) - Socialiste
Question posée en séance, et publiée le 30 janvier 2002
STATISTIQUES DE LA DÉLINQUANCE
Mme la présidente. La parole est à M. François Lamy, pour le groupe socialiste.
M. François Lamy. Monsieur le ministre de l'intérieur, les chiffres de la délinquance viennent d'être rendus publics par votre ministère. (« Question téléphonée ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance. Allô ? Allô ?
M. François Lamy. Au-delà de l'émotion qu'ils suscitent, il est indispensable, pour mieux en comprendre le sens, de s'interroger sur la réalité qu'ils recouvrent.
Le récent rapport remis au Premier ministre par deux députés, l'un de la majorité, M. Caresche, l'autre de l'opposition, M. Pandraud, met en lumière l'insuffisance scientifique d'une méthode statistique (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) essentiellement conçue à l'origine pour mesurer l'efficacité des seuls gendarmes et policiers. (Huées sur les mêmes bancs.) Ecoutez au moins ce qu'en dit M. Pandraud, mesdames, messieurs de l'opposition !
Dès lors, l'amalgame entre la hausse objective de la délinquance et l'activité des services ne peut être évité.
M. Maurice Leroy. L'amalgame, c'est vous !
M. François Lamy. Une baisse apparente de la délinquance, ou plutôt des faits constatés, peut s'expliquer par une baisse d'activité due notamment à un défaut de moyens.
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance. Cinq ans ! Cinq ans !
M. François Lamy. Inversement, plus les forces de sécurité sont opérantes, plus les chiffres augmentent. (Vives exclamations sur les mêmes bancs.)
Ainsi toutes les interprétations sont possibles, mais aucune ne repose sur un constat fiable pour rendre compte de l'ensemble de l'activité de la délinquance.
Qui plus est, aucun gouvernement n'a disposé d'un outil valable pour adapter, comme cela est nécessaire, sa politique de lutte contre l'insécurité au plus près du terrain. (Mêmes mouvements.)
Les auteurs du rapport estiment indispensable et urgente la création d'un observatoire de l'ensemble de la délinquance, scientifique, indépendant, garantissant la fiabilité des statistiques et la transparence des résultats. Cette proposition, si elle était mise en oeuvre, permettrait d'enrayer les polémiques inutiles et les surenchères politiciennes sur un dossier si sensible pour les Français. Monsieur le ministre, quelles suites comptez-vous donner à ce rapport ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Monsieur le député, nous aurons certainement l'occasion, au cours de cette séance ou à une autre, de revenir sur les chiffres publiés hier et que vous venez d'évoquer. (Exclamations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.) Je veux me réjouir en tout cas du rapport que MM. Pandraud et Caresche ont remis à l'issue de la mission que le Premier ministre leur avait confiée. J'en retire trois enseignements.
M. Laurent Dominati. Un peu de courage !
M. le ministre de l'intérieur. Premier enseignement : ce que l'on appelle la statistique de la délinquance n'est en réalité rien d'autre que l'addition d'un certain nombre de faits constatés par les services de police et de gendarmerie. Et par le fait qu'elle met sur le même plan un homicide et une tentative de vol de deux-roues, cette addition ne permet pas d'appréhender la réalité de l'insécurité vécue ou ressentie. (Exclamations sur les mêmes bancs.) Une présence accrue de policiers et un meilleur accueil des victimes se traduisent nécessairement par une hausse des faits enregistrés, au moins dans un premier temps. (Rires et exclamations sur les mêmes bancs.)
Plusieurs députés du groupe socialiste. C'est pourtant évident !
M. le ministre de l'intérieur. Deuxième enseignement : cette addition est partielle. Elle met l'accent sur certaines infractions au détriment d'autres délits tout aussi graves : ainsi, les infractions du code de la route, qui constituent pourtant une source d'insécurité non négligeable avec 7 600 morts par an, ne sont pas comptabilisées.
Autre conséquence de cette vision très parcellaire : elle en amplifie les effets. Je ne citerai qu'un exemple issu des chiffres pour l'année 2001 : les délits à la réglementation sur les professions médicales ont connu une augmentation de près de 34 % - une « déferlante », diraient certains. Mais que recouvre-t-elle en réalité ? Cinquante-deux faits supplémentaires !
Troisième enseignement : cette statistique n'est pas recoupée ni croisée avec d'autres instruments de mesure utilisés dans des pays voisins de la France, comme les enquêtes de victimation, qui permettent d'apprécier de façon plus large les faits de délinquance, ou les requêtes auto-reportées. ...
M. René Couanau. Arrêtez !
M. le ministre de l'intérieur. ... qui recueillent les déclarations des auteurs d'infractions. En fait, et cela est sans doute lourd de conséquences, elle n'est que le premier maillon d'une chaîne d'information dont une part essentielle se situe au niveau de l'institution judiciaire. Or, à l'heure actuelle, aucun rapprochement n'est réalisé entre les statistiques des ministères de l'intérieur et de la défense et celles de la justice, en dehors de quelques efforts locaux menés dans le cadre des contrats locaux de sécurité.
Je vais m'arrêter là, monsieur le député (« Bravo ! » et rires sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance), mais vous avez bien compris que, derrière votre question, se pose un problème très lourd : celui de savoir comment nous pourrons, pour éclairer nos concitoyens, disposer d'un véritable instrument mesurant la délinquance réelle, son évolution, par catégorie, de manière à lutter efficacement contre les éléments d'insécurité, contre la criminalité et la délinquance. (Protestations sur les mêmes bancs.)
Je tiens enfin à souligner la grande qualité du rapport de MM. Pandraud et Caresche ainsi de leurs propositions. (Exclamations sur les mêmes bancs.) Pour ma part, et sans réserve, je suivrai leur recommandation : la création d'un observatoire de la délinquance permettant de mesurer tous ces phénomènes avec objectivité et transparence, ce qui coupera court aux polémiques que certains s'évertuent à entretenir. (Huées sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Auteur : M. François Lamy
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Sécurité publique
Ministère interrogé : intérieur
Ministère répondant : intérieur
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 30 janvier 2002