sécurité des biens et des personnes
Question de :
M. Pierre Cardo
Yvelines (7e circonscription) - Démocratie libérale et indépendants
Question posée en séance, et publiée le 31 janvier 2002
DÉLINQUANCE DES MINEURS
M. le président. La parole est à M. Pierre Cardo pour le groupe DL.
M. Pierre Cardo. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Les chiffres de la délinquance viennent de le confirmer... (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Charles Ehrmann. Recommencez depuis le début, monsieur Cardo !
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que nous siégeons jusqu'au 21 février. Gardez votre calme et votre énergie.
Monsieur Cardo, vous avez la parole : je reconnais que c'est difficile de parler le premier !
M. Pierre Cardo. En effet, monsieur le président.
Ma question, je le répète, s'adresse à M. le Premier ministre.
Les chiffres de la délinquance viennent de le confirmer : l'insécurité dans notre pays n'est pas qu'un sentiment, c'est une réalité qui dépasse le cadre des seuls quartiers sensibles.
Vous avez déclaré hier, monsieur le Premier ministre, que c'est la société qui en est responsable. (M. le Premier ministre fait un geste de dénégation.)
Mme Odette Grzegrzulka. Et c'est vrai !
M. Pierre Cardo. Pour nous, c'est l'individu qui est le premier responsable de ses actes, et le Gouvernement est responsable de l'évolution de la société, notamment depuis cinq ans.
Pour en venir à la délinquance des mineurs, il faut reparler, même si c'est un sujet qui fâche, de l'ordonnance de 1945. Il y a sur cette question des divergences importantes entre majorité et opposition, entre vous et nous.
M. Jean-Claude Perez. Allez voir Chirac !
M. Pierre Cardo. Nous sommes pour la réforme de l'ordonnance de 1945, pas vous.
Nous sommes pour son adaptation aux évolutions actuelles, notamment face à des délinquants de plus en plus jeunes, pas vous.
Vous prônez la prévention avant tout. Nous, nous sommes pour un juste équilibre entre prévention et sanction, notion à réhabiliter si l'on souhaite responsabiliser la jeunesse. Et quand nous vous parlons de sanction, vous nous répondez qu'il existe des peines de substitution, déjà prévues par les textes.
M. François Goulard. Il a raison !
M. Pierre Cardo. Mais ces peines de substitution dont vous êtes les fervents avocats, chers collègues de la majorité, quelle est leur réalité aujourd'hui ?
Dans ma commune - mais aussi hélas ! dans bien d'autres, de droite comme de gauche - ces peines de substitution relèvent plus de l'incantation que de la réalité. En effet, ces mesures de médiation et de réparation, dont la dimension éducative n'est plus à démontrer, sont totalement inappliquées. Comment expliquer que, à Chanteloup comme ailleurs, alors que tous les partenaires - la ville, les offices d'HLM, la SNCF et bien d'autres - sont d'accord avec le procureur de la République pour accueillir des jeunes condamnés à des peines de substitution, aucune mesure de ce genre n'ait été prononcée en 2001 ?
M. le président. Monsieur Cardo, puis-je vous appeler à la concision ?
M. Pierre Cardo. Avez-vous, monsieur le Premier ministre, une vraie politique pénale éducative pour la jeunesse ?
Plusieurs députés du groupe Démocratie libérale et Indépendants. Non !
M. Pierre Cardo. Ou votre gouvernement est-il incapable de la mettre en place ?
Plusieurs députés du groupe Démocratie libérale et Indépendants. Oui !
M. Pierre Cardo. Est-ce une volonté délibérée de la justice ou est-ce votre volonté ? Gouverner ou ne pas gouverner, telle est la question. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, il me semblerait de bonne politique, pour l'ensemble de ce pays : d'abord,...
M. Bernard Accoyer. « Ce pays », c'est la France !
Mme la garde des sceaux. ... de cesser de focaliser le débat sur l'ordonnance de 1945, comme si elle n'avait pas bougé depuis cette date !
L'ordonnance de 1945, je le rappelle, a été largement rectifiée : en 1985, pour y introduire la permanence éducative ; en 1987 et 1989, pour modifier les conditions de la mise en détention et confirmer que celle-ci était possible ; en 1993, pour introduire la mesure de réparation, que vous portez à votre actif, et, en 1995 et 1996, pour permettre un jugement plus rapide des mineurs.
Nous ne refusons donc pas de toucher à ce texte. Là n'est pas la question !
M. Laurent Dominati. Mais si !
Mme la garde des sceaux. Du reste, j'ai envie de vous demander quelles nouvelles modifications de l'ordonnance de 1945 vous proposez au juste ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Voilà qui serait intéressant, car la politique n'est pas affaire de slogans mais d'efficacité.
Les dernières modifications de l'ordonnance de 1945 visaient à accélérer le jugement des mineurs et à créer les centres de placement immédiat et les centres éducatifs renforcés. Le Premier ministre le rappelait lui-même hier : non seulement nous ne prétendons pas que la société seule est responsable, mais nous disons qu'il faut reparler de la responsabilité individuelle, y compris celle des mineurs délinquants. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Jacques Godfrain. Ecoutez donc le peuple !
Mme la garde des sceaux. Vous ne proposez pas de solutions, vous ne faites que scander un slogan, et c'est ce que je vous reproche. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Je vous rappelle aussi que, contrairement à de nombreux pays européens dont la Grande-Bretagne et l'Allemagne, la France reconnaît la responsabilité pénale à n'importe quel âge. Quelles mesures devrions-nous donc envisager ? (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
En revanche, monsieur Cardo, puisque l'arsenal législatif existe, je partage avec vous l'opinion que la punition est nécessaire, et je l'ai souvent dit. C'est en effet la seule façon de rendre un enfant responsable de lui-même et d'en faire un citoyen de la République.
Il faut donc travailler plus en amont : que fera-t-on des enfants qu'on ne mettra pas en prison pour de petits faits ? Multiplions les centres éducatifs renforcés et les lieux de réparation.
Mais, monsieur Cardo, n'en faites pas un sujet à ce point polémique : l'ordonnance de 1945 avait été établie dans un certain contexte. Celui-ci n'est plus le même, mais la politique pénale existe et fournit une réponse à 80 % des délits.
M. Franck Dhersin. C'est faux !
Mme la garde des sceaux. Travaillons ensemble à être plus actifs, parce que ces jeunes délinquants sont effectivement trop nombreux, trop violents, trop jeunes, aussi, et qu'il y a un vrai travail collectif à réaliser dans les quartiers et en direction des familles. Nous n'avons jamais dit le contraire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la Démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Auteur : M. Pierre Cardo
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Sécurité publique
Ministère interrogé : justice
Ministère répondant : justice
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 31 janvier 2002