Question au Gouvernement n° 337 :
durée du travail

11e Législature

Question de : M. Henri Plagnol
Val-de-Marne (1re circonscription) - Union pour la démocratie française

Question posée en séance, et publiée le 28 janvier 1998

M. le président. La parole est à M. Henri Plagnol.
M. Henri Plagnol. Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, tout au long du débat que nous allons avoir sur les 35 heures, les Français qui nous écoutent vont se poser essentiellement la question suivante: votre projet va-t-il, oui ou non, créer des emplois ? («Oui !» sur les bancs du groupe socialiste. - «Non !» sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du groupe du Rassemblement pour la République.)
Or, à la veille du débat parlementaire, nous venons d'assister à une vaste opération de matraquage officiel pseudo-scientifique.
Mme Odette Grzegrzulka. Pas vous ! Pas ça ! Le matraquage, c'est le fait du patronat !
M. Henri Plagnol. Sur la base d'études, de prévisions économiques, financées et commandées exclusivement par les services de votre ministère, vous vous êtes cru autorisée à conclure de façon péremptoire que tous les modèles macroéconomiques aboutissaient à prévoir la création de 450 000 emplois dans un délai de trois ans.
Cette campagne de confusion a été orchestrée dans des conditions telles que deux des principaux instituts concernés - la Banque de France et l'Observatoire français des conjonctures économiques, l'OFCE - ont été amenés à prendre leurs distances en rappelant trois vérités élémentaires.
D'abord, que les conclusions de ces études ne pouvaient pas les engager puisqu'elles avaient été contrôlées entièrement par vos services. («Hou !» sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du groupe du Rassemblement pour la République.)
M. Lucien Degauchy. Bourrage de crâne !
M. Henri Plagnol. Ensuite, que les hypothèses centrales sur lesquelles se fondent ces études sont des hypothèses choisies par vos services. («Eh oui !» sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du groupe du Rassemblement pour la République.)
Enfin, que les conclusions de ces études dépendent si étroitement de ces hypothèses qu'on peut dire que les conditions de leur lancement préjugeaient du résultat. («Oh !» sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Philippe Vasseur. Manipulation !
M. Henri Plagnol. Il y a plus intéressant encore. («Ah !» sur les bancs du groupe socialiste.) Parmi les hypothèses retenues, deux sont essentielles.
La première est le paramètre de la confiance. Est-il vraiment raisonnable de postuler que cette confiance existe quand on mesure l'hostilité des employeurs ?
Le deuxième point concerne les sacrifices à consentir par les salariés. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Jean Glavany. Vous êtes la voix du CNPF !
M. Henri Plagnol. Il faut savoir, mes chers collègues, que tous les modèles postulaient que, pendant cinq années, les salariés allaient devoir accepter des hausses de salaire modérées. Et, en réalité, ce pourrait être même une baisse du salaire mensuel de 5 %. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Jean Glavany. Petit Seillière !
M. Henri Plagnol. Si ces conditions ne sont pas respectées, vous vous êtes vantés du «scénario rose». Mais les trois instituts font état d'un scénario noir qui aboutit à la destruction de plusieurs centaines de milliers d'emplois...
M. Didier Boulaud. Et pourquoi pas plusieurs millions ?
M. Henri Plagnol. ... à l'horizon de cinq ans si la confiance et la modération salariale ne sont pas respectées. («La question ?» sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
Ma question est double. («Ah !» sur les bancs du groupe socialiste.)
Est-il bien normal, mes chers collègues, que, à la veille d'un débat parlementaire, contrairement à toutes les règles de déontologie, le Gouvernement ait complaisamment diffusé des études dont la scientificité est douteuse pour accréditer ses thèses ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Jean Glavany. Et les études du CNPF, elles sont scientifiques ?
M. Henri Plagnol. Ma deuxième question est beaucoup plus fondamentale. Confirmez-vous, madame le ministre, les hypothèses transmises par vos services selon lesquelles les salariés vont devoir, pendant cinq ans, accepter des sacrifices, faute de quoi, selon les modèles macro-économiques mêmes auxquels vous vous êtes référée, votre projet, bien loin de créer des emplois, va en détruire ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Rassemblement pour la République. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, nous allons débattre très longuement, de tout cela. J'espère, monsieur le député, que vous serez présent à nos débats. Car je me suis déjà expliquée devant les commissions et je ne vous y ai pas vu. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
Je reviens très rapidement sur la question que vous avez posée.
Il vaut mieux, vous en conviendrez, mesdames, messieurs les députés, faire des études avant de prendre des décisions que de se rendre compte après que l'on s'est trompé. C'est ce que nous avons fait. (Applaudissements, sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
J'aurais d'ailleurs aimé que de telles études soient réalisées avant que vous ne décidiez, messieurs de l'ancienne majorité, la ristourne dégressive qui coûte aujourd'hui 40 milliards à notre pays et qui n'a abouti qu'à la création de 40 000 ou 45 000 emplois par an environ.
M. Philippe Auberger. C'est faux !
Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité. Le coût est très élevé par rapport à la création d'emplois. (Protestations sur les bancs et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
Le directeur de l'OFCE a lui-même indiqué que le travail réalisé était remarquable de rigueur et d'intérêt...
M. Philippe Auberger. Oui, mais ce ne sont pas ses hypothèses !
Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité. ... car il éclairait les conditions strictes qui peuvent conduire à l'échec ou au succès du partage du travail. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité. Deuxièmement, trouvez-vous étonnant que nous commandions des études en demandant que soient prises en compte les hypothèses du projet de loi, c'est-à-dire le champ du projet de loi,...
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française. Oui !
Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité. ... à savoir la distinction entre les entreprises de plus de vingt salariés et celles de moins de vingt salariés et, par là même, le mécanisme d'incitation que nous mettons en place ?
M. Philippe Auberger. Non-sens !
Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité. A quoi aurait servi que nous fassions faire des calculs sur un autre dispositif ? C'est sur la base du projet de loi que les organismes ont fait des hypothèses économiques - des hypothèses intéressantes sur les gains de productivité et sur la modération salariale qui sera nécessaire - et ont conclu. Les chiffres qu'ils nous ont fournis éclairent un peu plus un débat complexe et difficile et nous permettent de savoir dans quelles conditions économiques et sociales la réduction de la durée du travail peut nous permettre de créer le maximum d'emplois.
Ces chiffres, monsieur le député, - je l'ai dit en commission, je le répète - ne sont pas des pronostics. Ce sont simplement les hypothèses que nous donnent la Banque de France et l'OFCE de créations d'emplois dans diverses conjonctures économiques.
L'hypothèse maximale est de 450 000 emplois pour les entreprises de plus de vingt salariés...
M. Philippe Auberger. Ce n'est pas ce que dit M. Strauss-Kahn.
Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité. ... et de 700 000 emplois pour l'ensemble du champ.
M. Bernard Accoyer. Et les destructions d'emplois ?
Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité. Ce que je souhaite, c'est que les hypothèses qui font état du maximum d'emplois incitent les chefs d'entreprise à réorganiser le travail, les salariés et les organisations syndicales à se mettre autour d'une table pour négocier pour que la réduction de la durée du travail crée effectivement le maximum d'emplois dans notre société.
Faire en sorte d'être éclairés avant un débat aussi important et d'éclairer les acteurs de terrain afin que les conditions soient les meilleures possible pour le plus d'emplois possible, c'est ce que l'on appelle la démocratie, du moins dans la majorité. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du groupe du Rassemblement pour la République.)

Données clés

Auteur : M. Henri Plagnol

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Travail

Ministère interrogé : emploi et solidarité

Ministère répondant : emploi et solidarité

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 28 janvier 1998

partager