politique de l'énergie
Question de :
M. Franck Borotra
Yvelines (2e circonscription) - Rassemblement pour la République
Question posée en séance, et publiée le 4 février 1998
M. le président. La parole est à M. Franck Borotra.
M. Franck Borotra. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
J'ai écouté la réponse de M. Strauss-Kahn concernant les déchets nucléaires...
M. Jean Glavany. Très bonne réponse !
M. Franck Borotra. ... et je trouve qu'elle n'est pas exempte d'ambiguïtés. («Ah !» sur les bancs du groupe socialiste.)
En 1973, la France a engagé un effort de construction de son outil électronucléaire, qui a permis la construction de 56 tranches nucléaires pour un coût de 1 000 milliards de francs et grâce auquel, au-delà de l'effet de serre, notre pays produit aujourd'hui de l'électricité dont le coût est le plus bas de tous les pays industrialisés, à l'exception de ceux qui disposent de ressources énergétiques. Cela a été rendu possible par la continuité de la politique nucléaire civile de la France.
M. Robert Galley. Très bien !
M. Didier Chouat. Cela a été rendu possible surtout grâce au service public !
M. Franck Borotra. En 1991, l'Assemblée a voté à l'unanimité une loi faisant obligation au Gouvernement, d'une part, de laisser ouverte les trois voies de recherches possibles et, d'autre part, de rendre compte, chaque année, à l'Assemblée nationale.
Pour la première fois et de manière partielle, vous avez rompu avec la continuité de la politique nucléaire civile de la France en décidant de fermer Superphénix. Vous l'avez fait non pour des raisons scientifiques, puisque Superphénix est cinq ou six fois plus performant que ne l'est Phénix. (Exclamations sur quelques bancs du groupe socialiste.) Vous ne l'avez pas non plus fait pour des raisons de sûreté («Ce réacteur ne marche pas !» sur plusieurs bancs du groupe socialiste), puisque Superphénix possède les mêmes caractéristiques en matière de sûreté nucléaire que toutes les autres tranches de production nucléaire d'électricité.
M. Arnaud Lepercq. C'est vrai !
M. Franck Borotra. Vous ne l'avez pas davantage fait pour des raisons économiques, puisque le prix de l'investissement est maintenant derrière nous et que la production d'électricité permet aujourd'hui de couvrir les frais de fonctionnement. Vous avez fermé Superphénix pour des raisons politiques (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française), c'est-à-dire pour faire une concession à l'une des composantes de votre majorité plurielle !
M. Bernard Accoyer. En effet, et c'est honteux !
M. Franck Borotra. De plus, monsieur le Premier ministre, vous avez assorti cette décision d'une ambiguïté avec l'annonce du redémarrage de Phénix.
Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, vous avez eu raison d'indiquer que l'autorisation de ce redémarrage avait été donnée. Mais il faut ajouter, afin que l'Assemblée soit éclairée, que, pour la première fois, cette autorisation a été donnée, non à l'unanimité, mais à la majorité et contre l'avis des experts de l'Institut de protection et de sûreté nucléaire, l'IPSN.
M. Robert Galley. Et de ceux de la CRII-RAD !
M. Thierry Mariani. Ce qui est scandaleux !
M. Franck Borotra. Il faut savoir que Phénix est un outil dépassé, obsolète, non adapté aux risques sismiques et qui, de plus, connaît, on le sait, des problèmes de fonctionnement liés en particulier à des sauts de réactivité.
Vous avez donné l'impression de maintenir ouverte la voie de la transmutation, en fermant d'un côté Superphénix et en annonçant de l'autre le redémarrage de Phénix, dont tout le monde scientifique sait qu'il ne fonctionnera que quelques semaines ou quelques mois ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Arnaud Lepercq. Parce qu'il n'y connaît rien !
M. Franck Borotra. J'ajoute que vous avez créé une autre ambiguïté en ne prenant pas la décision qui s'impose concernant la création des deux laboratoires souterrains qui pourraient, le moment venu, ouvrir, de manière réversible ou irréversible, la voie au stockage en profondeur. («La question !» sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
Ma question est simple.(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
Un député du groupe du Rassemblement pour la République. C'est le Gouvernement qui ne l'est pas !
M. Franck Borotra. Parce qu'il s'agit de la loi...
M. Arnaud Lepercq. D'une loi bafouée !
M. Franck Borotra. ... dans son esprit et dans sa lettre; parce qu'il s'agit de la transparence - certes, dans le passé, des libertés ont peut-être été prises par rapport à cette nécessité, mais, aujourd'hui, il y a une aspiration croissante à la transparence; ...
De nombreux députés du groupe socialiste. La question ! La question !
M. Franck Borotra. ... parce qu'il y va de l'intérêt à moyen et long terme de notre pays dans la production d'électricité, je vous demande solennellement, monsieur le Premier ministre, de saisir le Parlement, d'y provoquer un débat...
M. Arnaud Lepercq. Très bien !
M. Franck Borotra. ... et de soumettre à son vote les orientations de politique énergétique et de politique nucléaire que vous avez choisies. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
Plusieurs députés du groupe socialiste. La question !
M. Franck Borotra. Agissant ainsi vous respecterez la loi et la volonté populaire. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
M. Arnaud Lepercq. Et la démocratie ! Mais de toute façon ils ont peur du peuple !
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. («Non ! Voynet ! Voynet !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
Allons, mes chers collègues ! Nous ne sommes pas dans un monôme ! (Sourires.)
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le député, vous posez des questions, mais les réponses ne vous intéressent guère. Vous vous intéressez davantage à vos propres propos qu'aux réponses du Gouvernement ! Alors, si vous me permettez de vous répondre, ...
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. Mais ce n'est pas à vous de répondre !
M. Arnaud Lepercq. Un débat ! Un vote !
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... je voudrais vous fournir plusieurs éléments. D'abord, il ne faut pas aller trop loin en invoquant l'expression de la volonté populaire car elle s'est exprimée il y a huit mois, ce qui n'est pas si lointain (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française)...
M. Arnaud Lepercq. La volonté populaire est ici !
M. Jean-Louis Debré. Les choses changent ! Il y a près de moi une collègue nouvellement élue !
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... et je vois mal comment vous pourriez la remettre en cause. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Vous me direz, parce que vous êtes taquin, qu'elle n'aurait pas dû s'exprimer il y a huit mois mais seulement dans un mois. Ce n'est pas nous qui avons fait ce choix...
Mme Odette Grzegrzulka. Très bien !
M. Arnaud Lepercq. Nous sommes les représentants du peuple, cela vous ennuies !
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Sur le fond, des laboratoires de recherche seront installés pour que la recherche soit effective. La décision sera prise dans quelques semaines, disons avant l'été.
M. Thierry Mariani et M. Louis de Broissia. Après les régionales !
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il reste des points techniques à régler.
M. Pierre Lellouche. Après les élections !
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Messieurs, vous avez peut-être le sentiment que ces questions sont simples. Si elles étaient si simples, vous auriez certainement trouvé le temps d'y répondre entre 1993 et 1997.
Mme Odette Grzegrzulka. Très bien !
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Quelques semaines de retard ne changeront pas grand-chose. Je le dis clairement, les laboratoires seront mis en place, comme la loi le prescrit.
M. Jean-Louis Debré. Qu'en pense Voynet ?
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Pour autant, le choix des sites dépend d'éléments qui ne sont pas encore connus. Ils ne le seront que dans quelques semaines.
M. Pierre Lellouche. Après les élections !
M. Jean-Louis Debré. Qu'en pense Voynet ? A moins qu'elle ne pense plus ?
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Mais la majeure partie de la question portait sur Superphénix. Je comprends mal votre argumentation, monsieur le député. Vous dites qu'on ne peut pas faire de recherche sur la transmutation avec Phénix, que seule Superphénix le permet.
M. Franck Borotra. Vous fermez la centrale !
M. Jean-Louis Debré. Ce n'est pas son domaine, c'est celui de Mme Voynet !
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est bien votre raisonnement, n'est-ce pas ? Pourtant, quand la loi de 1991 a été votée - j'en ai quelque souvenir puisque je l'ai faite adopter, vous l'avez rappelé, à l'unanimité, par le Parlement...
M. Arnaud Lepercq. Avec M. Bataille !
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Le rapporteur était M. Bataille, en effet. (Applaudissements sur divers bancs.)
Quand la loi de 1991 a été votée, monsieur Borotra, personne n'envisageait d'utiliser à des fins de recherche Superphénix qui devait produire de l'électricité.
M. Jean-Yves Le Déaut. Tout à fait !
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Personne dans le débat n'avait avancé l'idée qu'on puisse utiliser Superphénix autrement. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.) La recherche sur la transmutation avait été dévolue à Phénix !
Vous en appelez à la loi et c'est justement à la loi que nous revenons. C'est Phénix qui servira aux recherches sur la transmutation. En outre, un autre réacteur à refroidissement par eau, dit réacteur Jules Horowicz, sera aussi utilisé s'il est prêt dans les délais - mais je pense que ce sera le cas - pour cette même recherche.
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. Voynet est d'accord ?
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. En tout état de cause, vous ne pouvez aucunement prétendre devant le pays que Superphénix était destinée à la recherche quand, en 1991, vous-même avez voté le texte que je vous proposais, qui ne le prévoyait pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
M. André Santini. A quand le débat ?
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Maintenant, vous proposez un débat. («Oui !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.) Le Gouvernement y est toujours prêt. («Ah !» sur les mêmes bancs.)
Ce débat, nous l'avons déjà eu dans le cadre de la présentation du budget du ministère de l'énergie. («Non !» sur les mêmes bancs.) Vous avez tous eu le loisir de vous exprimer sur cette question. («Non !» sur les mêmes bancs.)
Nous l'aurons à nouveau dans ce cadre-là et si des mesures législatives sont de nouveau proposées sur la transparence ou la mise en place d'une entité indépendante.
M. Yves Nicolin. Avant les régionales ?
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Lorsque vous aurez exprimé votre opinion, comme vous le faites aujourd'hui, l'Assemblée décidera ce qu'il doit en être en matière d'autorité indépendante. Pour l'instant, nous n'avons pas l'intention de revenir sur la loi de 1991, même si vous le souhaitez. Nous l'appliquerons telle qu'elle est. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste.)
Auteur : M. Franck Borotra
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Énergie et carburants
Ministère interrogé : économie
Ministère répondant : économie
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 4 février 1998