Question au Gouvernement n° 387 :
Corse

11e Législature

Question de : M. Jean-Marc Ayrault
Loire-Atlantique (3e circonscription) - Socialiste

Question posée en séance, et publiée le 11 février 1998

M. le président. Pour le groupe socialiste, la parole est à M. Jean-Marc Ayrault.
M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, vendredi soir, les députés réunis à l'Assemblée nationale pour terminer l'examen du projet de loi sur les 35 heures n'osaient pas croire à cette information. Pourtant, il a fallu se rendre à l'évidence: le préfet de Corse, le préfet Claude Erignac, venait d'être assassiné en pleine rue d'Ajaccio. La stupeur et l'émotion se lisaient sur les visages. Chacun pensait au drame de Mme Erignac et de sa famille. En même temps, chacun mesurait la gravité de cet acte qui, visant le plus haut représentant de l'Etat en Corse, atteignait la République.
Il est temps, grand temps que la loi de la République soit pleinement respectée en Corse. C'est à l'Etat d'y veiller, mais aussi à chaque citoyen d'y contribuer. Assez des cagoules et des armes ! Assez du racket et des règlements de comptes ! Assez des négociations secrètes et des trêves hypocrites ! Dans ses profondeurs, le peuple corse souffre. Il en a assez de la caricature violente et mafieuse que donnent de lui les prétendus nationalistes qui ne cherchent qu'à imposer leur loi, celle du silence et du racket, la loi des trafics en tous genres et du crime.
L'acte odieux et lâche dont a été victime Claude Erignac, ce grand serviteur de l'Etat, doit provoquer un véritable sursaut et permettre aux Corses eux-mêmes d'entrer en résistance pour que commence une ère nouvelle pour la Corse.
Pour leur part, les membres du groupe socialiste voteront la proposition de notre collègue Roger Franzoni de créer une commission d'enquête sur l'utilisation des fonds publics en Corse. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Mais l'Etat doit mobiliser tous ses moyens pour que la loi en Corse soit vraiment la loi de la République.
Quels moyens exceptionnels entendez-vous mettre en oeuvre, monsieur le Premier ministre, et dans la plus grande clarté, pour que la paix civile et l'espoir reviennent en Corse ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert, et sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le président de l'Assemblée nationale, mesdames et messieurs les députés, l'assassinat du préfet Claude Erignac est un acte d'une extrême gravité. Il bouleverse les consciences car, par ce meurtre, ce n'est pas seulement l'Etat qui est atteint, mais ce sont tous les citoyens de la République.
Chacun, depuis deux jours, dans notre pays, a exprimé son indignation et sa révolte.
Avec le ministre de l'intérieur, je me suis rendu dans l'île dès samedi matin pour m'incliner devant la dépouille du préfet Erignac, saluer sa femme et ses enfants, donner immédiatement l'impulsion aux enquêtes, affirmer la détermination absolue de l'Etat.
Hier, le Président de la République, accompagné de membres de mon gouvernement et de moi-même, avec, à son côté, le président de l'Assemblée nationale, a rendu, au nom de la France tout entière, l'hommage qui était dû à Claude Erignac.
Aujourd'hui, dans cette assemblée, le témoignage de l'ensemble des représentants des groupes qui se sont exprimés a, de nouveau, dit avec force ce que nous ressentons tous.
Je souhaite adresser une pensée toute particulière à tous les agents de l'Etat qui exercent leur mission en Corse. J'ai pu mesurer dès samedi, et encore hier, leur peine et parfois leur désarroi. Qu'ils soient assurés de mon soutien et de celui de tout le Gouvernement.
Nous devons penser aussi à tous ceux qui, dans l'île, depuis des années, ont été victimes de la violence qui s'est développée dans les deux départements, à la souffrance de leurs familles et de leurs proches.
Nous ne pouvons accepter cette violence ! Elle doit cesser !
La sécurité est un droit, pour ceux qui vivent en Corse comme pour tous les autres citoyens de notre pays.
Les coupables de cet assassinat sont recherchés. Ils seront arrêtés, démasqués et traduits davant leurs juges. Dans ce but, une série d'interpellations a déjà été opérée et les investigations vont continuer de façon systématique. Le ministre de l'intérieur y veillera avec la volonté qu'on lui connaît.
Le Gouvernement est déterminé à engager tous les moyens nécessaires pour assurer le respect de la loi en Corse, comme partout sur le territoire national. Il appuiera bien sûr les initiatives que pourraient prendre les parlementaires dans ce sens.
L'intention du Gouvernement n'est pas de poser, pour la énième fois, la «question corse». Sa volonté est d'établir l'Etat de droit, d'en faire respecter les règles partout, pour tous et jusqu'au bout. (Applaudissements sur tous les bancs.)
Tous les services de l'Etat - justice, police, gendarmerie, services fiscaux ou agricoles, d'urbanisme ou d'équipement, et les autres services publics - travailleront en ce sens. Ils accompliront, avec une concertation renforcée, leur mission d'une manière méthodique, systématique et déterminée. Cela suppose sans doute des mesures immédiates, et les premières ont été prises. Mais cette action, mesdames et messieurs les députés, soyons-en convaincus, doit surtout être conduite dans la durée jusqu'au respect complet de la loi républicaine. Car c'est là que réside la solution.
Dans l'immédiat et pour diriger sur place l'action résolue de l'Etat, le successeur du préfet Claude Erignac sera nommé demain en conseil des ministres. Il sera en Corse avant la fin de la semaine.
Je voudrais maintenant m'adresser à ceux de nos concitoyens qui vivent en Corse. Quels que soient la volonté et les efforts engagés par l'Etat, rien ne sera possible sans eux. L'Etat va prendre ses responsabilités, et il les prendra, je l'ai dit, dans la durée. Je sais que cela suscitera des résistances et des réactions - nous devons tous y être prêts.
J'attends donc en premier lieu des élus de la Corse, notamment de ceux qui seront élus à l'issue des prochaines élections cantonales et régionales, qu'ils soutiennent cette démarche de la façon la plus claire. Je sais que j'aurai l'appui de l'ensemble des parlementaires des deux assemblées.
La loi républicaine n'est pas une contrainte venue d'ailleurs, qu'une force publique extérieure viendrait imposer: elle est l'expression de la volonté générale à laquelle doivent contribuer tous ceux qui vivent en Corse. C'est la loi commune à tous les citoyens de la République et elle doit être appliquée partout. Sans respect de la loi par l'ensemble de la population, il n'y a pas de développement économique possible. Il n'est pas dans l'histoire de progrès économique et social qui s'accomplisse dans l'incertitude et la violence. Or nous voulons le développement de la Corse.
C'est la Corse tout entière qui doit opposer la paix publique aux violences et aux crimes. Ce sont les élus de Corse et la population de Corse qui doivent s'associer aux actions menées par l'Etat pour faire respecter la loi républicaine.
La Corse est à juste titre fière de sa langue, de sa culture, de son histoire, de son identité. Mais nous savons que c'est dans la paix civile, dans le respect du droit, dans le dialogue démocratique qu'elle peut les épanouir, et qu'elle le fera, dans la République. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Données clés

Auteur : M. Jean-Marc Ayrault

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Collectivités territoriales

Ministère interrogé : Premier Ministre

Ministère répondant : Premier Ministre

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 11 février 1998

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