commerce international
Question de :
M. Christian Cuvilliez
Seine-Maritime (11e circonscription) - Communiste
Question posée en séance, et publiée le 26 février 1998
M. le président. La parole est à M. Christian Cuvilliez.
M. Christian Cuvilliez. Ma question s'adresse au ministre de l'économie et des finances.
A mesure que sont révélés les termes et les objectifs du projet d'accord multilatéral sur les investissements, l'inquiétude et la réprobation grandissent. Ce projet, s'il était ratifié, permettrait aux firmes transnationales et aux investisseurs de s'installer n'importe où dans le monde, en balayant les législations nationales. Il mettrait en péril tous les secteurs de notre économie, notre système de protection sociale, et nos institutions.
Mis en place, il signifierait, par exemple, la remise en cause des aides à l'emploi, des 35 heures, des services publics, du droit de grève. Tous les droits seraient octroyés aux investisseurs. Il ne s'agirait donc pas seulement d'une attaque contre l'exception culturelle - attaque condamnée de toutes parts, notamment à l'Odéon le 16 février dernier, et ici même. Il ne s'agirait pas non plus d'un simple accord de non-discrimination commerciale, mais, dans le droit fil du GATT et de l'Organisation mondiale du commerce, de la mise en place d'un pouvoir économique et financier supranational et supra-européen, de la mise sous le boisseau des souverainetés nationales et de l'exercice du suffrage universel.
Le groupe communiste vous demande donc, monsieur le ministre de renoncer à signer un tel engagement, de ne conclure aucune négociation sans un débat préalable au Parlement et dans le pays. Il vous demande de suggérer à nos partenaires internationaux et, en premier lieu, à ceux de l'Union européenne, de refuser l'AMI. Ensemble, nous devons rechercher des solutions alternatives intégrant la dimension sociale et la participation citoyenne comme fin et comme moyens de l'activité économique planétaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je vous remercie, monsieur le député, de me donner à nouveau l'occasion de m'exprimer sur un sujet dont, en effet, il a été beaucoup débattu au cours de ces trois dernières semaines.
Comme le Premier ministre et moi-même avons déjà eu l'occasion de le dire cet accord ne saurait exister, pour la France, s'il ne respectait pas quatre conditions que je vous rappelle brièvement.
Premièrement, vous y avez fait allusion, tout accord devrait respecter ce que nous avons appelé l'exception culturelle, que nous avons réussi à mettre en oeuvre dans d'autres accords internationaux - je pense, notamment, aux décisions de Marrakech.
Deuxièmement, il ne saurait y avoir d'accord si, d'une quelconque manière, il devait légitimer les législations extra-territoriales. Il s'agit de législations américaines que les Américains voudraient imposer à l'extérieur de leur propre pays, visant notamment Cuba et l'Iran. C'est pour nous tout à fait inadmissible et nous ne signerons aucun accord qui légitimerait cela.
Troisièmement, il ne faudrait pas que cet accord permette à une entreprise d'organiser une sorte de concurrence sociale, fiscale ou environnementale, en exerçant sur un Etat une sorte de chantage: «Si vous ne me donnez pas ce que je cherche, je vais ailleurs». La France non seulement n'acceptera pas un accord qui rendrait possible un chantage aussi inadmissible mais elle le combattra.
Enfin, quatrième condition, un accord ne pourrait être possible que s'il sauvegardait la possibilité d'intégration européenne, s'il continuait à permettre à l'Europe de faire la distinction entre les entreprises européennes et les autres.
La dernière réunion, qui s'est tenue les 16 et 17 février derniers, ne laisse pas penser que nous puissions avancer. La prochaine, qui doit se tenir au niveau des ministres en avril, ne pourra pas conclure non plus, tant les divergences sont fortes et tant nos exigences sont affirmées. Soyons donc bien clairs là-dessus.
Si un accord pouvait être obtenu sur d'autres bases, indiquant notamment qu'il est interdit à une entreprise d'exercer le chantage dont je parlais, on pourrait y trouver quelque avantage. Mais nous en sommes très loin.
Soyez rassuré, monsieur le député, le Gouvernement n'a nullement l'intention de s'engager dans un accord international qui limiterait son pouvoir, ou celui du Parlement, de définir nos règles sociales, fiscales et environnementales ou qui, d'une quelconque manière, permettrait à une entreprise étrangère de contester, au nom de cet accord, notre propre législation.
Plusieurs députés du groupe socialiste. Très bien !
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous sommes donc bien d'accord avec vos remarques. En tout état de cause, si cette négociation devait continuer à avancer, je serais à la disposition du Parlement pour venir en débattre avec lui. Pour le moment, les positions des partenaires sont à ce point différentes que, très probablement, au mois d'avril, il n'y aura pas d'accord. Nous aurons donc l'occasion d'en reparler, si vous le souhaitez. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Auteur : M. Christian Cuvilliez
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Relations internationales
Ministère interrogé : économie
Ministère répondant : économie
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 26 février 1998