droit du travail
Question de :
M. Alain Tourret
Calvados (6e circonscription) - Radical, Citoyen et Vert
Question posée en séance, et publiée le 1er avril 1998
M. le président. La parole est à M. Alain Tourret.
M. Alain Tourret. Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.
Nous assistons depuis plusieurs mois à de nombreuses dénonciations de conventions collectives par les fédérations d'employeurs.
M. Charles Cova. Ce n'est que justice !
M. Alain Tourret. Je citerai à titre d'exemple, et de manière non limitative, la convention collective des jeux, la convention collective du sucre, convention collective du personnel des centres anticancéreux, ...
M. Lucien Degauchy. Bien fait !
M. Alain Tourret. ... la convention collective du Commissariat à l'énergie atomique, la convention collective de la banque, la convention collective des grands magasins et magasins populaires.
M. Lucien Degauchy. Tant mieux !
M. Alain Tourret. Rien, en l'espèce, n'est innocent. Il est évident que le patronat a décidé d'utiliser l'arme de la dénonciation des conventions collectives à des fins politiques: il sanctionne les salariés pour exprimer son opposition frontale à la loi sur la réduction du temps de travail.
M. Michel Bouvard. Ridicule !
M. Alain Tourret. Il s'agit d'un véritable détournement de la loi. C'est pourquoi le groupe RCV a donc déposé un amendement dans le cadre de la loi sur la réduction du temps de travail tendant à prolonger les effets des conventions collectives, même dénoncées, au-delà des quinze mois actuellement prévus par la loi - trois mois pour le préavis, douze mois pour la continuation - et ce jusqu'à la ratification d'une nouvelle convention collective.
Madame le ministre, le Gouvernement va-t-il accepter de telles dénonciations des contrats collectifs, contrats qui sont la base même de nos rapports sociaux ?
Va-t-il accepter la remise en cause d'avantages obtenus par les salariés, avantages acquis existant depuis plusieurs décennies ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le député, ces dernières semaines, nous avons en effet appris la dénonciation d'un certain nombre de conventions collectives. Pour certaines d'entre elles - je pense par exemple à l'AFB -, cette dénonciation était attendue depuis cinq ans, cette convention collective, qui date d'avant la guerre, nécessitant sans doute une certaine modernisation. M. Freyche, président de l'AFB, a lui-même indiqué que cette dénonciation n'avait rien à voir avec les 35 heures. Nous n'avons donc pas intérêt à mélanger les choses.
En ce qui concerne les magasins de centre-ville, une convention, qui date pour certains dispositifs de 1937, pose le problème de l'organisation du temps de travail et notamment d'une moins grande précarité des travailleurs à temps partiel. Je me réjouirai si cette renégociation permet de remettre en cause certaines pratiques: le travail à temps partiel étant trop souvent subi et non pas, comme nous le souhaitons tous, choisi.
Il n'existe pas de lien direct entre les 35 heures et les conventions collectives, tant il est vrai - et c'est peut-être regrettable - qu'en France les conventions collectives ne définissent pas, à quelques exceptions près, la durée réelle du travail et moins encore les salaires réels.
Il ne faudrait pas que l'arbre cache la forêt. Les conventions collectives dénoncées ou sur le point de l'être, comme celle du sucre, concernent moins de 2 % des salariés français. C'est trop, j'en suis d'accord, mais c'est oublier que chaque année, et actuellement encore, des conventions collectives sont modernisées, des branches engagent des négociations sur les 35 heures. Il est exact, monsieur le député, qu'une fois dénoncées ces conventions collectives s'appliquent encore pendant quinze mois.
Je souhaite vivement que la dénonciation des conventions collectives, quelles qu'en soient les raisons, ne devienne pas le mode normal de négociation dans notre pays. Le patronat y verrait d'ailleurs un risque majeur: celui que beaucoup de salariés se retournent contre les entreprises au moment où celles-ci ont besoin de leur confiance, alors que la croissance reprend.
Pour ma part, j'ai noté un changement de ton dans la déclaration de M. Seillière ce matin: «Jamais, a-t-il dit, le CNPF n'a appelé les fédérations patronales à dénoncer les conventions collectives. Dans le contexte des 35 heures, cette attitude n'est absolument pas la nôtre, même si les 35 heures peuvent amener à se poser la question de revoir certaines dispositions.» J'espère qu'il sera entendu. Croyez bien que mon ministère fera en sorte, notamment par la nomination de présidents de commissions mixtes ou de médiateurs lorsque cela sera nécessaire, que le fil de la négociation soit repris pour éviter le vide conventionnel. Si tel devait être le cas, la question que vous posez mériterait effectivement d'être examinée. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe radical, Citoyen et vert.)
Auteur : M. Alain Tourret
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Travail
Ministère interrogé : emploi et solidarité
Ministère répondant : emploi et solidarité
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 1er avril 1998