Question au Gouvernement n° 519 :
immigration

11e Législature

Question de : M. François Huwart
Eure-et-Loir (3e circonscription) - Radical, Citoyen et Vert

Question posée en séance, et publiée le 9 avril 1998

M. le président. La parole est à M. François Huwart.
M. François Huwart. Monsieur le Premier ministre, le Gouvernement mène depuis juin 1997 une politique équilibrée en matière d'immigration, alliant générosité et fermeté (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française. - Applaudissements sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe socialiste), politique dont le fondement doit être en effet l'esprit d'intégration républicaine, et qui apparaît la seule possible dans le monde tel qu'il est.
Pour autant, des associations de défense des immigrés ou d'intellectuels contestent aujourd'hui l'équilibre de cette politique courageuse. Ainsi s'installe un malentendu que nous souhaitons voir dissiper.
Monsieur le Premier ministre, pourriez-vous formuler de nouveau devant la représentation nationale les grands axes et les grands principes de la politique du Gouvernement en matière d'immigration, d'intégration et de droit d'asile ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Je vous remercie de vos compliments, monsieur le député (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française), parce que, ces temps derniers, j'ai plutôt entendu des critiques.
M. Thierry Mariani. Question téléphonée !
M. le Premier ministre. Puisque le ministre de l'intérieur vient de s'exprimer à l'instant sur le sujet, il ne m'est donc pas nécessaire d'entrer moi-même dans le détail des mesures que nous avons prises. Toutefois, je voudrais, après M. Chevènement, parce que je pense que cela peut être utile et parce que vous m'avez interrogé, rappeler le sens de ce que nous faisons.
Durant la campagne des élections législatives, nous avons pris devant les Françaises et les Français des engagements clairs, et moi en particulier.
M. François Vannson. Ils ne pensaient pas gagner !
M. le Premier ministre. Ces engagements sont les suivants.
Conduire une politique de régulation des flux migratoires à la fois réaliste et humaine, qui prenne en compte les intérêts de la nation et respecte la dignité des personnes humaines (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Combattre sans défaillance l'immigration clandestine et le travail irrégulier;
Quelques députés du groupe socialiste. Bravo !
M. le Premier ministre. Supprimer ce qui dans la législation précédente, appelée souvent lois Pasqua-Debré, heurtait inutilement les droits de la personne, notamment le droit de vivre en famille (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste. - Protestations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française);
Régulariser selon des critères précis, définis, et qui résultaient d'ailleurs de ceux qu'avaient suggérés les membres de la Commission consultative des droits de l'homme, dont je rappelle qu'elle est placée auprès du Premier ministre et qu'elle s'était exprimée alors que le poste de Premier ministre était encore occupé par mon prédécesseur;
M. Jean-Christophe Cambadelis. Très juste !
M. le Premier ministre. Enfin, dire à ceux qui ne peuvent être régularisés qu'ils doivent repartir dans leur pays, qu'ils ont vocation à être reconduits à leurs frontières. (Mêmes mouvements.) C'est simplement le respect du droit international et je dirais même du droit des gens.
C'est très exactement cette politique, qui se complète d'une volonté d'intégration des étrangers en situation régulière qui vivent dans notre pays, que nous avons définie, que vous avez votée - la lecture définitive du texte sur les étrangers aura lieu cet après-midi ou ce soir - et que nous appliquons.
Je ne connais aucune formation politique représentée sur ces bancs qui ait préconisé l'entrée sans règles d'étrangers sur notre territoire («Si, vous !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République) et qui ait voulu qu'aucun étranger en situation irrégulière ne puisse être reconduit dans son pays. (Mêmes mouvements.)
Peut-on avoir ce débat ? («Non !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
M. le président. Un peu de silence, chers collègues, je vous prie !
M. le Premier ministre. Il serait d'ailleurs inconséquent, politiquement et intellectuellement, d'adopter une telle politique.
De même qu'il serait inconséquent de travailler pendant des mois avec les services du ministre de l'intérieur, en s'inspirant de critères définis par la Commission consultative des droits de l'homme, en étant au contact des associations, en faisant recevoir les immigrés par les préfets, en retenant comme critères de régularisation des étrangers des critères jugés normaux, et, en même temps, de reconnaître le droit de ne pas être reconduit à la frontière à tout étranger qui ne veut pas quitter le territoire national alors qu'il y est en situation irrégulière ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe communiste. - Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.) Je précise d'ailleurs que ces étrangers en situation irrégulière sont le plus souvent des célibataires qui se trouvent depuis relativement peu de temps sur notre territoire national.
Une telle politique n'aurait pas de sens et ce n'est donc pas celle que nous conduisons.
M. Charles Cova. C'est la méthode Coué !
M. le Premier ministre. Et je tiens à dire très clairement, à l'attention de tous ici, qu'une politique pour un pays, ce n'est pas simplement quelque chose qu'il faut définir. Quand on est au Gouvernement, une politique, c'est aussi quelque chose qu'il faut appliquer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe communiste.)
En tout cas, je me suis toujours efforcé, sans doute avec des succès inégaux, d'introduire dans mon action politique de la cohérence intellectuelle et politique. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues.
M. le Premier ministre. Cette exigence du respect de la loi, elle doit être encore plus forte pour ceux qui la font pour ceux qui sont les législateurs dans ce pays. Sinon, comment pourrions-nous rétablir dans l'esprit de nos concitoyennes et de nos concitoyens, notamment ceux qui ont perdu leurs repères, qui sont troublés dans leur vie quotidienne, qui cherchent des références, que nous sommes dans un Etat de droit, que la société est soumise à des règles et que celles-ci doivent être respectées ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe communiste.)
Pour respecter justement la dignité des personnes, nous nous sommes efforcés de reconduire dignement, sur des avions de ligne,...
M. Thierry Mariani. Grotesque !
M. le Premier ministre. ... au vu de tous, par tout petits groupes, des hommes et des femmes qui n'ont pas vocation à rester sur notre territoire, parce qu'ils sont en situation irrégulière,
Je pense que ce ne peut pas être aux personnes qui vont être reconduites à la frontière, une fois que les voies de droit ont été légitimement utilisées, de décider à notre place s'ils partiront ou non ! Sinon, il n'y a plus d'Etat, et il n'y a même plus d'Etat de droit ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
Non, responsables sont ceux qui les incitent, spectaculairement et sur les lieux mêmes du départ, à refuser de partir.
Mme Odette Grzegrzulka. Exactement !
M. le Premier ministre. Quand je dis cela, je ne pense pas aux associations dont la vocation est d'être légitimement aux côtés des travailleurs immigrés, y compris les travailleurs sans papiers, pour défendre leurs droits - mais leurs droits au regard de la loi, pas contre la loi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. Jean-Pierre Brard. Très bien !
M. le Premier ministre. Pour finir, mesdames, messieurs les députés, je préciserai que le Gouvernement dans son ensemble - les différents ministres, celui de l'intérieur et moi-même - ne veut pas que l'on politise la question de l'immigration, de quelque côté que ce soit. (Exclamations vives sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française. - Claquements de pupitres.)
M. Jacques Godfrain. Pas ça, pas vous !
M. le Premier ministre. Nous voulons au contraire qu'elle échappe aux passions françaises. (Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
M. Thierry Mariani. N'importe quoi !
M. le Premier ministre. La politique qui est celle du Gouvernement... (Exclamations sur les mêmes bancs.)
M. le président. Je vous en prie, chers collègues !
M. le Premier ministre. ... et du ministre de l'intérieur est une politique humaine et réaliste, une politique équilibrée et compréhensible par tous nos concitoyens.
Je sais que les Françaises et les Français la reconnaissent comme telle... (Protestations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
M. Philippe Auberger. Non !
M. le Premier ministre. ... et c'est comme telle que nous continuerons de l'appliquer ! (De nombreux députés du groupe socialiste et plusieurs députés du groupe Radical, Citoyen et Vert se lèvent et applaudissent longuement. - Quelques membres du groupe communiste applaudissent également. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
M. Jean-Pierre Brard. Très bien !

Données clés

Auteur : M. François Huwart

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Étrangers

Ministère interrogé : Premier Ministre

Ministère répondant : Premier Ministre

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 9 avril 1998

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