Question au Gouvernement n° 530 :
Turquie

11e Législature

Question de : Mme Janine Jambu
Hauts-de-Seine (11e circonscription) - Communiste

Question posée en séance, et publiée le 22 avril 1998

M. le président. La parole est à Mme Janine Jambu.
Mme Janine Jambu. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères.
En 1915, le peuple arménien était victime du premier génocide du XXe siècle. Toute l'horreur des centaines de milliers de victimes, les familles déchirées, la douleur de l'exil, ont été maintes fois évoquées en ces lieux. Pourtant, certains persistent à vouloir en faire un autre «détail» de l'histoire.
Chaque peuple doit accepter de regarder sa propre histoire en face. (Exclamations sur divers bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
M. Maxime Gremetz. Un peu de respect !
M. Thierry Mariani. Ce n'est certainement pas à vous de poser cette question !
Mme Janine Jambu. Il en sortira toujours plus lucide. La France le sait bien après le procès qui vient de s'achever.
D'ailleurs, on peut juger les hommes, pas les peuples: ni le peuple allemand, ni, en l'espèce, le peuple turc, avec lequel nous souhaitons renforcer les liens de coopération, tout comme il faut favoriser les échanges avec la République d'Arménie, développer la solidarité avec son peuple et répondre à l'attente de la communauté arménienne française.
Notre pays, terre de naissance des droits de l'homme et du citoyen, peut oeuvrer au devoir de mémoire, contribuer à combattre les intégrismes, les révisionnismes, toutes les tentatives de dérive vers l'inhumanité,...
M. Louis de Broissia. Et le goulag ?
Mme Janine Jambu. ... aider à construire l'amitié entre les peuples, sur les bases de la vérité.
N'est-il pas temps, grand temps, que la France reconnaisse officiellement le génocide arménien de 1915 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes. Madame la députée, la France est très attachée à ses liens avec le peuple d'Arménie dont de nombreux fils se sont intégrés à notre communauté nationale. Ces liens sont plus vigoureux que jamais depuis l'indépendance de la République d'Arménie, avec laquelle nous entretenons une relation à la fois dense et chaleureuse.
Nous jouons un rôle particulier dans le processus de paix visant à mettre fin au conflit du Haut-Karabakh et à permettre à l'Arménie de consacrer ses efforts à sa reconstruction économique et politique.
C'est dans cette perspective que nous avons accepté la coprésidence, avec les Etats-Unis et la Russie, du groupe de Minsk de l'OSCE, chargé de la médiation entre les parties au conflit. Nous attendons de cette médiation qu'elle facilite la normalisation des relations entre l'Arménie et la Turquie, la levée des blocus décidés par la Turquie par solidarité avec l'Azerbaïdjan et l'établissement de relations diplomatiques et de bon voisinage entre ces deux nations destinées à vivre côte à côte.
En cela nous sommes convaincus de défendre l'intérêt bien compris et l'avenir de la nouvelle République d'Arménie.
C'est dans ce contexte que, à de nombreuses occasions, le gouvernement français a déjà évoqué la question des massacres des Arméniens commis dans les dernières années de l'Empire ottoman, sous le régime dominé alors par le parti nationaliste Jeunes-Turcs et avant l'instauration de l'actuelle République de Turquie. Le gouvernement français a évoqué ces événements dans des termes clairs que le gouvernement d'Arménie connaît d'ailleurs bien et dont il comprend parfaitement toute la portée.
M. Patrick Devedjian. On ne peut pas appeler massacre ce qui est un génocide ! Appelez «génocide» un génocide !
M. le ministre délégué chargé des affaires européennes. On ne peut falsifier les faits. Il est établi qu'une large part de la population arménienne de l'ancien Empire ottoman a été exterminée entre 1915 et 1916.
M. Louis de Broissia. Par qui ?
M. le ministre délégué chargé des affaires européennes. Nul ne saurait le nier. Nous avons appelé plusieurs fois la Turquie à ouvrir ses archives à tous les historiens qui étudient ces événements. Nous accueillons d'ailleurs comme un signe positif, même s'il est insuffisant, la publication récente, en turc, d'ouvrages historiques relatifs à ces événements.
Mais il faut aller plus loin dans la poursuite de la vérité historique et faire toute la lumière sur cette triste, sur cette sinistre période.
Il faut que les chercheurs puissent mener leurs investigations en toute liberté et en toute objectivité afin d'établir clairement les responsabilités.
Il ne peut, pour nous, être question d'oublier. D'innombrables familles ont été touchées dans leur chair et gardent le souvenir de cette immense tragédie. La France est fière d'avoir accueilli par dizaines de milliers les rescapés qui, avec leurs descendants, font aujourd'hui partie intégrante de notre communauté nationale et ont créé une part inestimable de notre patrimoine historique, artistique, littéraire.
M. François Rochebloine. Répondez à la question !
M. le ministre délégué chargé des affaires européennes. Plusieurs ont écrit des pages glorieuses de notre histoire, tels ceux dont l'Affiche rouge a immortalisé les noms. La France rend, avec eux, hommage aux victimes des massacres de 1915 et salue leur mémoire.
M. Patrick Devedjian. Choisissez entre la morale et les affaires !
M. le ministre délégué chargé des affaires européennes. Oui, à quelques jours de l'anniversaire du 24 avril 1915, date à laquelle ces massacres furent déclenchés, le Gouvernement s'associe au deuil et au recueillement de tous nos compatriotes d'origine arménienne et de tous les Arméniens. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
M. Maxime Gremetz. Et la reconnaissance du génocide ? Vous n'avez pas répondu !

Données clés

Auteur : Mme Janine Jambu

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Politique extérieure

Ministère interrogé : affaires européennes

Ministère répondant : affaires européennes

Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 22 avril 1998

partager