Question au Gouvernement n° 544 :
TOM : Nouvelle-Calédonie

11e Législature

Question de : M. Yves Tavernier
Essonne (3e circonscription) - Socialiste

Question posée en séance, et publiée le 23 avril 1998

M. le président. La parole est à M. Yves Tavernier.
M. Yves Tavernier. Monsieur le Premier ministre, il y a dix ans, au lendemain du drame de la grotte d'Ouvéa, la Nouvelle-Calédonie s'enfonçait dans la guerre civile.
Il a fallu la volonté et la lucidité du gouvernement de Michel Rocard (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française), il a fallu le courage et l'intelligence des responsables des communautés calédoniennes pour que le pire soit évité et pour que renaisse l'espoir.
Les «accords Matignon» assurent depuis dix ans la paix en Nouvelle-Calédonie dans la reconnaissance du pluralisme des cultures.
La page de l'ère coloniale a été tournée.
La culture et l'identité kanakes ont été enfin pleinement reconnues.
Un programme ambitieux d'équipements publics a été réalisé, comme une mission de notre commission des finances a pu le constater.
Les «accords Matignon» ont fixé à l'année 1998 le terme de la recherche de ce consensus. Ce consensus a été trouvé hier. Chacun en mesure l'importance historique pour la Nouvelle-Calédonie et pour la France. Que le Gouvernement, le FLNKS et le RPCR en soient félicités.
Aussi est-il naturel, monsieur le Premier ministre, que vous informiez la représentation nationale du contenu de cet accord qui doit, à terme, conduire la Nouvelle-Calédonie sur la voie de la pleine souveraineté. Les institutions du territoire doivent être modifiées; d'importants transferts de compétences interviendront.
Pouvez-vous indiquer selon quelles modalités et selon quel calendrier le Parlement sera saisi de ce dossier ? (Applaudissements sur le bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le député, il y a dix ans, en avril et en mai, le gouvernement de l'époque, celui de Michel Rocard, parvenait effectivement à renouer les fils du dialogue en Nouvelle-Calédonie.
Quelques semaines plus tard, à Matignon, étaient signés par le Premier ministre, par Jean-Marie Tjibaou et par Jacques Lafleur, ainsi que par leurs délégations, les accords de Matignon. Cette signature suscitait, localement et en France, un grand espoir et, sans doute aussi, du soulagement.
Le 20 août 1988, les accords de la rue Oudinot permettaient la formalisation d'un projet de loi référendaire, que le peuple français approuvait, et qui mettaient en place les institutions qui régissent encore aujourd'hui la Nouvelle-Calédonie.
Dix ans ont passé. Nous sommes en 1998 et, selon l'article 2 de la loi référendaire du 9 novembre 1988, les populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie devraient faire l'objet d'une consultation sous la forme d'un scrutin d'autodétermination, tel que prévu à l'article 53 de la Constitution de notre pays, et se prononcer donc sur le maintien du territoire dans la République, ou sur son accession à l'indépendance. Or tout le monde admettait à l'époque, en tout cas quelques années après, que ce scrutin d'autodétermination serait trop simplificateur pour la situation calédonienne et que son résultat ferait sans doute retourner plusieurs années en arrière, générant par là même rancoeurs et ressentiments.
Dès 1991, Jacques Lafleur, président du RPCR, l'avait senti et avait proposé de rechercher une solution consensuelle traduisant un compromis institutionnel, solution que le RPCR et le FLNKS appelleraient à voter. Le FLNKS a accepté sa proposition. Le gouvernement de l'époque et ceux qui l'ont suivi ont indiqué que, dès lors qu'une telle solution recueillerait l'assentiment des signataires des accords de Matignon de 1988, elle pourrait effectivement faire l'objet d'une consultation sur le territoire, différente donc d'un scrutin d'autodétermination pour dire oui ou non à l'indépendance. Des contacts dans ce sens ont eu lieu, puis des négociations ont été conduites par les gouvernements précédents, plus particulièrement, faut-il le dire, par le gouvernement précédent et n'ont pas débouché sur des résultats concrets, dans les conditions qu'on se rappelle.
Mon gouvernement s'est donc immédiatement attelé à la recherche d'une solution négociée s'inspirant de la démarche initiale de 1991, mais le temps pressait car nous entrions bientôt dans l'année 1998.
La première étape a été - j'y ai fait allusion, ainsi que le secrétaire d'Etat à l'outre-mer - de régler ce qu'on a appelé «le préalable minier», la question minière. Il s'agissait, dans un souci de rééquilibrage économique entre le nord et le sud du territoire, de procéder à un échange de gisements miniers permettant la constitution d'une usine métallurgique dans le nord de la Nouvelle-Calédonie. Jean-Jack Queyranne, aux travaux duquel je rends hommage, Dominique Strauss-Kahn, Christian Pierret, avec l'aide de Philippe Essig, et mon cabinet ont réalisé ce travail considérable pour sortir d'une situation qui paraissait inextricable et ont pu régler et lever ce préalable à la discussion institutionnelle.
Dès lors, j'ai pu ouvrir, le 24 février dernier, à l'hôtel de Matignon, les discussions politiques qui ont abouti à l'accord signé hier.
La méthode retenue a été, après une phase de discussions bilatérales menées avec le FLNKS, seul, sur la question dite du «contentieux colonial», sur laquelle le gouvernement précédent avait travaillé et avait préparé un texte, de dresser le bilan des accords de Matignon puis d'examiner, de façon très pragmatique et concrète, toute une série de questions - population, économie, culture, social, environnement - avant de traduire les réflexions ainsi recueillies en termes institutionnels.
Il s'agissait donc, non pas de poser en préalable une construction institutionnelle, mais d'examiner les sujets concrets que les forces politiques, malgré leurs visions un peu antagonistes, étaient prêtes à discuter pour ensuite bâtir une solution institutionnelle. L'esprit qui nous a animés était celui des accords de Matignon antérieurs, celui du dialogue et du partenariat.
Deux mois après, nous aboutissons effectivement à un texte qui comporte un préambule et un document d'orientation.
Le préambule évoque les conséquences de la colonisation pour l'identité kanake et fait de la reconnaissance de cette identité un préalable à la refondation d'un contrat social nouveau entre toutes les communautés de la Nouvelle-Calédonie. Il marque une orientation vers un partage de souveraineté, sur la voie de la pleine souveraineté.
Le document d'orientation entre dans le détail du fonctionnement des institutions, des transferts de compétences et de la politique de développement économique et social qui doivent être réalisés.
L'ensemble de ce dispositif sera soumis à la consultation des populations intéressées et une nouvelle consultation est prévu dans vingt ans ou, éventuellement, si le congrès du territoire en est d'accord, dès la quinzième année, ce qui, de toute façon, nous laisse le temps d'évoluer, de réfléchir et de rapprocher les communautés.
La réforme nécessitera un projet de loi constitutionnelle que le Gouvernement présentera au Président de la République. Je lui en ai parlé ce matin, comme je l'ai tenu informé pendant tout le cours de cette négociation.
Il convient de féliciter, pour leur esprit de responsabilité, les forces politiques en Nouvelle-Calédonie. Et nous devons nous féliciter tous ensemble de cet accord, qui est une nouvelle étape de paix et qui montre la capacité de la France - de notre pays - à maîtriser, dans l'ordre, les évolutions nécessaires.
C'est pourquoi je serai extrêmement heureux, les 4 et 5 mai prochain, de me rendre, malgré un calendrier assez serré - juste après le sommet sur l'euro et avant le sommet franco-allemand - au moins symboliquement, en Nouvelle-Calédonie, pour apposer personnellement ma signature sur ces accords et pour rendre hommage aussi, à l'occasion de l'inauguration de l'institut culturel Jean-Marie Tjibaou, à cette haute figure calédonienne...,
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. Assassin de gendarmes !
M. le Premier ministre. ... qui a réalisé les accords aux côtés de Jacques Lafleur, et dont nous saluons, je pense, unanimes, la mémoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur quelques bancs du groupe communiste et sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Données clés

Auteur : M. Yves Tavernier

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Outre-mer

Ministère interrogé : Premier Ministre

Ministère répondant : Premier Ministre

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 23 avril 1998

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