Irak
Question de :
M. Valéry Giscard d'Estaing
Puy-de-Dôme (3e circonscription) - Union pour la démocratie française
Question posée en séance, et publiée le 14 mai 1998
M. le président. La parole est à M. Valéry Giscard d'Estaing.
M. Valéry Giscard d'Estaing. Les informations que je souhaite entendre de vous, monsieur le ministre des affaires étrangères, portent sur la position de la France concernant le maintien des sanctions économiques vis-à-vis de l'Irak.
Il y a quatre mois en effet, chacun s'en souvient, les Etats-Unis se préparaient à une frappe militaire sur ce pays. La justification en était, selon eux, que l'Irak conservait ou développait des armes chimiques ou bactériologiques échappant au contrôle international parce que situées dans des sites présidentiels dont l'Irak interdisait la visite. L'accord qui a été signé à Bagdad par le secrétaire général des Nations unies a modifié cette situation et ces sites ont été visités récemment par la commission de contrôle des Nations unies, l'UNSCOM.
Ma question est double. Ces visites ont-elles confirmé ou non l'existence d'armes chimiques ou biologiques sur les sites en question ? Au cas où la réponse serait négative, le Gouvernement ne pense-t-il pas que le moment est venu d'engager le processus de levée des sanctions économiques contre l'Irak (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Radical, Citoyen et Vert...
M. Georges Hage et M. Maxime Gremetz. Très bien !
M. Valéry Giscard d'Estaing. ... et de poser en même temps, en termes diplomatiques, bien entendu, la question du niveau de nos relations diplomatiques avec ce pays ? Il y a quelques jours - il faut le savoir - l'Agence internationale de l'énergie atomique a en effet publié un rapport indiquant que l'Irak était désormais en règle au regard de ses obligations nucléaires et nous ne pouvons oublier ici que ces sanctions économiques appliquées maintenant depuis sept ans, ont des conséquences humaines désastreuses pour une population fragile de vingt-trois millions d'habitants.
Certains d'entre vous ont peut-être remarqué que le vice-Premier ministre d'Irak était aujourd'hui de passage à Paris. Vous l'avez reçu, monsieur le ministre, et M. Lang doit s'entretenir avec lui, me semble-t-il. Cela dit, cela fait deux semaines que cette question est prévue et, de toute façon, j'estime normal que le Gouvernement fasse connaître la position de la France devant la représentation nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française, du groupe du Rassemblement pour la République et sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, vous avez rappelé l'accord important signé le 23 février dernier. Chacun se souvient de la part que la France a prise à ce dénouement entre M. Kofi Annan et M. Tarek Aziz...
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. Grâce à Chirac !
M. Pierre Lellouche. Merci de le mentionner !
M. le ministre des affaires étrangères. Je parlais du rôle que la France avait joué dans ce dénouement et je soulignais l'importance de l'accord signé entre le secrétaire général des Nations unies et M. Tarek Aziz, actuellement en visite à Paris. Cet accord marque une sorte d'inversion de tendance s'agissant des relations entre l'Irak et les Nations unies par rapport à ce qui était observé au cours de ces dernières années.
L'accord portait sur la question de la visite des huit sites présidentiels, lesquels ont été inspectés depuis par des inspecteurs de l'UNSCOM et des diplomates formés à cette situation, comme la France l'avait précisément proposé à l'époque. Ce sont donc 79 inspecteurs qui ont visité les sites.
L'inspection de ces sites n'a rien apporté dans le sens de la confirmation des soupçons qui avaient été répandus auparavant à propos des installations ou des produits chimiques ou bactériologiques de l'Irak. Aujourd'hui, s'appuyant sur le rapport de l'AIEA, la France considère que l'Irak a rempli ses obligations en matière nucléaire. L'AIEA ajoute qu'elle ne peut pas démontrer que l'Irak n'a absolument aucune capacité de reconstituer un processus, mais le risque est infime. Nous avons donc tiré comme conséquence de cet épisode que, sur le chapitre nucléaire, nous pouvions passer à ce que l'on appelle le «contrôle à long terme». En effet, une phase très intrusive d'inspection était prévue - vous avez pu en juger avec les inspections de l'UNSCOM, qui ont suivi les drames à répétition des dernières années -, mais maintenant que le contrôle a l'air d'avoir été correctement effectué, nous allons passer au contrôle à long terme, qui n'est pas rien, car il est plus constant et plus intrusif que les contrôles habituels dans les accords de désarmement.
La France considère - elle est seule à ce stade, avec la Russie - que, sur le plan nucléaire, les conditions sont remplies. Jusqu'à présent, les Etats-Unis ne veulent pas dissocier le volet nucléaire du reste. Or nous pensons qu'il pourrait l'être.
Nous avons entamé la discussion au Conseil de sécurité. Nos arguments sont forts. Les Etats-Unis ont été obligés de modifier leur position à cet égard. Aujourd'hui, ils acceptent l'idée que nous pourrions conclure, lors du prochain rendez-vous qui aura lieu à l'automne, sur ce chapitre nucléaire.
Au plan balistique, les choses sont encore moins nettes parce qu'il y a encore un doute sur un missile.
En revanche, au plan chimique, biologique et bactériologique, on peut considérer que les conditions ne sont pas remplies du tout. L'UNSCCOM dispose depuis des années de nombreuses informations, que nous jugeons valables, sur des programmes qui avaient été poussés assez loin à propos de produits précurseurs et d'installations. Mais le contrôle n'a pas été entièrement exercé et la coopération des Irakiens n'a pas été aussi complète dans ce domaine que dans les deux domaines précédents.
Nous tirons, à ce stade, les conclusions les plus avancées que nous le pouvons. Nous rappelons au Conseil de sécurité - et nous sommes le pays le plus explicite sur ce point - que, dès que les conditions prévues par l'article 22 de la résolution 687 seront remplies, il aura le devoir d'accepter la levée de l'embargo. Mais encore faut-il que l'Irak continue durablement à jouer le jeu de l'accord signé avec M. Kofi Annan, comme ce fut le cas ces dernières semaines.
C'est dans cet esprit que nous allons recevoir M. Tarek Aziz. Nous lui dirons que c'est là la preuve que l'Irak s'était trompé dans sa politique ces dernières années ces politique exigée unaniment par le Conseil de sécurité, y compris par les Russes. Nous lui dirons que si l'Irak peut continuer dans le sens des dernières semaines, il pourra compter, de la part de la France, sur une interprétation légaliste au Conseil de sécurité: toutes les résolutions, rien que les résolutions et pas plus. Il n'y a pas de résolution cachée qui, le moment venu, nous empêcherait de tirer les conclusions de la résolution 687 que je citais.
C'est dans ce contexte que nous écouterons M. Tarek Aziz nous exprimer les souhaits de l'Irak concernant la reprise de relations diplomatiques avec la France. C'est une question qui peut être considérée comme étant à l'étude, mais à laquelle il est encore prématuré de répondre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
Auteur : M. Valéry Giscard d'Estaing
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Politique extérieure
Ministère interrogé : affaires étrangères
Ministère répondant : affaires étrangères
Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 14 mai 1998