Question au Gouvernement n° 624 :
magistrats

11e Législature

Question de : M. Michel Suchod
Dordogne (2e circonscription) - Radical, Citoyen et Vert

Question posée en séance, et publiée le 14 mai 1998

M. le président. La parole est à M. Michel Suchod.
M. Michel Suchod. Monsieur le président, ma question s'adresse à Mme le garde des sceaux. Elle a trait à la situation des effectifs de magistrats en France.
Madame la garde des sceaux, nous ne saurions vous faire porter l'entière responsabilité de cette situation, puisqu'il y a aujourd'hui 6 003 magistrats en France, alors que l'on en comptait 6 000... en 1857, sous Napoléon III, et que le nombre des affaires pour un effectif équivalent a été multiplié par vingt !
Une certaine exaspération gagne les tribunaux, notamment en province. En notre temps de médiatisation, les magistrats en grève envisagent maintenant de s'enchaîner aux grilles du tribunal. Et dans ma ville de Bergerac, vous avez été citée en audience de conciliation devant le tribunal d'instance ! Il s'agissait de dénoncer le fait que ce dernier est dépourvu de juge d'instance, alors que 3 000 affaires en conciliation se présentent chaque année.
Cela fait tout de même un peu désordre. Et que la presse se soit emparée de cette affaire quelque peu anecdotique montre qu'aujourd'hui on est contraint, pour faire entendre sa voix, d'user d'autres moyens que le recours au Parlement ou le dialogue avec le Gouvernement.
Madame le garde des sceaux, à Bergerac, sur huit magistrats, cinq seulement sont présents. C'est un problème grave, que rencontrent d'ailleurs tous nos petits tribunaux. Or, nous savons bien que, si les petits tribunaux ne fonctionnent pas, un jour, on les fermera pour les transférer au chef-lieu de département.
M. Gouzes m'indique que les tribunaux du département ne marchent pas mieux que ceux des sous-préfectures. Il s'agit donc d'un problème important.
Madame le garde des sceaux, j'entends bien que votre budget a augmenté, qu'il représente aujourd'hui 1,5 % du budget de l'Etat, que vous avez créé 170 postes en 1998 et que vous en créerez peut-être 100 en 1999. Mais ce qui nous intéresse, c'est la période de transition. Comment régler les affaires pendant cette période ?
J'ajoute que, si vous vouliez venir vous rendre compte de la situation à Bergerac et en profiter pour visiter le centre pénitentiaire de Mauzac créé par M. Badinter et qui, à ce jour, n'a reçu aucune visite ministérielle, nous en serions fort honorés. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, je vous remercie de votre invitation courtoise, à laquelle je vais réfléchir le plus sérieusement du monde. (Sourires.)
Vous avez raison d'attirer l'attention du Gouvernement et de la représentation nationale sur la situation des tribunaux. Moi-même ici, à plusieurs reprises, j'ai dit qu'il n'était pas admissible, parce qu'on avait laissé se développer depuis trois décennies au moins la situation que vous décrivez, que dans certains tribunaux il faille deux ans pour obtenir un jugement de divorce, et que dans certaines cours d'appel quatre années soient nécessaires, par exemple, pour juger un conflit du à un licenciement.
Cette situation est effectivement, insupportable pour nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) J'ai encore eu l'occasion de le dire hier aux 181 présidents de tribunaux de grande instance avec lesquels je dialoguais de la situation de nos juridictions.
Bergerac, qui est votre ville et à laquelle vous vous intéressez particulièrement, compte actuellement dix postes de magistrats. Sur ces dix postes, trois sont vacants.
Sur ces trois postes, celui de juge d'instance et celui de juge des enfants - vacant parce que la magistrate vient d'être nommée à l'Ecole nationale de la magistrature, ce qui prouve la qualité des magistrats de Bergerac - ont été inscrits sur les listes de mouvement au mois d'avril et ils devraient être pourvus au mois de septembre.
Vous n'êtes pas sans savoir que certains délais de remplacement sont nécessaires dans la magistrature, en raison des garanties statutaires qui tiennent à l'inamovibilité et à la nécessité de publier des listes de transparence.
Le troisième poste est celui de juge d'application des peines. La magistrate qui l'occupe vient de partir en congé de maternité. Ce départ n'était effectivement pas prévu. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.) Messieurs, la profession de magistrat se féminise; elle compte beaucoup de jeunes femmes, qui, heureusement, ont des enfants. C'est une situation dont il faut tenir compte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Ce poste de juge d'application des peines devrait être concerné par le mouvement prévu pour le mois de juin et j'espère qu'il sera pourvu avant la fin de l'année.
Quant aux fonctionnaires, ils sont au complet et même en surnombre.
Il est vrai que, même à effectifs complets, le travail des magistrats est difficile parce que le nombre de dossiers est important et parce qu'ils sont de plus en plus accaparés par des tâches extrajudiciaires: participation à la politique de la ville, réunions chez les préfets, avec les proviseurs ou avec les différents représentants des administrations.
Pour pallier cette situation - car le tribunal de Bergerac n'est pas un cas isolé -, le Gouvernement a déjà pris plusieurs mesures significatives: recrutement exceptionnel de magistrats: 100 cette année, 100 l'année prochaine; recrutement de fonctionnaires: 475 fonctionnaires de catégorie C viennent ainsi d'être affectés en juridiction.
J'ai décidé également d'augmenter le nombre des magistrats qu'on dit «placés» auprès des cours d'appel, magistrats qui ne sont pas affectés sur un poste particulier mais qui sont à la disposition du premier président de la cour d'appel, pour pallier des défections ou des départs, par exemple en maladie ou en maternité.
Par ailleurs, le Gouvernement a créé cette année - vous avez bien voulu le reconnaître - 70 postes de magistrats, 230 emplois de fonctionnaires, 220 postes d'assistants de justice.
Cet effort sera poursuivi en 1999. Il s'agit non seulement d'améliorer le fonctionnement des juridictions mais également de permettre que les réformes que je présenterai au Parlement ce printemps puissent bénéficier des moyens correspondants. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Données clés

Auteur : M. Michel Suchod

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Justice

Ministère interrogé : justice

Ministère répondant : justice

Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 14 mai 1998

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